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miers écrivains qui mentionnent ce fait dont la nouveauté dut pourtant être si frappante, en parlent comme de chose accomplie et pour ainsi dire assise dans les mœurs. Ceci demande à être expliqué.

C'est une croyance presque populaire que celle qui attribue l'idée de la traite au pieux Las-Casas, «<lequel aurait obtenu de Charles-Quint qu'une popu

lation africaine vînt soustraire ses Indiens bien-aimés à la brutalité des Espagnols. » Mais l'archevêque de Santo-Domingo avait trop l'intelligence du cœur pour ne pas avoir eu celle de l'esprit; et c'est faire injure à sa mémoire que de lui attribuer ce zèle exagéré qui rappelle volontiers celui de Clovis regrettant de ne s'être pas trouvé sur le Thabor avec ses Francs pour empêcher la mort du Sauveur. M. Moreau de Jonnès, dont les Recherches statistiques forment, dans leur première et leur seconde partie, l'un des documents les plus curieux qui aient été produits sur ce point d'archéologie coloniale, s'exprime ainsi à cet égard: « La nécessité de recourir à des nègres « pour défricher les Antilles, était reconnue en Es<< pagne- bien avant que Las-Casas eût obtenu la << liberté des Indiens. L'an 1517, l'empereur CharlesQuint autorisait le conseiller de la Bressa, grand « maître de sa maison, à envoyer 4,000 nègres es

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<«< claves à Haïti (c'est Hispaniola qu'il fallait dire) et << à Cuba, et ce seigneur vendit son privilége à des «< Génois pour une somme de 25,000 écus. On sait même, par l'historien Herréra, que ce marché << excita de grands mécontentements, parce qu'il éta<«< blissait un monopole qui mettait obstacle à toute importation semblable pendant huit années. >> Ailleurs, le même écrivain nous apprend, sur l'autorité d'Herréra, qu'avant cette époque, et dès 1503, « le gouverneur Nicolas Bando avait défendu d'importer d'Afrique des esclaves, parce que ceux qu'on avait déjà introduits (pour travailler aux << mines du Cibao) s'étaient enfuis chez les Indiens. « On prétendait même qu'ils pervertissaient ceux-ci << et les portaient à la révolte. » Enfin, Enfin, suivant M. Moreau de Jonnès, la véritable origine de la traite se trouve dans ce fait qui s'accomplit en 1442. Le capitaine portugais Gonzalès, ayant fait des prisonniers maures à la Côte-d'Or, aurait reçu en échange des esclaves nègres avec lesquels il serait revenu à Lisbonne. Le succès de son expédition aurait telle– ment encouragé ce trafic que bientôt il serait sorti du Tage trente-sept navires pour le continuer. Cet exemple aurait été suivi par les Anglais, et le capitaine Hawkins, qui fut élevé à dignité de chevalier

par Élisabeth, serait allé porter, aux Espagnols de Santo-Domingo, 300 captifs qu'il avait enlevés des mêmes parages. Or, Colomb n'ayant mené à fin sa glorieuse aventure qu'en 1492, il résulterait du fait produit par l'écrivain que nous citons, que la découverte de l'Amérique trouva l'esclavage existant et la traite établie. A ces données matérielles nous ajouterons ces indications raisonnées : Deux lois dans le recueil pour les Indes, la loi п (livre 8, titre 17) du 16 avril 1550, sur la contrebande, déclare être contrebande les esclaves importés dans les colonies espagnoles sans autorisation du roi. Celle du 23 octobre 1593 ordonne de tenir des registres pour constater l'importation des esclaves. Enfin la loi xvi du Code des Indes est ainsi conçue : « Voulons que les dimanches et fêtes à garder, les nègres et les mulâtres ne travaillent pas; qu'on donne ordre qu'ils entendent la messe et gardent les fêtes comme les autres chrétiens, et qu'en aucuns lieux ils ne soient employés à aucuns travaux; les supérieurs ecclésiastiques demeurant autorisés à imposer les peines convenables en pareil cas. » Or, cette loi est du 26 octobre 1541. Il y avait donc alors, dans les colonies espagnoles, une population esclave assez nombreuse pour nécessiter une législation. Une autre loi (v) du même

code, et de la même date, règle ainsi les mariages : << Que les nègres qui voudront se marier soient, autant que faire se pourra, engagés à épouser des négresses; les esclaves qui se marieront ne deviendront pas libres pour s'être mariés, quand même les maîtres auraient donné leur consentement aux mariages. » Ce coup d'œil sur le passé explique suffisamment, à notre avis, le silence des premiers chroniqueurs des Antilles sur l'origine de l'institution, et le caractère de fait accompli qu'elle porte

dans leurs écrits.

Quoi qu'il en soit, aucun des actes constitutifs des premières compagnies de colonisation, que nous avons soigneusement analysés dans l'introduction de ce livre, ne fait mention de l'esclavage ou de la traite. Même omission dans le grand édit portant établissement de la Compagnie des Indes occidentales. Seulement cet acte crée, en faveur de la compagnie, le monopole du commerce, du cap Vert au cap de Bonne-Espérance, et, ainsi que le prouvent les actes ultérieurs, ce monopole comprenait celui de la traite. En effet, à partir de cette époque, les actes qui constituent ce commerce se suivent régulièrement. On trouve d'abord celui du 26 août 1670, qui fait remise, en sa faveur, d'un droit de 5 pour cent qui

était perçu sur toutes les marchandises à leur entrée aux îles; celui du 13 janvier 1672, qui accorde une prime de 13 livres par tête de noir introduit ; celui du 25 mars 1679, qui crée le monopole de la Compagnie du Sénégal, en maintenant la prime de 13 livres par tête; celui du 23 septembre 1683, qui, dans l'intérêt de cette compagnie, défendait aux colons d'acheter des nègres, non-seulement de traitants étrangers, mais encore des Indiens tant de la terre ferme que des îles, « lesquels avaient coutume d'en enlever sur les habitations des Européens, pour se livrer à ce trafic; » enfin, ceux du 12 septembre 1684, de mars 1696, de janvier 1716, de septembre 1720, et tant d'autres qui apparaissent successivement, soit pour appeler la libre concurrence, soit pour reconstituer le privilége, suivant que la libre concurrence ou le privilége paraissait devoir donner une plus grande impulsion à ce commerce d'hommes. Pendant plus de deux siècles l'Europe trouva, pour se ruer sur l'Afrique, cette activité fébrile qui avait précipité l'Espagne sur l'Amérique, à la suite de Colomb. Si l'Angleterre eut toujours l'avantage dans cette course frénétique, si elle importa, dans une seule année (1786), jusqu'à 38,000 esclaves', la Recherches de Bryan Edwards.

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