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affections des deux populations, des traits de leur caractère ou de leur origine, et peut-être même de ce sentiment qui porte les opprimés à s'accuser mutuellement, couvait la haine dans l'âme des Orientaux contre les Occidentaux ceux-là rendaient ceux-ci solidaires des crimes et des fautes d'un gouvernement odieux à tous. »

Le président terminait ainsi cette proclamation: << Haïtiens, dans quelques jours je serai aux portes de Santo-Domingo. Trente mille hommes, un parc d'artillerie considérable, composé d'obusiers et de pièces de gros calibre, assureront le succès de cette campagne. Je me présenterai d'abord comme un missionnaire de paix et de vérité; je parlerai le langage de la persuasion; mais si cette ville rebelle méconnaît la voix de la sagesse, si elle appelle l'intervention de l'étranger, je déplorerai la triste nécessité où elle m'aura placé, et je ne résisterai pas à employer la force et la violence qui doivent étouffer la révolte, et faire flotter le pavillon qu'illustra l'indépendance, sur la cathédrale de la plus ancienne cité du nouveau monde 1. »

Mais, tandis que le président en était encore aux proclamations à Las Cahobas, les premiers coups de

Proclamation du 15 mars.

fusil se tiraient à Neybe. Pimentel, député de plusieurs législatures, et l'un des chefs les plus actifs de l'insurrection, engagea sur ce point une vive escarmouche avec les troupes de la seconde colonne expéditionnaire. Toutefois, ce fut à Azua où devait se dérouler la péripétie de l'expédition, qu'eut lieu le seul engagement sérieux. Hérard vint en quelque sorte se heurter contre cette ville, où il croyait trouver déjà rendues les troupes de Souffran, attardées par l'engagement de Neybe. « Dominicains libres et indépendants! » répondit-on au qui vive de son avant-garde; et l'attaque qu'il ordonna aussitôt, fut soutenue et repoussée avec vigueur.

Cependant Hérard parvint à s'établir à Azua. Alors commença sur le territoire dominicain le dénoûment du drame dont la principale scène s'intriguait au Portau-Prince. Chacun des courriers dont Hérard Dumesle avait établi à grands frais le service entre le siége du gouvernement et le quartier général du président, portait à l'armée cet esprit de désorganisation qui se faisait jour de toutes parts dans la capitale de la république, et qu'aidait dans son développement l'attitude très-peu rassurante des Dominicains. Les

'C'est un Français naturalisé dans la partie espagnole.

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troupes noires, malgré la terreur des ordres du jour dont l'énergie draconienne rappelait la discipline à coups de pistolet de Toussaint, désertaient en masse. Ce fut au milieu de cette multitude à moitié débandée, qu'il appelait encore son armée, qu'Hérard promena le contre-amiral de Mosges, qui, comprenant la situation comme notre consul à Santo-Domingo, s'efforçait d'assurer à la France l'influence qu'une grande nation ne doit jamais dédaigner celle de médiatrice. L'œil du marin pénétra facilement le peu de profondeur des lignes qu'on s'efforçait d'allonger devant lui. L'amiral dit nettement au président sa pensée sur ce qu'il appelait son armée, et sur le résultat de son expédition, s'il tentait de s'engager plus avant dans l'Est. Le malheureux Hérard l'avait déjà compris; mais que faire?« Il avait promis aux habitants de Port-auPrince de dompter la révolte; il fallait vaincre ou tomber de sa présidence. D'ailleurs, il avait donné ordre au général Pierrot, qui commandait dans le Nord à plus de 10,000 hommes, de venir le joindre, et avec un pareil renfort n'était-il pas assuré du succès?... >>

Voir notamment les ordres et arrêtés militaires des 18 et 20 avril.

Nous avons vu que Pierrot avait en effet reçu cet ordre, et nous savons comment. il l'exécuta. C'est par la route de Daxabon et de la Vega qu'il avançait dans une sécurité parfaite, lorsqu'il fut brusquement attaqué, et mis dans la complete déroute qui détermina sa révolution dans le Nord.

Ces événements, ainsi que nous l'avons dit, hâtèrent ceux qui se développaient au Port-auPrince et au quartier général d'Azua. La déchéance d'Hérard fut prononcée. Il reçut ordre de se rendre de sa personne sur le territoire occidental. Bientôt les quelques troupes que la désertion avait laissées au camp d'Azua durent reprendre la route de l'Est, sous le commandement du général Souffran. Comme les soldats de Dessalines, après la tentative avortée de ce chef sur Santo-Domingo, elles marquèrent leur passage par un long sillon d'incendie et de rapine.

La révolution de la partie orientale de l'île de Saint-Domingue est pour le moment un fait consommé. En vain la menace et l'intrigue sont venues de l'Ouest; en vain une scission a failli compromettre le succès d'une cause à peine gagnée. Santana a su

faire face à la fois aux menées du Port-au-Prince et aux projets subversifs de Duarte, ambitieux improvisé qui, entraîné par l'exemple, s'était proclamé président. Arrêté en même temps que le nègre dont il avait fait son généralissime, il a été embarqué, avec la menace d'être passé par les armes, s'il reparaissait sur le territoire de la république.

La constitution de la république dominicaine a été votée.

Cet acte ouvre aux étrangers de toutes les nations le droit de propriété territoriale que leur refusait la constitution haïtienne'.

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Mais il faut qu'on le sache l'Ouest n'a pas renoncé à son rêve de l'unité territoriale. Dès qu'un moment de calme se produit dans sa situation intérieure, l'ancienne partie française dirige ses bandes sur la frontière, et les hostilités recommencent. Quoiqu'il soit facile de savoir à quoi s'en tenir sur les bulletins du général Pierrot, et qu'on puisse jusqu'à un certain point se rassurer en voyant la distance qui sépare Las Cahobas, lieu de sa dernière victoire, de Santo-Domingo, on ne doit pas

Nous donnons, en les rapprochant, à la fin de ce livre, et comme documents à peu près inédits, les deux constitutions de l'Ouest et de l'Est. Celle de la république dominicaine, écrite en castillan, se trouve ainsi traduite pour la première fois.

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