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nir plusieurs attaques de la part des Kabyles, qu'on a cru excités par le bey de Constantine, qui était resté sous les armes et ne répondait pas aux lettres qui lui furent écrites pour l'engager à se

soumettre.

On a vu que le bey de Tittery s'était rendu le premier au quartier général. Il avait engagé le comte de Bourmont à faire une tournée jusqu'au pied de l'Atlas et à visiter la ville de Blida, qu'il voulait faire joindre à son gouvernement, assurant que la présence du chef de l'armée française aurait pour effet immédiat la soumission de toute la province.

D'autres notables du pays, et surtout le nouveau syndic des Arabes, qui préparait alors un arrangement pacifique entre les Français et les scheiks arabes de la province d'Alger, représentaient à M. de Bourmont que le bey de Tittery, reconnu dans le pays comme le plus fourbe des hommes, travaillait à l'attirer dans un piége, et il le conjurait au moins de ne pas s'aventurer aussi loin de la capitale avant d'avoir terminé cette importante négociation et de s'être assuré des dispositions amicales de toutes les peuplades environnantes; mais le comte de Bourmont avait promis d'aller à Blida, pour voir lui-même l'état du pays et prévenir les troubles dont il était menacé. Il venait de recevoir le brevet de maréchal de France (18 juillet) (1); il ambitionnait la gloire d'arborer le drapeau blanc sur l'Atlas.

(1) M. de Bourmont avait adressé, dès le lendemain de la prise d'Alger, au ministre de la guerre, une longue liste de propositions pour des avancemens en grades ou des décorations. Il demandait même une gratification pécuniaire de 3 millions pour cette brave armée qui venait de conquérir un si riche trésor et tant de gloire à la France. On se contenta d'envoyer d'abord à son général le bâton de maréchal de France et trois croix de Saint-Louis, deux pour ses fils, Charles et Amédée; l'autre pour le jeune Bessières qui s'était distingué dans plusieurs actions. La croix destinée pour Amédée ne pouvait plus orner que son tombeau. Les deux officiers ne voulurent porter leur décoration qu'après qu'on aurait fait justice à leurs camarades. Mais on avait chicané dans le cabinet du dauphin, sur des demandes qu'on jugeait trop nombreuses pour une cam. pagne de trois semaines qu'on ne voulait pas comparer à celle d'Espagne. On renvoya les propositions pour être réduites, au grand regret de M. de Bour

La ville de Blida ou Belideah, située au pied du petit Alas, à hait lieues d'Alger, dans une campagne couverte de bosquets de citronniers et d'orangers, renommée pour ses eaux sulfureuses, peuplée de 2 à 3,000 habitans, était regardée comme l'entrepôt du commerce entre Alger et l'intérieur de l'Afrique... Elle avait toujours fait partie de la province d'Alger. Cependant le bey de Tittery, ayant eu envie de la joindre à son gouvernement, s'était empressé d'aller faire sa soumission et sa cour au général français le lendemain de la prise d'Alger. Mais d'autres considérations avaient fait changer les dispositions favorables que M. de Bourmont lui avait montrées à cet égard, et il venait de confier le gouvernement de ce district à un aga; décision qui excitait dans les tribus de Kabyles des mécontentemens qu'entretenait le bey de Tittery trompé dans son attente.

C'était pour en prévenir l'effet que le nouveau maréchal de France s'était décidé à faire le voyage de Blida. Le 23 juillet, il sortit d'Alger à quatre heures du matin, accompagné des généraux Desprez, La Hitte, d'Escars, Hurel, d'une foule d'officiers d'étatmajor, avec 1,500 hommes d'infanterie, un escadron de chasseurs et une demi-batterie de campagne. Il menait avec lui l'aga qu'il venait de nommer, pour l'installer dans sa résidence. On ne croyait avoir à faire qu'une promenade militaire, et la marche ne fut en effet interrompue que par des groupes d'Arabes qui venaient apporter au général l'hommage de leur soumission. On traversa sans obstacle les hauteurs qui s'élèvent en amphithéâtre au-dessus d'Alger, sur une mauvaise route, où se distinguaient encore des restes d'une ancienne voie romaine; et l'on se trouva, après avoir

mont. Mais lorsque son nouveau travail arriva à Paris, Charles X n'était plus sur le trône.

Ainsi la gloire de l'armée d'Afrique, et cette conquête immense méconnués, et en quelque sorte désavouées par l'esprit de parti, restèrent long-temps sans récompense. Le projet d'ériger une colonne rostrale sur la rade de Toulon en mémoire de cette grande expédition (ordonnance du 21 juillet) est tombé dans l'oubli, comme la souscription ouverte en faveur des soldats blesses, ou des venves et orphelins victimes de cette courte et illustre campagne.

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franchi un des affluens de l'Haracht, dans cette vaste plaine de de Metidja, plane comme la surface de la mer, s'étendant à perte de vue dans le sens de sa longueur, borné au sud par le petit Atlas, et au nord par la ligne de coteaux qui la séparent de la mer et de Sidi-Ferruch. Cette plaine inculte offrait des pâturages abondans, et des bouquets d'arbres en rompaient l'uniformité. Mais à mesure qu'on approchait de l'Atlas, le paysage s'embellissait de vastes champs de lauriers roses, des haies touffues de lentisques, d'oliviers, d'où sortaient de larges feuilles d'aloès et les grosses figues de Barbarie, des champs de tabac et de maïs, des blés coupés et des vignes chargées de grappes déjà mûres, annonçaient un pays cultivé et une population civilisée. Les troupes marchaient depuis douze heures par une chaleur brûlante, mais tempérée par une brise légère, lorsqu'on aperçut, au travers des jardins qui environnent la ville, les minarets de Blida. Toute la population mâle en était sortie pour venir au-devant des Français et leur offrir des rafraîchissemens et des fruits de toute espèce, qu'ils payèrent généreusement. Ils furent reçus dans la ville avec de grands témoignages de satisfaction, et une nuit tranquille leur fit oublier les fatigues de la veille.

Le lendemain matin, à cinq heures, le général alla reconnaître les sources des eaux limpides qui coulent de l'Atlas. Il installa dans ses fonctions l'aga, que les habitans parurent bien recevoir.

Tout y paraissait tranquille; cependant des groupes de Kabyles, descendus de l'Atlas, se montrèrent vers le soir, en assez grand nombre, jusque dans la ville, où leur présence semblait donner de l'inquiétude aux habitans eux-mêmes. A onze heures de la nuit, quelques coups de fusil se firent entendre autour de la maison, occupée par le général en chef. M. de Trelan, son premier aide de camp, qui allait par son ordre voir ce qui se passait, fut bientôt rapporté blessé mortellement d'une balle, et les bivouacs français furent inopinément attaqués: une fusillade assez vive s'engagea sur toute la ligne; on n'eut que le temps de se mettre en défense et d'opérer un mouvement de retraite. Les Kabyles arrivaient de tous côtés et attaquaient partout avec audace, sans se laisser intimider

par les décharges de l'artillerie. Cependant on se forma; on se mit en marche pour retourner à Alger, avec des tirailleurs pour avantgarde, et la cavalerie sur les flancs. Cette marche fut longue et périlleuse; des nuées de Kabyles harcclaieut nos troupes avec une audace et un acharnement qu'ils n'avaient jamais montrés. Plusieurs fois on fut obligé de se former en carré et d'employer l'artillerie pour les éloigner. Tout l'état-major se trouva même engagé dans une charge, où son chef, le général Desprez, faillit tomber entre les mains des Kabyles, qui ne cessèrent leurs attaques et ne s'éloi❤ gnèrent qu'à la vue des avant-postes d'Alger, près du pont de l'Haratch. Retournés à Blida, ils se vengèrent sur les Juifs et les Maures du bon accueil que la population avait faite aux Français: la ville entière fut livrée au pillage; mais l'aga et sa garde maure étaient heureusement revenus avec nos troupes.

Cette excursion, dont le but était manqué, donna la triste certitude que la population arabe était loin d'être soumise, comme on s'en était flatté; les négociations commencées avec quelques scheicks ou chefs de tribu se rompirent par l'idée que le mouvement opéré sur Blida avait pour but de couper leurs communications, de les envelopper et de les détruire successivement. Ils jurèrent de se venger; et au lieu de devenir des amis utiles, ils se montrèrent des ennemis implacables.

D'ailleurs, quoique cette retraite précipitée eût encore montré l'immense supériorité des troupes françaises sur ces barbares, elle détruisit cette réputation d'invincibilité dont elles avaient joui, et comme on négligea de tirer une prompte vengeance de cette trahison, les environs d'Alger se couvrirent bientôt de brigands audacieux qui pillaient les cultivateurs, arrêtaient les caravanes qui apportaient des subsistances dans la ville et venaient massacrer jus➡ qu'à ses portes les malheureux Français qui s'éloignaient un peu de leurs cantonnemens.

Dans Alger même l'harmonie qui régnait entre eux et les naturels du pays diminuait et se détruisait visiblement de jour en jour. Les uns l'attribuaient à l'importance trop grande accordée aux Juifs, les autres à des infidélités dans le commerce avec les

Arabes sur la valeur des monnaies; quelques observateurs plus sévères, à la faiblesse de l'administration et à la mésintelligence ouverte qui régnait entre les états-majors de terre et de mer.

Quoi qu'il en fût de la cause réelle de ce changement, il s'annonçait par des symptômes irrécusables. Les habitans d'Alger, surtout les Turcs qu'on avait autorisés à rester jusqu'à ce qu'ils eussent vendu leurs maisons, et dont le désarmement n'avait été fait qu'inparfaitement, commençaient à montrer ouvertement leur haine : ils entretenaient des intelligences avec le bey de Tittery et les chefs de plusieurs tribus kabyles. Leur projet était d'exterminer en une nuit toute l'armée. Quelques empoisonnemens ou assassinats isolés donnèrent enfin l'éveil on saisit des voitures et des mulets chargés d'immondices qui cachaient des armes et des munitions de guerre envoyées aux Arabes du dehors. Une bande de Turcs osa, dans le même temps, attaquer à force ouverte la porte Bab-Azoun, et massacra plusieurs soldats du poste. Elle fut cernée et bientôt contrainte de se rendre. Un de ceux qui la composaient avoua qu'il se tramait depuis quelque temps un complot; que soixante mille Bédouins arabes de l'intérieur étaient attendus de jour en jour aux portes d'Alger, et qu'à leur apparition toute la population de la ville devait s'armer pour égorger les Français. Ces révélations, trop bien justifiées par la découverte d'un dépôt d'armes, la garnison prit les armes, les batteries des forts furent tournées vers la ville; une quarantaine de révoltés ou de conspirateurs, traduits devant un conseil de guerre, furent fusillés ou pendus dans la journée du 29 juillet; trente Turcs des plus notables furent arrêtés et reçurent l'ordre de payer une contribution extraordinaire de huit millions; on mit le séquestre sur leurs biens; on usa de rigueur; on leur fit entendre que leurs têtes tomberaient s'ils s'obstinaient à refuser de payer la contribution. Mais de simples menaces ne parurent à ces Turcs qu'un vain bruit; ils persistèrent à soutenir qu'ils n'avaient rien, et finirent par lasser les autorités françaises, qui, ne voulant pas employer les moyens usités en pareil cas chez ces barbares, cessèrent toutes poursuites. On se contenta de faire embarquer tous les Turcs valides qui se trouvaient encore dans

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