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quelles dominait l'autorité de la cour du roi, contre laquelle nul pourvoi n'était possible; ce qui limitait et affaiblissait considérablement l'autorité des seigneurs;

Les grands bailliages sont appelés à réviser les sentences rendues contre les hommes des classes inférieures; ce qui assurait une justice aux plus humbles de ses sujets;

Les juges des seigneurs perdent leur juridiction lorsqu'il y a débat entre eux sur leur compétence, et alors les causes sont attribuées à la cour du roi; ce qui augmentait la puissance de la royauté, dans un grand nombre de circonstances graves;

Obligation imposée aux juges de statuer, dans de brefs délais; ce qui assurait une justice active et énergique à tous les justiciables;

Dans les accusations graves, l'accusé et l'accusateur sont provisoirement mis en prison; ce qui empêchait les accusations téméraires et les vengeances des accusés puissants;

Réglements sages donnés aux avocats, dont la mission était de défendre les plaideurs qui ne pouvaient pas eux-mêmes se défendre devant la justice; ce qui assurait des protecteurs à tous les pauvres, à tous les faibles, à tous les opprimés.

Tels sont les caractères principaux des Etablissements de saint Louis. Nous le répétons, c'était là une véritable révolution sociale: un ordre public, une justice civile étaient constitués. Ce nouvel état de choses enlevait nécessairement au clergé l'influence immense qu'il avait acquise pendant le long sommeil

de la justice et des lois, et c'est par cette raison que nous avons cru nécessaire d'insister sur la portée et sur la valeur de ces Etablissements.

6. Presque en même temps que saint Louis publiait ses Etablissements, paraît, en 1268, la pragmatique (1) pour régler la position de ses sujets avec la cour de Rome. Les églises de France auront la liberté de leurs élections; les exactions de la cour de Rome sont défendues, et nulle levée d'argent ne peut être imposée sans le consentement du roi; les libertés, franchises, immunités et droits accordés par les rois à l'Eglise sont maintenus (2).

L'authenticité de cette pragmatique a été révoquée en doute (3); la meilleure raison est que l'original n'existe pas et n'est pas indiqué dans les collections qui la rapportent. On ajoute que, depuis saint Louis jusqu'à Charles VII, elle n'est relatée nulle part; qu'elle porte une formule ad futuram rei memoriam, sans exemple dans nos lois françaises; qu'elle parle des empiètements des papes, dont personne ne se plaignait au treizième siècle; qu'elle condamne les taxes de la cour de Rome, chose fort extraordinaire

(1) Pragmatique signifie une ordonnance portée par le prince sur des affaires ecclésiastiques.

(2) Voyez le texte à la suite de ce volume: Appendice no 1o.

(3) Voyez l'ouvrage de M. Guillemin, Memorandum des Libertés de l'Eglise gallicane, p. 61; M. l'abbé André, Cours alphabétique de droit canon, t. IV, p. 404; et d'Héricourt, des Lois ecclésiastiques, lettre F, chap. XI, avec la note.

lorsque saint Louis demandait des taxes pour ses croisades; et enfin il n'y est pas question des droits de régale, l'une des plus grandes difficultés du treizième siècle.

La première de ces objections contre l'authenticité de la pragmatique de saint Louis, est la plus considérable. Les ordonnances et déclarations de nos rois de cette époque ont été recueillies, en général, ou dans les registres de la chambre des comptes, ou dans les archives de l'Etat, et d'anciennes abbayes: la pragmatique se trouve dans les recueils, sans aucune indication de son texte primitif. Seulement, la collection de Fontanon indique qu'elle a été prise sur un livre manuscrit du collège de Navarre. Mais nous ferons remarquer que plusieurs autres ordonnances sont acceptées sans indication de l'original. Il n'est pas étonnant que, dans le cours des siècles, la minute ait pu disparaître.

Sous Charles VII, elle était considérée comme authentique. La collection des ordonnances du Louvre cite ce passage d'une défense de la pragmatique de Charles VII par le parlement de Paris : Tempore sancti Ludovici... is se... custodem et propugnatorem ecclesiarum sibi commissarum præbuit (1); et dans la glose d'un auteur de ce temps, Guymier, président des enquêtes au parlement de Paris, on lit: Ad tempora beati Ludovici... Romani pontifices... nisi sunt electiones impedire, et onera pecuniaria beneficiis

(1) Voyez Recueil des ordonnances, t, Jer, p. 98.

imponere; iterum decrevit electiones in suo regno fieri debere, exactionesque cessare (1). Comment le parlement et les jurisconsultes eussent-ils osé se prévaloir d'une autorité de cette importance, si elle n'eût pas existé, et se rendre coupables d'un faux en la supposant contre toute vérité ?

Les autres arguments n'ont rien de grave: la formule ad futuram rei memoriam ne se retrouve en effet ni dans les ordonnances précédentes ni dans celles qui ont suivi; mais rien n'était moins fixe alors que les formules des ordonnances de nos rois : elles varient perpétuellement. Il est possible, qu'à raison de la grande importance de la pragmatique, le prince ait voulu lui imprimer, par cette formule, une plus grande autorité. Dans tous les cas, si elle avait été fabriquée du temps de Charles VII, ses fabricateurs auraient été assez habiles pour ne pas lui donner un cachet qui en eût décélé la fausseté, et qui, d'ailleurs, n'était pas celui de leur siècle.

On ajoute que personne ne se plaignait, du temps de saint Louis, des empiètements de la cour de Rome. Cette réflexion est peu conforme à l'opinion du père Daniel, qui s'exprime ainsi : C'est lui qui a commencé à donner en France de fortes bornes à l'autorité ecclésiastique, laquelle n'y en avait point depuis plusieurs siècles (2). Il est impossible que saint Louis, si

(1) Voyez collection de Pinsson de Electionibus cap. licet, p. 147, édit.

de 1566.

(2) Histoire de France du père Daniel, t, IV, p. 260.

économe, si occupé des intérêts de ses sujets, n'ait pas pris des mesures pour empêcher de faire sortir les richesses de son royaume, sans sa permission.

Mais, dit-on, comment pouvait-il défendre les taxes, lui qui en avait un si grand besoin pour ses croisades? C'est justement parce que les croisades devaient épuiser ses sujets, qu'après avoir imposé des taxes au nom de la Religion, il ne devait pas permettre qu'on les imposât encore, sans son consentement, dans l'intérêt particulier de la cour de Rome.

Enfin, on s'étonne que la pragmatique ne parle pas du droit de régale, qui cependant était l'objet de sérieuses difficultés. Elle ne pouvait pas en parler, car la régale était un droit réservé au roi sur les évêchés et sur les bénéfices vacants, droit contesté par le clergé. La pragmatique n'avait pas pour objet de consacrer ou de confirmer les droits de la couronne, mais seulement d'empêcher des abus de la puissance ecclésiastique.

La pragmatique est en harmonie parfaite avec l'ensemble de la législation de saint Louis; et, sur les points les plus essentiels, elle n'est que la confirmation d'ordonnances antérieures.

En effet, l'article 1er attribue les élections aux églises. Cette question des élections était l'une des grandes querelles de la puissance temporelle avec la puissance ecclésiastique; c'est un objet capital de la pragmatique. Or, en 1190, une ordonnance de PhilippeAuguste dit positivement, article 9, que les élections

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