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qui fût en meilleure odeur que Port-Royal. Tout ce qu'on en voyoit au dehors inspiroit de la piété ; on admiroit la manière grave et touchante dont les louanges de Dieu y étoient chantées, la simplicité et en même temps la propreté de leur église, la modestie des domestiques, la solitude des par loirs, le peu d'empressement des religieuses à y soutenir la conversation, leur peu de curiosité pour savoir les choses du monde, et même les affaires de leurs proches; en un mot, une entière indifférence pour tout ce qui ne regardoit point Dieu. Mais combien les personnes qui connoissoient l'intérieur de ce monastère y trouvoientelles de nouveaux sujets d'édification! quelle paix quel silence! quelle charité! quel amour pour la pauvreté et pour la mortification! Un travail sans relâche, une prière continuelle, point 'd'ambition que pour les emplois les plus vils et les plus humiliants, aucune impatience dans les sœurs, nulle bizarrerie dans les mères, l'obéissance toujours prompte, et le commandement toujours raisonnable.

Mais rien n'approchoit du parfait désintéressement qui régnoit dans cette maison. Pendant plus de soixante ans qu'on y a reçu des religieuses, on n'y a jamais entendu parler ni de contrat ni de Convention tacite pour la dot de celles qu'on recevoit. On y éprouvoit les novices pendant deux ans., Si on leur trouvoit une vocation véritable, les parents étoient avertis que leur fille étoit admise à

la profession, et l'on convenoit avec eux du jour de la cérémonie. La profession faite, s'ils étoient riches, on recevoit comme une aumône ce qu'ils donnoient, et on mettoit toujours à part une por tion de cette aumône pour en assister de pauvres familles, et sur-tout de pauvres communautés religieuses. Il y a eu telle de ces communautés à qui on transporta tout à coup une somme de vingt mille francs qui avoit été léguée à la maison; et, ce qu'il y a de particulier, c'est que dans le même temps qu'on dressoit chez un notaire l'acte de cette donation, le pourvoyeur de Port-Royal, qui ne savoit rien de la chose, vint demander à ce même notaire de l'argent à emprunter pour les nécessités pressantes du monastère.

Jamais les grands biens ni l'extrême pauvreté d'une fille n'ont entré dans les motifs qui la faisoient ou admettre ou refuser. Une dame de grande qualité avoit donné à Port-Royal, comme bienfai.. trice, une somme de quatre-vingt mille francs: cette somme fut aussitôt employée, partie en charités, partie à acquitter des dettes, et le reste à faire des bâtiments que cette dame elle-même avoit jugés nécessaires. Elle n'avoit eu d'abord d'autre 'dessein que de vivre le reste de ses jours dans la maison, sans faire de vœux; ensuite elle souhaita d'y être religieuse. On la mit donc au noviciat, et on l'éprouva pendant deux ans avec la même exactitude que les autres novices. Ce temps expiré, elle pressa pour être reque professe. On prévit

tous les inconvénients où l'on s'exposeroit en la refusant; mais comme on ne lui trouvoit point assez de vocation, elle fut refusée tout d'une voix. Elle sortit du couvent outrée de dépit, et songea aussitôt à revenir contre la donation qu'elle avoit faite. Les religieuses avoient plus d'un moyen pour s'empêcher en justice de lui rien rendre; mais elles ne voulurent point de procès. On vendit 'des rentes, on s'endetta, en un mot on trouva moyen de ramasser cette grosse somme, qui fut rendue à cette dame par un notaire, en présence de M. Le Nain, maître des requêtes, et de, M. Palluau, conseiller au parlement, aussi charmés tous deux du courage et du désintéressement de ces filles, que peu édifiés du procédé vindicatif et intéressé de la fausse bienfaitrice..

Un des plus grands soins de la mère Angélique, dans les urgentes nécessités où la maison se trouvoit quelquefois, c'étoit de dérober la connoissance de ces nécessités à certaines personnes qui n'auroient pas mieux demandé que de l'assister, « Mes filles, disoit-elle souvent à ses religieuses, nous avons fait vœu de pauvreté: est-ce être pauvres que d'avoir des amis toujours prêts à vous faire part de leurs richesses? >>

Il n'est pas croyable combien de pauvres familles, et à Paris et à la campagne, subsistoient des charités que l'une et l'autre maison leur faisoient. Celle des champs a en long-temps un médecin et un chirurgien, qui n'avoient presque

d'autre occupation que de traiter les pauvres malades des environs, et d'aller dans tous les villages leur porter les remèdes et les autres soulagements nécessaires ; et depuis que ce monastère s'est vu hors d'état d'entretenir ni médecin ni chirurgien, les religieuses ne laissent pas de fournir les mêmes remèdes. Il y a au-dedans du couvent une espèce d'infirmerie où les pauvres femmes du voisinage sont saignées et traitées par des sœurs dressées à cet emploi, et qui s'en acquittent avec une adresse et une charité incroyables. Au lieu de tous ces ouvrages frivoles où l'industrie de la plupart des autres religieuses s'occupe pour amuser la curiosité des personnes du siècle, on seroit surpris de voir avec quelle industrie les religieuses de Port-Royal savent rassembler jusqu'aux plus petites rognures d'étoffes pour en revêtir des enfants et des femmes qui n'ont pas de quoi se couvrir, et en combien de manières leur charité les rend ingénieuses pour assister les pauvres, toutes pauvres qu'elles sont elles-mêmes, Dieu, qui les voit agir dans le secret, sait combien de fois elles ont donné, pour ainsi dire, de leur propre subsistance, et se sont êté le pain des mains pour en fournir à ceux qui en manquoient; et il sait aussi les ressources inespérées qu'elles ont plus d'une fois trouvées dans sa miséricorde, et qu'elles ont eu' grand soin de tenir secrètes.

Une des choses qui rendoit cette maison plus recommandable, et qui peut-être aussi lui a

attiré plus de jalousie, c'est l'excellente éducation qu'on y donnoit à la jeunesse. Il n'y eut jamais d'asile où l'innocence et la pureté fussent plus à couvert de l'air contagieux du siècle, ni d'école où les vérités du christianisme fussent plus solidement enseignées: les leçons de piété qu'on y donnoit aux jeunes filles faisoient d'autant plus d'impression sur leur esprit, qu'elles les voyoient appuyées, non seulement de l'exemple de leurs maîtresses,, mais encore de l'exemple de toute une grande communauté, uniquement occupée à louer et à servir Dieu. Mais on ne se contentoit pas de les élever à la piété, on prenoit aussi un très grand soin de leur former l'esprit et la raison, et on travailloit à les rendre également capables d'être un jour ou de parfaites religieuses, ou d'excellentes mères de famille. On pourroit citer un grand nombre de filles élevées dans ce monastère qui ont depuis édifié le monde par leur sagesse et par leur vertu. On sait avec quels sentiments d'admiration et de reconnoissance elles ont toujours parlé de l'éducation qu'elles y avoient reçue; et il y en a encore qui conservent, au milieu du monde et de la cour, pour les restes de cette maison affligée, le même amour que les anciens Juifs conservoient, dans leur captivité, pour les ruines de Jérusalem. Cependant, quelque sainte que fùt cette maison, une prospérité plus longue y auroit peut-être à la fin introduit le relâchement ; et Dieu, qui vouloit non seulement l'affermir dans le bien, mais la

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