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Saint-Cyran, et, ayant conçu pour ses grands talents et pour sa vertu l'estime que tous ceux qui le connoissoient ne pouvoient lui refuser, il ne fut pas plus tôt en faveur, qu'il songea à l'élever aux premières dignités de l'église. Il le fit pressentir sur l'évêché de Baïonne qu'il lui destinoit, et qui étoit le pays de sa naissance. Mais son extrême humilité, et cette espèce de sainte horreur qu'il eut toute sa vie pour les sublimes fonctions de l'épiscopat, l'empêchèrent d'accepter cette offre. Ce fut le premier sujet de mécontentement que ce minis

'tre eut contre lui.

› Son second crimé à son égard fut de passer pour n'approuver pas la doctrine que ce cardinal avoit enseignée dans son catéchisme de Luçon touchant l'attrition, formée par la seule crainte des peines, qu'il prétendoit suffire pour la justification dans le sacrement. Ce n'est pas que l'abbé de SaintCyran fut jamais entré dans aucune discussion sur cette matière; mais il ne laissoit pas ignorer qu'il étoit persuadé que, sans aimer Dieu, le pécheur ne pouvoit être justifié. Outre que le cardinal se piquoit encore plus d'être grand théologien que grand politique, il étoit si dangereux de le contredire sur ce point particulier de l'attrition, que le père Seguenot de l'Oratoire fut mis à la Bastille pour avoir soutenu la nécessité de l'amour de Dieu dans la pénitence, et que ce fut aussi, à ce qu'on prétend, pour le même sujet que le père Caussin, confesseur du roi, fut disgracié.

Mais ce qui acheva de perdre l'abbé de SaintCyran dans l'esprit du cardinal, ce fut une offense d'une autre nature que les deux premières, mais qui le touchoit beaucoup plus au vif. On sait avec quelle chaleur ce premier ministre avoit entrepris de faire casser le mariage du duc d'Orléans avec la princesse de Lorraine, sa seconde femme. Pour s'autoriser dans ce dessein, et pour rassurer la conscience timorée de Louis XIII, il fit consulter l'assemblée générale du clergé, et tout ce qu'il y avoit de plus célèbres théologiens, tant réguliers que séculiers. L'assemblée, et presque tous ces théologiens, jusqu'au père Gondren, général de l'Oratoire, et jusqu'au père Vincent, supérieur des missionnaires, furent d'avis de la nullité da mariage; mais quand on vint à l'abbé de SaintCyran, il ne cacha point qu'il croyoit que le mariage ne pouvoit être cassé.

Venons maintenant à la querelle qu'il eut avec les jésuites; elle prit naissance en Angleterre. Les jésuites de ce pays-là n'ayant pu se résoudre à reconnoître la juridiction de l'évêque que le pape y avoit envoyé, non seulement obligèrent cet évêque à s'enfuir de ce royaume, mais écrivirent des livres fort injurieux contre l'autorité épiscopale, et contre la nécessité même du sacrement de la confirmation. Le clergé d'Angleterre envoya ces livres en France, et ils Ꭹ furent aussitôt censurés par l'archevêque de Paris, puis par la Sorbonne, et enfin par une grande assemblée d'archevêques

et d'évêques. Les jésuites de France n'abandonnèrent pas leurs confrères dans une cause que leur conduite, dans tous les pays du monde, fait bien yoir qu'ils ont résolu de soutenir. Ils publièrent contre toutes ces censures des réponses où ils croyoient avoir terrassé la Sorbonne et les évêques. Tous les gens de bien frémissoient de voir ainsi fouler aux pieds la hiérarchie que Dieu a établie dans son église, lorsqu'on vit paroître, sous le nom de Petrus Aurelius, an excellent livre qui mettoit en poudre toutes les réponses des jésuites. Ce livre fut reçu avec un applaudissement incroyable: le clergé de France le fit imprimer plusieurs fois à ses dépens, s'efforça de découvrir qui étoit le défenseur de l'épiscopat, et, ne pouvant percer l'obscurité où sa modestie le tenoit caché, fit composer en l'honneur de son livre, par le célèbre M. Godeau, évêque de Grasse un éloge magnifique, qui fut imprimé à la tête du livre même.

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Les jésuites n'étoient pas moins en peine que les évêques de savoir qui étoit cet inconnu; et comme la vengeance a des yeux plus perçants que la reconnoissance, ils démêlèrent que si l'abbé de Saint-Cyran 'n'étoit l'auteur de cet ouvrage, il y avoit du moins la principale part. On jugera sans peine jusqu'où alla contre lui leur ressentiment, par la colère qu'ils témoignèrent contre M. Godeau, pour avoir fait l'éloge que je viens de dire. Ils publièrent contre ce prélat si illustre deux

satires en latin, dont l'une avoit pour titre Godellus an Poëta; et c'étoit leur père Vavasseur 'qui étoit auteur de ces satires. L'abbé devint à leur égard, non seulement un hérétique, mais un hérésiarque abominable, qui vouloit faire une nouvelle église, et renverser la religion de Jésus-Christ. C'est l'idée qu'ils s'efforcèrent alors de donner de lui, et qu'ils en veulent donner encore dans tous leurs livres.

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'Le cardinal de Richelieu, excité par leurs clameurs et par ses ressentiments particuliers, le fit arrêter et mettre au bóis de Vincennes; il t aussi saisir tous ses papiers, dont il y avoit plusieurs coffres pleins. Mais comme on n'y trouva que des extraits des pères et des conciles', et des matériaux d'un grand ouvrage qu'il préparoit pour défendre l'eucharistie contre les ministres huguenots, tous 'ses papiers lui furent aussitôt renvoyés au bois de Vincennes. On abandonna aussi une procédure fort irrégulière que l'on avoit commencée contre lui; mais la liberté ne lui fut rendue que cinq ans après, c'est-à-dire à la mort du cardinal de Richelieu, Dieu ayant permis cette longue prison ́pour faire mieux connoître la piété extraordinaire de cet abbé, à laquelle le fameux Jean de Verth, qui, avec d'autres officiers étrangers, étoit aussi alors prisonnier au bois de Vincennes, rendit un témoignage très particulier: car le cardinal de Richelieu ayant voulu qu'il fût spectateur d'un ballet fort magnifique qui étoit de sa composition, et és

général ayant vu à ce ballet un certain évêque qui s'empressoit pour en faire les honneurs, il dit publiquement que le spectacle qui l'avoit le plus surpris en France, c'étoit d'y voir les saints en prison, et les évéqués à la comédie.

Ce fut aussi dans cette prison que l'abbé de Saint-Cyran écrivit ces belles lettres chrétiennes et spirituelles dont il s'est fait tant d'éditions avec l'approbation d'un fort grand nombre de cardinaux, d'archevêques et d'évêques, qui les ont considérées comme l'ouvrage de nos jours qui donne la plus haute et la plus parfaite idée de la vie chrétienne.

Il mourut le 11 octobre 1643, huit mois après qu'il fut sorti du bois de Vincennes; et ses funérailles furent honorées de la présence de tout ce qu'il y avoit alors à Paris de prélats plus considérables. A peine il eut les yeux fermés, que les jésuites se débordèrent en une infinité de nouvelles invectives contre sa mémoire, faisant imprimer entre autres de prétendus interrogatoires qu'ils avoient tronqués et falsifiés; et quoiqu'il eût reçu avec une extrême piété le viatique des mains du curé de Saint-Jacques du Haut-Pas, et que la gazette même en eût informé tout le public, ils n'en furent pas moins hardis à publier qu'il étoit mort sans vouloir recevoir ses sacrements. J'ai cru devoir rapporter tout de suite ces évènements, pour faire mieux connoître ce grand personnage, contre qui la calomnie s'est déchaînée avec tant de

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