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nement, il y avait eu depuis le jour du débarquement (14 juin) jusqu'à celui de la prise d'Alger, deux mille trois cents hommes mis hors de combat, dont quatre cents tués; d'autres récits portent ce dernier nombre à six cents, et augmentent de beaucoup celui des blessés ou malades, dont plus de huit cents furent envoyés à Mahon où l'Espagne avait permis d'établir un hôpital. Mais l'occupation d'Alger a peut-être ensuite coûté plus de monde que la conquête, à raison des maladies occasionées par les variations du climat, par les bivouacs, et surtout par la négligence et l'intempérance du soldat, malgré la surveillance qu'on pût y mettre.

Alger conquis, la présence de Husseyn-Pacha et de la milice. turque ou des janissaires y devenait embarrassante pour les vainqueurs. La vie de l'ex-dey n'était même pas en sûreté au milieu des janissaires irrités, qui attribuaient leurs malheurs, les uns à son opiniâtre orgueil, les autres à sa faiblesse; et on avait jugé prudent de lui donner pour garde une compagnie de grenadiers. On le pressait donc de partir, en lui laissant le choix de sa retraite. Comme il n'était pas tenté de chercher un asile dans les États ottomans, des Anglais lui avaient suggéré l'idée de se retirer à Malte, sous la protection de la Grande-Bretagne. Il lui fut répondu que la France ne se chargerait pas de Fy transporter. Il proposa ensuite Livourne; puis il se décida enfin pour Naples qu'il avait visitée en venant de Constantinople à Alger. Le général en chef y consentit. L'amiral Duperré mit une frégate (la Jeanne d'Arc, capitaine Lettré) à sa disposition, et il fut embarqué le 10 juillet avec son trésor particulier (évalué de 3 à 4, 5 et même à 9 millions), son harem, qui se composait de trois femmes, avec Ibrahim-Aga, son gendre, sa famille, et une suite d'environ cent personnes des deux sexes. La frégate qui le portait mit à la voile le 11 juillet, relâcha le 13 à Mahon, où elle fit une quarantaine de dix jours, et débarqua le 3 août à Naples, où le dey a passé tout l'hiver.

Husseyn -Pacha, né à Andrinople vers 1764, fils d'un officier d'artillerie au service de la Porte, y avait reçu quelque éducation dans l'école spéciale fondée par le célèbre baron de Tott.

Son zèle et son intelligence l'avaient élevé rapidement au rang d'oda-baschi dans le corps des topschis ou canonniers; mais son caractère irascible et opiniâtre l'ayant exposé un jour à un châtiment sévère, il s'était enrôlé dans la milice d'Alger.

Plus instruit que ses camarades, il sut bientôt se faire remarquer et obtenir de l'avancement. Attaché à son prédécesseur AliKhodgea, il avait contribué à l'élever à la dignité de dey (1817), et partagea son autorité comme premier ministre; et après son règne de quatre mois il devint son successeur d'une manière inouïe dans Alger, sans élection, sans résistance et sans effusion de sang. C'était lui qui avait conseillé à Ali-Khodgea de s'enfermer dans la Casaubah avec le trésor, et de s'y entourer d'une garde indigène (les zouaves), étrangers au corps des janissaires... Il conserva cette résidence et cette garde particulière comme son prédécesseur; mais plus habile que lui dans les ménagemens qu'il eut pour les janissaires, plus modéré dans l'emploi des moyens tyranniques dont les deys d'Alger faisaient usage pour satisfaire leur avidité dévorante, il avait régné sans trouble et sans réaction pendant douze ans, et peut-être fût-il mort sur le trône sans sa querelle avec la France. Il disait à quelques Français qui allèrent le voir avant son départ, «qu'il avait commis une grande faute en s'atti«rant la colère d'une puissance comme la France, mais que natu<< rellement irascible et obstiné (il se reconnaissait lui-même ces <«< deux défauts), il avait cru pouvoir s'abandonner sans crainte à << ces passions dangereuses en voyant les basses intrigues, le ton « servilement abject des agens consulaires des puissances euro«péennes, et particulièrement du consul français Deval. Je me re« proche, ajouta-t-il, de ne lui avoir pas fait expier par le cordon « sa fausseté, sa lâcheté et ses criminelles manœuvres qui ont causé << ma perte. Si je l'avais fait périr, je ne serais pas plus mal, << puisque j'ai perdu le trône et que la vie m'importe fort peu: * j'aurais eu la satisfaction de m'être vengé (1). »

(1) Considérations sur la régence d'Alger, par M. le baron Juchereau de Saint-Denis,

Quoique résigné à son sort, Husseyn-Pacha, conservant toujours la fierté du rang qu'il venait de perdre, avait attendu vainement. chez lui, dans la maison où il s'était retiré pendant deux jours, la visite du général en chef. Il dut ensuite céder à la nécessité et faire le premier pas. Il n'eut que deux entrevues avec M. de Bourmont; mais il s'y montra plein de reconnaissance pour la conduite attentive et généreuse des Français à son égard, et leur donna, dit-on, sur la conduite qu'ils avaient à tenir pour conserver leur conquête, des renseignemens et des conseils dont les événemens postérieurs ont prouvé la justesse et la sincérité (1).

Le départ de l'ex-dey fut suivi (12, 13 juillet) de celui d'une grande partie des janissaires non mariés qui occupaient les casernes d'Alger, et qui furent embarqués au nombre d'environ quinze cents.

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(1) Débarrassez-vous le plus tôt possible, disait-il, des janissaires turcs. Accontumés à commander en maitres, ils ne pourront jamais consentir à vivre dans l'ordre et la soumission. Les Maures sont timides, vous les gouvernerez sans peine; mais n'accordez jamais une entière confiance à leurs discours. Les Juifs qui sont établis dans cette régence sont encore plus lâches et plus corrompus que ceux qui habitent Constantinople. Employez-les parce qu'ils - sont intelligens dans les matières fiscales et de commerce; mais ne les perdez jamais de vue; tenez toujours le glaive suspendu sur leurs fètes. Quant aux • Arabes nomades, ils ne sont pas à craindre. Les bons traitemens les rendent dociles et dévoués. Des persécutions vous les feraient perdre.promptement; « ils s'éloigneraient avec leurs troupeaux et porteraient leur industrie jusque dans les plus hautes montagnes, et même dans le Bilédulgerid, ou bien « ils passeraient dans les États de Tunis. Quant aux féroces Kabyles, ils n'ont jamais aimé les étrangers, ils se détestent entre eux. Évitez une guerre « générale contre cette population guerrière et nombreuse®: vous n'en tireriez * aucun avantage; mais adoptez à leur égard le système le plus constamment suivi par les deys d'Alger; c'est-à-dire divisez-les, et profitez de leurs que⚫ relles.

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Quant aux gouverneurs de mes trois provinces, dont j'ai eu lieu d'être mé⚫ content dans cette dernière campagne, changes les.. - (Ibid.)

Ici Husseyn-Pacha entrait dans quelques détails sur les trois beys, sur celui de Tittery qu'il signalait comme un fourbe et un traître, sur celui de Constantine qui était sans courage et sans caractère, sur celui d'Oran, honnête homme, mais mahométan rigide aimé dans sa province, et ennemi des chrétiens portraits sévèrement tracés, mais dont on a été forcé de reconnaître la fidélité.

On leur fit délivrer à chacun, au moment de leur départ, cinq

piastres d'Espagne. La même faveur fut accordée aux hommes mariés qui demandèrent à partir, ainsi qu'à chacun de leurs enfans, et ils furent, aux frais de la France, conduits d'Alger jusqu'à Vourla près de Smyrne, sur les côtes de l'Asie mincure, où ils portèrent à la fois la nouvelle de la conquête et le témoignage de la générosité du vainqueur. Ils ne purent se défendre d'en témoigner leur étonnement et leur reconnaissance. Les autres furent autorisés à rester jusqu'à ce qu'ils pussent se défaire de leurs meubles et de leurs biens-fonds. On les désarma, ils promirent de rester tranquilles, et tout reprit dans Alger l'aspect de la confiance et de la paix.

Mais la mesure qui parut d'abord contribuer le plus à faire renaître la sécurité générale fut l'établissement d'une commission de gouvernement choisie entre les Français civils ou militaires jugés les plus instruits en administration, et d'un conseil municipal composé de Maures et de Juifs, sous la direction d'un lieutenant général de police, qui était en même temps membre du conseil du gouvernement (M. d'Aubignosc). Mais la division ne tarda pas à se mettre entre les Maures et les Juifs, qui cherchaient à se nuire réciproquement. Le même inconvénient se fit remarquer relativement au changement qu'on voulut introduire dans l'ordre judiciaire après le départ de l'ancien cadi turc. On crut devoir soumettre les Turcs et les Koul-Oglous restés à Alger, comme les Maures, à la juridiction d'un cadi maure, et les Juifs à celle de leurs rabbins. Les causes entre les musulmans et les Juifs étaient portées en première instance par-devant le cadi maure; mais pour ne pas laisser les Juifs à la merci de leurs anciens maîtres, la faculté de l'appel leur fut ouverte par-devant une cour de justice composée de Français, institutions qui produisirent d'abord une espèce d'ordre, mais qui excitèrent des mécontentemens dans la population, dont on blessait les mœurs et les préjugés, et qui subirent ensuite bien des changemens.

On s'était flatté que la prise et la pacification d'Alger entraînerait la soumission des tribus arabes qui étaient retournées dans leurs montagnes, et surtout celle des chefs des trois provinces. Le bey

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de Tittery fut le premier à venir faire da sienne : il se rendit de sa personne à la Casaubah; il jura solennellement devant le cadi ture obéissance et fidélité à la France, et malgré le sage conseil de Husseyn on le confirma dans le gouvernement de sa province.

D'après la capitulation, qui cédait à la France tous les droits de souveraineté sur la régence, il convenait à ses intérêts qu'on s'em pressât de prendre possession des points les plus importans du lit toral maritime.

La politique exigeait qu'on ne laissât point refroidir les impressions favorables produites sur la population indigène par les der nières victoires des Français et la prise de la capitale. Le général en chef envoya donc son fils aîné au bey d'Oran, qui ne refusait point de faire sa soumission, ni même de remettre la place d'Oran et ses dépendances aux Français; mais sous prétexte de son grand âge, il ne voulait pas consentir à garder le gouvernement de lá province au nom de ses conquérans. Néanmoins, pour donner une preuve de sa franchise, il remit le fort de Mars-el-Kibir à un détachement de marins pris dans les équipages des deux bricks de guerre qui avaient escorté le négociateur, et il offrait de recevoir une garnison française dans la ville même d'Oran, où l'on envoya en effet le 21 régiment de ligne, dont le colonel Goutefrey remplit les fonctions de gouverneur.

Pendant que le fils aîné du général en chef remplissait heureusement cette mission, une division de la flotte sous les ordre du contreamiral de Rosamel portait du côté de Bone une brigade d'infanterie, accompagnée d'une batterie de campagne et d'un détachement des sapeurs du génie. Cette expédition, commandée par le maréchal de camp comte Danremont, eut tout le succès qu'on en espérait; elle avait été demandée par les habitans de cette ville, souvent victimes des brigandages des Kabyles, qui habitent les montagnes voisines. Ce peuple accueillit les Français comme des libérateurs; cependant le général Danremont n'en jugea pas moins prudent de faire réparer la citadelle (aussi nommée la Casaubah), et d'élever des retranchemens armés de canons sur les points les plus abordables de la ville; précautions qui ne furent pas inutiles, car il eut à soute

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