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la déclaration de guerre qu'elle venait de jeter audacieusement à Napoléon, et lui ordonna d'agir en conséquence.

Don Torribio Montès, après avoir proclamé l'autorité de la junte dans la colonie qu'il gouvernait, se prépara, en bon Espagnol, à soulever contre l'autorité française l'ancienne Audience de Santo-Domingo. Il parvint facilement à nouer des intrigues avec la population par le moyen des Dominguois que les dernières révolutions avaient jetés dans sa colonie; et le général Ferrand ne tarda pas à être enveloppé d'une trame des mieux ourdies. Malheureusement il appela en quelque sorte la trahison par son aveugle confiance, et la funeste sécurité dans laquelle il s'endormit. Il ne pouvait supposer qu'on voulût se soustraire à une domination qu'il s'efforçait de rendre si bienveillante et si paternelle; et il ne voulut croire à la révolte que lorsqu'elle était déjà générale.

Don Juan Sanchez Ramirez, créole espagnol, homme ambitieux et dissimulé, fut l'adroit fauteur de cette révolution nouvelle.

Lorsqu'il ne put plus douter du caractère de ce mouvement, le général Ferrand sortit de SantoDomingo, et, à la tête de cinq cents hommes, se

dirigea dans l'Est, vers le bourg de Seybo, où se trouvait le quartier général de la révolte. Don Juan Sanchez, qui commandait à une bande d'environ deux mille hommes, disposa habilement ces forces supérieures; et après avoir un instant plié sous le premier choc du général français, il l'enveloppa d'un feu si bien nourri, qu'une déroute complète se mit dans sa faible troupe.

Ferrand fit des efforts inouïs pour rallier les siens. Mais après quatre heures d'une lutte désespérée, il dut se résigner à fuir. Alors, il se souvint de la manière dont il s'était emparé du gouvernement, de cette usurpation militaire que le succès seul pouvait justifier, et que la promesse du succès avait seule fait tolérer... Passant au galop, près d'un de ses officiers, il demanda de la poudre pour amorcer ses pistolets, et se fit sauter la cervelle (7 novembre 1808) 1.

Ce combat se livra au lieu appelé Palo-Hincado. Il eut pour résultat immédiat la perte totale de la campagne, et la concentration forcée de toutes les

"

La

1 « Il se donna la mort avec tant de précipitation, dit le capitaine Guillermin, que l'explosion seule annonça ce fatal événement. »> plupart des officiers français perdirent la vie dans ce combat. Le colonel Panisse, l'un d'eux, laissé pour mort sur le champ de bataille, parvint à regagner Santo-Domingo, après toute une odyssée de misères qui furent longtemps l'entretien des Français dans cette ville.

ressources disponibles dans Santo-Domingo. Le général de brigade Barquier, que son grade appelait au commandement, déclara cette ville en état de siége, et se prépara à résister à la fois aux attaques de la campagne et aux entreprises de la croisière anglaise qui se montrait déjà dans ces parages.

Alors commença l'une de ces nobles luttes qui, lorsqu'elles ont l'Europe pour théâtre, demeurent gravées en caractères immortels dans les pages de l'histoire.

Place revêtue d'une simple chemise, sans fossés, à cause du roc vif sur lequel elle est bâtie; déployant un front immense, dont la défense régulière nécessiterait une armée pour garnison, Santo-Domingo, défendu par une poignée de Français, tint huit mois contre les attaques incessantes de l'armée insurrectionnelle, celles de la croisière anglaise, les trames intestines et les horreurs de la famine. Nous voudrions que les proportions de ce travail nous permissent de réparer l'oubli de l'histoire, et de dire toutes les phases de cette résistance héroïque, gloire égarée au fond d'une île du golfe du Mexique, et perdue au milieu de la grande épopée napoléonienne. Citons du moins quelques noms : ceux des colonels Aussenac, Vassimon, Panisse, Fortier,

Camberlin; l'intrépide mulâtre Repussard, commandant la légion coloniale, le lieutenant Gilbert Guillermin, qui s'est fait l'historien de cette vaillante lutte. Ces braves gens livrèrent onze combats, dont ceux de Saint-Jérôme, de Galard' et de Manganagua, couchèrent les morts par centaines sur le champ de bataille. Lorsque, poussés par le terrible aiguillon de la faim, ils s'élançaient hors de la place l'épée à la main, il fallait plier et laisser s'accomplir leur héroïque maraude. Alors, oubliant l'ennemi, les uns se jetaient dans les bois, abattant les ramiers si abondants dans ces parages, tandis que les autres, penchés vers le sol, fouillaient le gualliga, plante vénéneuse, dont, après six jours de manipulations, on parvenait à extraire une nourriture encore délétère 2. Sur la mer, les corsaires Forès et Bottin, montant leurs fines goëlettes, armées jusqu'aux hunes, rôdaient comme des lionnes autour de leur tanière, dépensant des trésors de ruse et d'audace, pour jeter dans la place, à travers la croisière anglaise, quelques barils de farine enlevés à prix d'or aux colonies voisines. Plus d'une fois, montée sur les toits en terrasse de ses maisons,

'Il se livra trois combats dans ce seul lieu.

2 Voy. tous ces détails dans le livre déjà cité du lieutenant Guillermin.

l'œil tendu vers cet horizon que le soleil des Tropiques rend infini, la population de cette ville affamée assista, partagée entre l'admiration et l'angoisse, à une de ces joutes terribles dont l'enjeu était pour elle un court soulagement ou un redoublement de misère.

Chose admirable à dire! les hommes qui luttaient ainsi ne savaient même pas si leur résistance était connue de la métropole '.

De leur côté, électrisés par cette flamme insurrectionnelle, que les juntes de la mère patrie lançaient contre tout ce qui portait le nom français; habilement conduits par Sanchez, esprit froid et persévé– rant que rien ne lassait, les insurgés, ces colons espagnols qui n'avaient pas su trouver l'énergie de faire face à leurs frontières envahies par Toussaint, déployèrent un courage et une ténacité dignes de leur passé.

Lorsque les dernières provisions furent épuisées; que les cuirs « préparés et assaisonnés » qui faisaient le fond de l'alimentation, furent devenus un mets réservé à la table des riches; lorsque la croisière anglaise se changeant en une escadre, se prépara au

'Elle ne l'était pas...

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