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jours après. Selon des bruits répandus sur les premières séances de la commission et sur des opinions émises dans des réunions privées, la majorité des pairs se prononçait contre le système du ministère et contre l'inconvenance parlementaire du dernier paragraphe du discours de la couronne; mais il régnait une grande. divergence d'idées sur la réponse qu'il convenait d'y faire; et dans cet état des esprits et des choses, les plus modérés de l'opposition pensèrent et firent entendre à leurs collègues qu'il serait plus sage et plus séant à la dignité de la pairie d'éviter une discussion orageuse dont l'issue n'était pas bien assurée, de ne répondre au paragraphe où le gouvernement semblait se réserver à lui seul le droit de surmonter des obstacles qui le menaçaient, qu'en rappelant au ministère l'obligation de ne pas sortir des voies parlementaires et constitutionnelles. Telle était la situation du ministère et la faiblesse de son parti, qu'il s'estima heureux d'échapper à une censure directe, et qu'il fut convenu qu'aucun de ses partisans n'élèverait la voix pour s'opposer au projet d'adresse qui fut présenté à la Chambre dans la séance du 9 mars par M. le comte Siméon.

Il suffit de comparer les paragraphes avec ceux du discours de la couronne pour y voir une leçon et même un blâme sévère sous les formes du dévouement le plus respectueux.

Le premier besoin du cœur de V. M., dit cette adresse, est de voir la France jouir en paix de ses institutions. Elle en jouira, sire. Que pourraient en effet des insinuations malveillantes contre la déclaration si expresse de votre volonté, de maintenir et de consolider ces institutions? La monarchie en est le fondement; les droits de votre couronne y resteront inébraulables : ils ne sont pas moins chers à votre people que ces libertés. Placées sous votre sauvegarde, elles fortifient les liens qui attachent les Français à votre trône et à votre dynastie et les leurs rendent nécessaires. La France ne veut pas plus de l'anarchie que son Roi ne veat du despotisme.

« Si des manœuvres coupables suscitaient à votre gouvernement des obstacles, ils seraient bientôt surmontés, non pas seulement par les pairs défenseurs héréditaires du trône et de la Charte, mais aussi par le concours simultané des deux Chambres, et par celui de l'immense majorité des Français; car il est dans le vœu et dans l'intérêt de toas que les droits sacrés de la couronne demeurent invariables et soient transmis inséparablement des libertés nationales aux successeurs de V. M. et à nos derniers neveux, héritiers de notre confiance et de notre amour.»

Le reste du projet n'était que la paraphrase ou la contre-épreuve

du discours royal; mais on doit pourtant remarquer qu'au paragraphe de la Grèce la réponse ne s'était exprimée que bien vaguement sur le choix du prince ou sur le désintéressement des puissances, et qu'en ajoutant le mot de légitimité sur les affaires de Portugal, elle jetait quelque doute sur l'opinion de la Chambre à l'égard de don Miguel, qu'elle ne prenait aucun engagement sur la guerre d'Alger; et quant au remboursement de la rente, déjà rejeté par la noble Chambre sous le ministère Villèle, elle insistait sur la nécessité de combiner le triple intérêt des contribuables, des capitalistes et de l'État, sans s'écarter jamais du respect pour les droits de chacun et des principes de justice qui avaient fondé et élevé si haut le crédit.

Lecture faite de ce projet d'adresse, M. levicomte de Châteaubriand prit la parole, non qu'il voulût, disait-il, y proposer aucun changement, car ce projet lui paraissait grave, plein de mesure, de convenance, de dignité. Il lui semblait fort surtout par les choses qu'il ne disait pas, et que l'illustre orateur se décidait à dire :

« Je l'avoue, dit S. S., c'est à mon corps défendant, et après de longues hésitations, que je me suis résolu à monter à cette tribune. Jamais je n'ai tant désiré la paix, jamais je n'ai été moins disposé à me jeter au milieu des orages; il a fallu six mois entiers de provocations, il a fallu m'entendre traiter d'apostat et de renégat, par ordre ou par permission, pour qu'enfin je me crusse obligé de m'expliquer. Au reste, je pardonne de grand cœur à ceux qui m'ont prodigué les outrages.

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Je désire quatre choses pour mon pays, messieurs; la religion sur les autels de saint Louis, la légitimité sur le trône d'Henri IV, la liberté et l'honneur pour tous les Français.

« Je n'ai point douté que les ministres du jour n'eussent l'intention de maintenir ces quatre choses; mais j'ai pensé, dès le premier instant, que, par la nature même de la composition du Conseil, ils inquièteraient les intérêts publics; j'ai pensé qu'en voulant trouver la France ancienne dans la France nouvelle, ils pourraient mettre la réalité en péril pour saisir ou pour combattre des chimères, »

Le noble pair passait légèrement, mais en jetant quelque blâme sur la disgrâce de M. Donatien de Sesmaisons, sur le choix qu'on faisait d'un prince dévoué à l'Angleterre pour s'asseoir sur le trône de la Grèce, sur l'hésitation du ministère dans l'affaire du Portugal, et sur le projet de l'expédition d'Alger pour laquelle on avait cru devoir solliciter la permission de l'Angleterre.

Arrivé aux affaires de l'intérieur, M. de Châteaubriand s'étonnait et s'affligeait des bruits qui circulaient et que confirmait le discours du trône; mais le ministère actuel ne lui semblait pas assez fort pour hasarder des coups d'État, et en considérant l'état actuel de la France, il n'y voyait pas de raison d'ébranler le trône par des mesures extraordinaires, de se lancer aveuglément dans une carrière semée d'abîmes.

Je le répète, disait l'illustre pair, la France, avant le 8 août, était tombée dans le plus profond repos; le Roi, entouré d'amour et de respects, n'avait plus qu'à jouir da spectacle des bienfaits qu'il avait répandus sur ses peuples. Toat principe de mouvement était détruit dans les masses; elles avaient obtenu ce qu'elles avaient demandé : la liberté et l'égalité par et devant la loi. Où étaient-ils, ces grands ennemis de la légitimité, contre lesquels la résistance des anciens ministres se trouvait insuffisante? Chose désirable, en effet, pour les vrais partisans de la liberté, qu'une usurpation, républicaine on monarchique, dont le premier acte forcé serait d'ôter à la France la liberté de la presse et la liberté de la parole. Il y a une force dont j'oserai me vanter, parce que, le cas échéant, je ne tirerais pas cette force de moi, mais de la nature des choses; qu'on mette devant moi une usurpation quelconque, et qu'on me laisse écrire : je ne demande pas un an pour ramener mon Roi, ou pour élever mon échafaud. La liberté est la première alliée de la légitimité : que celleci la mette de son côté, et elle se peut rire de toutes les ambitions conjurées contre elle.

« Cette liberté est aussi, messieurs, la première sûreté de votre existence aristocratique. Les priviléges de l'autre Chambre sont la plus forte garantie des votres. Ces faiseurs de théories qui, dans l'état actuel des mœurs, supposent qu'une Chambre héréditaire pourrait se maintenir seule au milieu de la nation et remplacer la représentation nationale, sont ou les plus aveugles, ou les plus insensés des hommes.

- Nobles pairs, toute révolution venant d'en bas est aujourd'hui impossible; mais cette révolution peut venir d'en haut; elle peut sortir d'une administration égarée dans ses systèmes, ignorante de son pays et de son siècle. Je renferme mes pensées; je contiens mes sentimens; je ne développe rien ; je n'approfondis rien; je ne lève point le voile qui couvre l'avenir; je laisse ce discours incomplet, parce que mon attachement à la légitimité arrête et brise mes paroles. Royaliste, je n'hésite point sur les rangs où je dois me placer aujourd'hui; je demanderais seulement qu'on m'indiquât le poste où je devrais consommer mon sacrifice, si un seul mot de Charles X ne pouvait dissiper les périls et les ténèbres que l'on a répandus sur la France.

Tout ce que je ne dis point ici, messieurs, je désirais le dire à S. M., en la suppliant de m'accorder la douloureuse permission de déposer à ses pieds ses bienfaits. Qui sait ce qu'une voix fidèle, émue, sortant du cœur et des entrailles d'un royaliste, aurait pu produire? Cette voix, il ne m'a pas été accordé de la faire entendre. Après le Roi, messieurs, je ne connais pas de juges plus élevés et plus respectables que mes nobles collègues. C'est donc aux pairs de France, aux premiers soutiens du trône que j'ai osé confier une faible partie de mes craintes et de mes sentimens.

Les dernières lignes du discours de la couronne ne justifient que trop la

triste prévoyance qui m'a obligé d'interrompre une carrière aussi conforme à mes goûts qu'à mes études. Je n'ai point abandonné sans regret le poste honorable que le Roi m'avait confié.

On a pris ces regrets pour du repentir; je le conçois : il y a des hommes qui auraient des remords d'abandonner la fortune. Quant à moi, messieurs, j'étais bien peu fait pour tant d'éclat, d'honneurs et de richesses. Je suis rentré dans mon obscurité comme ces émigrés, mes anciens compagnons d'armes et de souffrances, que je retrouvai sur la route de Gand. Il semblait que l'exil nous était naturel; nous avions la sérénité de la bonne conscience, la satisfaction du devoir accompli: nous suivions le Roi.

<< Ne voulant, messieurs, ni repousser le beau travail de votre commission, ni me séparer de ceux de mes nobles amis qui donnent leur assentiment au projet d'adresse, par la raison que ce projet n'a rien ni d'approbatif, ni de laudatif, désirant ainsi ne faire aucune opposition à la majorité de la Chambre; mais d'un autre côté, ne pouvant m'empêcher de trouver le projet d'adresse insuffisant dans les circonstances graves où nous sommes, ma résolution est de m'abstenir de tout vote, afin de garder à la fois les convenances des liaisons parlementaires, et de satisfaire à mes scrupules politiques. ›

Après ce discours, que la situation et la conduite postérieure de l'illustre orateur rendent plus intéressant à conserver, M. l'amiral Verhuel présenta des considérations sur les dangers et les obstacles que l'expédition d'Alger pouvait offrir, considérations motivées par l'expérience et la connaissance qu'il avait des lieux, et qu'il terminait en suppliant les ministres de ne pas s'engager légèrement dans une guerre dont il était impossible de calculer les périls et les dépenses.

Ils assistaient tous à cette séance; mais aucun d'eux ne prit la parole, même pour répondre à M. de Châteaubriand. Était-ce aveu de leur impuissance ou résultat d'un accord avec leur parti, ou crainte de soulever plus de mécontentement dans l'autre Chambre? Il y a quelque chose de tout cela.

Quoi qu'il en soit, le projet d'adresse fut adopté séance tenante, sauf quelques légères modifications dans les termes, à l'unanimité des voix, 226 moins une seule (sans doute celle de M. de Châteaubriand), et la présenta le lendemain (9 mars) au Roi, qui se montra très satisfait de ce que la Chambre avait « parfaitement compris « et senti tout l'ensemble de son discours. »

Ici, comme après toutes les batailles d'un succès douteux, les deux partis chantèrent victoire; l'un, tout en regrettant les formes nécessaires de l'adresse, triomphait d'y voir cette maxime,

que la monarchie était le fondement de nos institutions; l'autre y remarquait avec plus de raison que la Chambre repoussait d'une manière explicite la possibilité des coups d'État, et faisait nettement comprendre aux ministres que des mesures extra-légales n'auraient jamais son assentiment.

C'était la première fois que la Chambre des pairs s'écartait, dans ses communications avec le trône, du langage réservé de l'étiquette la plus obséquieuse. Une protestation d'attachement à la Charte, en réponse à une phrase menaçante pour cette Charte et pour l'autre Chambre, était un acte de courage inattendu de la part de celle-ci. Le Roi, malgré sa réponse étudiée, y vit une leçon indirecte, et s'en montra ensuite fort mécontent. Au fond, c'était déjà un échec pour le ministère Polignac, mais dont l'effet et la sensation se perdirent bientôt dans l'intérêt des débats et de la lutte qui commençaient dans l'autre Chambre.

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