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Cette jurisprudence est conforme aux principes que nous avon's exposés.

Mais elle n'est pas applicable si l'intimé, en concluant au fond, s'est réservé spécialement le droit d'interjeter appel incident (1).

Il en serait de même s'il avait fait de pareilles réserves en signifiant le jugement de première instance, quoique dans des conclusions ultérieures il en eût demandé la confirmation (2).

L'appel incident serait encore recevable lors même que les réserves faites en concluant au bien jugé, n'auraient pas été bien spéciales. Il est reconnu que les conclusions prises simplement sous toutes réserves, conservent les droits de l'intimé (3), pourvu que des actes, par lui signifiés, il ne résulte pas la volonté de renoncer à ce droit (4).

Lorsque l'appelant fait défaut et que l'intimé conclut à ce que le jugement dont est appel soit confirmé purement et simplement, il semble que le droit d'appel incident est implicitement abandonné. Aussi a t-on plusieurs fois décidé que l'intimé ne pouvait plus l'exercer s'il ne se l'était pas réservé (5).

Cette doctrine peut être fondée pour le cas où l'intimé conclut sans réserve à la confirmation du jugement dont est appel, ct au débouté de l'opposition dirigée contre l'arrêt confirmatif par l'appelaut; alors, les parties sont dans le même cas que s'il y avait conclusions contradictoires entre elles, et par suite, l'intimé ne demandant que la confirmation de la décision des premiers juges, on peut dire qu'il renonce à en appeler s'il n'en fait pas la réserve, soit formelle, soit explicite.

Mais, peut-on dire qu'il a fait cette renonciation, lorsque l'appelant principal ne se présentant pas, il y a eu nécessité de demander uniquement contre lui la confirmation du jugement dont était appel? nous ne le pensons pas. Si la confirmation seule pouvait être réclamée contre lui par l'intimé, on ne peut dire que celui-ci, en la demandant, ait renoncé au droit d'appeler incidemment.

p. 332; Bordeaux, 28 juillet 1827, t. 33, p. 342; Agen, 5 août 1824, t. 28, p. 335; Rennes, 3 août 1819, t. 19, p. 215, vo Ressort, n. 257; Agen, 16 février 1813; Bruxelles, 3 février 1813; Cass., 31 octobre 1809, 6 frimaire an 13, 11 fructidor an 9, t. 3, p. 62, vo Appel, n. 22; Toulouse, 23 nov. 1824, t. 32, p. 167.

(1) Angers, 25 février 1829, t. 36, p. 332, et Cass., 15 juillet 1828, t. 35,

P. 288.

(2) Cass., 15 juillet 1828; Grenoble, 29 mai 1821, t. 23, p. 199 et t. 55, p. 288; Cass, 20 décembre 1815, t. 3, p. 434, vo Appel, no 259; Cass., 15 décembre 1830, t. 41, p. 376.

(3) Cass., 26 août 1825, t. 25, p. 325; 17 avril 1853, t. 44, p. 310. (4) Cass., 30 décembre 1824, t. 27, p. 314.

(5) Cass., 23 janvier 1810; Agen, 16 fév. 1813; Bourges, 8 mars 1812, 16 juin 1815, t. 3, p. 62, vo Appēt, uo 22.

D'ailleurs, admettons qu'il y ait renoncé; il le recouvrera par le fait de l'opposition que son adversaire aura faite à l'arrêt par défaut confirmatif. Car cette opposition replacera les choses au même état qu'avant l'arrêt; tout sera remis en question. La chose jugée par la décision de première instance sera au néant jusqu'à l'arrêt définitif, et sous prétexte que l'intimé y a acquiescé en demandant par défaut sa confirmation, on ne pourra lui dire qu'il ne peut la faire réformer incidemment, pas plus qu'on n'aurait pu le lui dire sous prétexte qu'il y avait acquiescé en la signifiant à son adversaire. L'intimé peut se borner à demander son renvoi pour cause de désertion de l'appel de la part de l'appelant; il n'a même pas besoin de conclure au fond.

Les tribunaux ont fini par confirmer notre doctrine (1). Faisons observer, au surplus, que l'intimé peut quelquefois ne renoncer au droit d'appeler incidemment que par rapport à une partie du jugement. Tel serait le cas où il appellerait d'un seul chef. Il est évident qu'alors il se rendrait non recevable à demander la réformation des autres, sous prétexte qu'il peut appeler incidemment en tout état de cause, et que l'appel principal de son adversaire a tout remis en question (2).

Il serait encore non recevable à appeler sous le même prétexte d'un chef qui rejetterait un moyen de forme, si ce moyen devait être représenté en appel avant toutes conclusions au fond, et s'il ne l'a pas invoqué avant de conclure au bien jugé. Nous avons donné un exemple de ce cas dans une dissertation J. A., t. 43, pag. 13; nous y renvoyons au lieu de répéter les développements qu'elle contient. Il faudra donc que l'intimé qui, en première instance, a présenté un moyen de forme et un moyen au fond dont le second seul a été accueilli par les juges, ait bien soin de ne conclure en appel à la confirmation de leur jugement contre l'appelant défaillant, qu'après avoir invoqué le moyen de forme en termes exprès. Plus tard, il ne pourrait plus en exciper sur l'opposition de son adversaire à l'arrêt par défaut confirmatif.

Or, si les premiers juges l'ont rejeté formellement, il faudra qu'il prenne la voie de l'appel incident contre le chef contenant ce rejet (3).

Mais s'ils n'ont qu'omis d'y faire droit, il n'aura pas besoin, pour l'invoquer, de recourir à cette voie; car, comment appelierait-il d'un non chef de jugement (4)?

(1) Bourges, 30 janvier 1827, t. 33, p. 127; Toulouse, 29 février, 7 avril 1832, t. 45, p. 673.

(2) Poitiers, 27 juillet 1824, t. 27, p. 318.

(5) Cass., 18 juin 1816, t. 3, p. 455, vo Appel, no 260; Agen, 1 juillet 1824, t. 28, p. 150.

(4) Bourges, 25 avril 1825, t. 29, p. 295; Orléans, 19 juin 1829, t. 45, p.727.

Tel est l'état de la jurisprudence sur l'appel incident. Nous croyons pouvoir finir, en répétant que ce droit a été faussement envisagé par la plupart de ceux qui en ont parlé; ils n'y ontvu qu'une défense contre l'appel principal. I fallait, au contraire, y voir une conséquence de l'appel principal, qui remettant toute la chose jugée en litige entre les deux parties, donne forcément à l'intimé les mêmes droits qu'à son adversaire. Les arrêts que nous avonsrapportés nous paraissent tous découler de ce principe, que l'appel incident a lieu, non parce que l'intimé a cette qualité, mais parce que tout est remis en question entre lui et son adversaire, et qu'il doit cesser d'avoir lieu lorsque cet état vient à cesser entre cux, c'est-à-dire, lorsqu'il n'y a plus de litige sur la chose jugée (1).

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Un jugement par défaut, éteint à défaut d'exécution dans les six mois, peut-il être ravivé, au préjudice des tiers, par la volonté du défaillant?

2° Lorsqu'un jugement par defaut a prononcé une condam nation contre plusieurs débiteurs solidaires, l'exécution dans le délai légal, envers un seul de ces débiteurs, empéche-t-elle que la péremption ne soit acquise pour les autres ?

Cette théorie des jugements par défaut, avec ses rigueurs provisoires, ses voies de recours ol ses cas indéterminés de rétractation; la nécessité de fixer un terme aux fuites et aux détours de la mauvaise foi; la répression des abus qui filtrent à travers cette variété" d'accidents; toutes ces choses à prévoir et à combiner, devaient faire surgir une foule de difficultés que les législateurs anciens et modernes ont essayé de résoudre avec plus ou moins de bonheur.

Croyez que ce serait encore un insurmontable écueil pour la vanité de ce radicalisme, qui se reprend à rêver aujourd'hui la destruction de nos Codes, et qui n'a rien à mettre à leur place, si ce n'est la simple équité de la loi de nature, que chacun expliquerait et applique rait à sa manière: sentimus autem non deesse nasutudos, sciolos; qui ingenii ambitione excitati, doctrină verò cassi, æquum quid esset judicent, quod maximè est iniquum (3). 11 serit curieux de voir les naïves règles de l'âge d'or aux prises avec les vieilles ruses d'un siècle tant expérimenté, et avec cet art de corruption et de fraude qui a forcé la justice à devenir elle-même un art.

(Note inédite de M. Bonccnne, placée au commencement du chapitre des › Jugements par défaut.

(1) Metz, 24 août 1813, t. 3, p. 402, vo Appel, no 241.

(2) L'honorable M. Borcenne à bien voulu nous communiquer deux dissertations inédites dont nous nous empressons d'enrichir nos cahiers. L'au-· teur de la théorie de la Procédure civile n'est jamais au-dessous de lui-même: que nos lecteurs en jugent en le lisant.

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Ces dissertations, comme celle que nous avons rapportée dans le tome 44, p. 141, sont extraites de la première partie du troisième volume de l'ouvrage de M. Bonceune.

(3) Wissembach, Disput. ad leg. 90, ff. de reg. jur.

Il est dit, au Code civil, que les créanciers, ou toutes autres personnes ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, sont fondés à l'opposer, quoique le débiteur y renonce (art. 2225). D'où je conclus qu'un jugement éteint, à défaut d'exécution dans les six mois, ne peut être ravivé, au préjudice des tiers, par la volonté du défaillant.

Cette conclusion a besoin d'être expliquée. Voici un exemple: Il s'agit d'un ordre ouvert pour la distribution du prix d'une vente d'immeubles, entre les créanciers hypothécaires. L'un d'eux a pris inscription en vertu d'un jugement par défaut qui n'a point été exécuté dans les six mois, mais que le débiteur a tenu pour exécuté par une déclaration d'acquiescement. Les autres créanciers dont le rang est plus éloigné, repoussent le premier, et lui disent: Vous n'avez plus de jugement, partant plus d'hypothèque, plus d'inscription.

Si l'acquiescement du débiteur a une date certaine, s'il a été enregistré avant l'expiration des six mois, les créanciers

contestants ont tort.

En recevant cet acquiescement, au lieu de passer outre et d'exécuter, quand il le pouvait encore, le porteur du jugement a rempli dignement le vœu de la loi toujours favorable à cette espèce de satisfaction réciproque qui termine un litige. S'il l'eut repoussée, s'il eût impitoyablement procédé par saisie de meubles, par expropriation forcée, par emprisonnement, sa créance se serait gonflée d'une énormité de frais, et les facultés du débiteur commun ne se trouveraient pas dans un état plus rassurant. Les autres créanciers sont donc sans intérêt, sans raison et sans droit, pour quereller un jugement, l'hypothèque et l'inscription.

"

Le maintien du jugement et de ses effets ne se fonde-t-il que sur une déclaration du débiteur, laquelle n'aurait point acquis la certitude légale de sa date avant l'échéance des six mois? la question n'a plus le même aspect. Rien ne prouve que l'acquiescement a remplacé l'exécution dans le temps où elle devait être faite; car la date, quelle que soit celle qu'on y ait apposée, ne peut remonter au-delà du jour où la pièce a été produite. Le débiteur n'a pas eu la puissance de rendre meilleure, à son gré, la condition d'un créancier, et de le relever des nullités ou des déchéances que la dernière heure des six mois avait scellées. Ici revient ce principe du Code civil: toute personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, a le droit de l'opposer, quoique le débiteur y renonce.

On objecterait en vain que c'est une exception personnelle au débiteur, pour en induire que les créanciers ne peuvent exercer les droits et les actions qui sont exclusivement attachés à sa personne (1). Il n'y a de droits exclusivement atta

(1) Code civil, art, 1166, C'est ce que dit M, Carré, t. 1, p. 388, à la note

chés à la personne, dans le sens de l'article 1166 du Code civil, que ceux qui ne passent pas aux héritiers, ou qui, étant de nature à expirer avec la personne, ne peuvent pas être cédés par elle de son vivant: quæ personæ sunt, non transeunt ad hæredem (1). Je ne crois pas qu'on aille jusqu'à prétendre que la prescription ou la péremption d'un jugement ne peut être opposée par les héritiers de la partie condamnée. Or, les droits qui passent aux héritiers, passent aux créanciers; et, sans qu'il soit besoin d'entrer dans une discussion incidente dont le développement serait fort long, l'article 2225 du Code civil ne fait-il pas assez connaître que le droit de faire valoir une prescription acquise, n'est pas un de ces droits exclusivement attachés à la personne du débiteur?

On ne serait pas plus heureux en ajoutant, avec M. Carré (2), « que les tiers seuls pourraient quereller la certitude de Ja date; que les créanciers ne sont pas des tiers à l'égard de leur débiteur; qu'ils sont ses ayants-cause, et qu'ils n'ont pas qualité pour se prévaloir d'un moyen auquel il a renoncé (3). L'article 2225 est encore là pour répondre. Il y a sans doute beaucoup de cas où les créanciers sont les ayants cause de leur débiteur, mais ils ne le sont plus, toutes les fois que le débi teur a traité ou contracté au préjudice d'un droit que e la loi les autorise à faire valoir. L'acquéreur aussi est, en général, l'ayant cause de son vendeur. Cependant l'acquéreur d'une maison ou d'un bien rural peut expulser le fermier qui n'a pas un bail authentique, ou un bail dont la date soit certaine avant la vente (4). La collision des intérêts en fait un tiers. M.Toullier lui-même qui, de tous les auteurs, est celui dont Ja doctrine a donné la plus vaste portée à la représentation des ayants-cause, «ne voit pas comment on irait jusqu'à considérer les créanciers saisissants ou poursuivants l'ordre, comme les ayants-cause du débiteur. On ne peut donc pas, continue-t-il, leur opposer les actes sous seing privé consentis à l'un d'eux par ce dernier. Ils ont le droit de critiquer, commic périmé, un jugement par défaut non exécuté, en vertu duquel l'un d'entre eux prétend exercer une hypothèque judiciaire.La péremption est une prescription, etc. (5).»

(1) L. 196, ff. de regulis juris. Voyez sur cette distinction des droits attachés à la personne, et de ceux qui ne le sont pas, M. Merlin, Questions de Droit, ve Hypothèque, § 4, n. 4.

(2) Tome 1, p. 388.

(3) C. C., art. 1522 et 1328. Notez que M. Carré convient que la péremption du jugement par défaut, non exécuté dans les six mois, est une véritable prescription.

(4) Code civil, art. 1743.

(5) Tome 8, p. 582 et suiv.

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