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avoir inutilement essayé de faire accepter la suspension d'armes, se décidèrent à quitter le Louvre et à se retirer sur les Tuileries; mais ce mouvement s'exécuta sans ordre, sous l'impression de la terreur qui venait de frapper l'imagination des soldats. Ils arrivèrent en confusion sur le Carrousel, sans essayer d'arrêter les assaillans, sans voir même qu'ils n'avaient qu'une poignée de monde à leur poursuite. Ils retrouvèrent des lanciers et d'autres Suisses sur la place, où la suspension d'armes était encore observée. Mais comme on continuait à tirer sur eux de la rue Royale et des fenêtres du Musée, les hostilités reprirent de plus belle, et les combinaisons du maréchal en furent encore une fois dérangées.

La terreur panique qui avait saisi le bataillon du Louvre se communiqua rapidement aux troupes qui tenaient le Carrousel; elles se précipitèrent pêle-mêle, lanciers et suisses, par l'arc de triomphe et par la porte du pavillon du milieu, dans le jardin; des pelotons, forcés d'attendre pour avoir passage, firent au hasard quelques décharges sur les Parisiens qui débouchaient par les rues Royale et de Rohan, et leur tuèrent quelques hommes, entre lesquels un jeune rédacteur du Globe, M. G. Farcy, dont on voit encore l'inscription funéraire à la place où il est tombé. Le maréchal Marmont, qui ne pouvait s'attendre à cette bagarre, quitta précipitamment le quartier général, où fut abandonné une partie de l'argent qu'on destinait à la gratification des troupes.. Il se retira par la rue de Rivoli, et rentra dans le jardin des Tuileries, en donnant aux deux bataillons de la Banque et du PalaisRoyal l'ordre de suivre son mouvement. La retraite était difficile pour ceux qu'on avait postés dans les maisons de la rue SaintHonoré, aux coins des rues de Rohan et de l'Échelle. Quelquesuns d'eux y furent massacrés. Les autres parvinrent à rejoindre leur corps. Le peuple s'était précipité dans la cour des Tuileries sur les pas des Suisses et des lanciers. Une partie se jeta dans les appartemens, qui furent livrés au pillage. L'autre voulait percer dans le jardin; mais quelques coups de canon arrêtèrent la poursuite et permirent aux bataillons de s'y reformer, et au maréchal de faire ses dispositions pour opérer sa retraite sur Saint-Cloud.

Les bataillons et la cavalerie qui occupaient la place Louis XV se mirent en mouvement, les premiers par la route de Neuilly, suivis à peu de distance des Suisses qui sortaient du jardin, d'autres bataillons entremêlés avec le 15° léger et un bataillon du 50°, furent dirigés sur les barrières de Chaillot. Des tirailleurs parisiens, qui suivaient le mouvement des colonnes, les harcelèrent dans leur marche. Les habitans de Chaillot et de Passy voulurent même disputer le passage des barrières, que la troupe n'opéra pas sans perdre encore quelques officiers ou soldats. L'infanterie, dirigée sur la barrière de Neuilly, prit en sortant l'avenue ou la nouvelle route de Charles X. La cavalerie devait filer par le pont de Neuilly; mais les habitans de ce village et ceux de Courbevoie avaient barricadé le pont, et se préparaient à défendre le passage. La cavalerie fut obligée de revenir, pour traverser le bois de Boulogne, à la porte Maillot, où arrivèrent presque en même temps, par la route de la Révolte, les batteries de la garde qui étaient à Vincennes, et qui avaient tourné Paris.

Les deux colonnés, ayant traversé le bois, se réunirent au rondpoint de la porte du village de Boulogne, où elles rencontrèrent. M. le dauphin, accompagné de deux aides de camp. Elles se formèrent en bataille pour le recevoir. On crut que le prince allait à Paris et qu'il voulait haranguer les troupes; mais, après avoir parcouru rapidement et dans un silence morne le front des bataillons et des escadrons, il rentra à Saint-Cloud, et les troupes consternées continuèrent leur route sur le même point.

Il ne restait plus à Paris, au moment où le maréchal en sortait, que le bataillon de l'École Militaire et le dépôt des Suisses, restés dans la caserne de la rue de Babylone. Le premier corps, prévenu à temps, parvint à gagner le pont de Grenelle en passant par la barrière Desaix, et arriva sans perte sérieuse au bois de Boulogne. Le dépôt snisse eut à soutenir une des attaques les plus chaudes des trois journées. Une masse de peuple composée de jeunes gens, à la tête desquels figuraient des élèves de l'École Polytechnique, formée dès le matin à l'Odéon, s'y était portée dans le dessein de s'emparer de la caserne, où se trouvaient 150 à 200 hommes, la

plupart recrues. Le major (M. Dufay), commandant du dépôt, vieux militaire qui servait en France depuis trente ans, et qui avait fait les plus glorieuses campagnes, ne voulut écouter aucune, proposition. Il plaça ses soldats en partie dans la cour, en partie aux fenêtres, d'où ils tiraient sur les assaillans. La fusillade durait ainsi depnis quelques heures, et sans produire beaucoup d'effet, lorsque les jeunes élèves de l'École Polytechnique s'avisèrent de mettre le feu à la grande porte de la caserne, avec des bottes de paille et des mèches phosphoriques. Le major, voyant alors l'épouvante gagner ses soldats, et craignant l'incendie de la caserne, voulait battre en retraite par les derrières; mais la grande porte incendiée donna passage aux assaillans, qui se précipitèrent dans la caserne, où le combat s'engagea avec plus de fureur. Une partie des Suisses y périt avec leur brave major. Le reste parvint à se sauver et rejoignit le régiment à Saint-Cloud. La caserne fut ensuite livrée au pillage, comme toutes celles de la garde royale où le peuple avait pénétré. On en amena un vieux canon en fer, qui fut promené dans Paris comme un trophée de la victoire...

C'est la dernière scène du drame sanglant dont Paris était le théâtre depuis trois jours, catastrophe moins mémorable par le nombre des victimes (1) que par le caractère de la lutte et les conséquences de la victoire.

On n'a point entrepris d'en suivre les détails, de décrire des combats partiels qui se livrèrent dans toutes les rues, c'eût été tenter l'impossible. On s'est contenté de peindre les masses de ce grand tableau. L'esprit de parti, l'exaltation du triomphe, il faut le dire, ont grossi, exagéré, inventé même une multitude de faits obscurs; mais, il est vrai, les détracteurs de la révolution de juillet

(1) Des relevés, faits avec une exactitude irrécusable, ont établi la perte des trois grandes journées, du côté du peuple, à 788 individus tués, et à 4,500 blessés. D'après une évaluation moins certaine, la gaide royale et la gendarmerie n'auraient en que 250 hommes tués, et environ 500 blessés. L'hôpital du Gros-Caillou, seul, en a reçn 243, dont 15 y sont morts; les blessures des autres n'ont pas été assez graves pour les empêcher de suivre leurs régimens.

sont forcés d'en convenir, que jamais le peuple, la dernière classe du penple qui a presque seule soutenu cette lutte meurtrière, n'a montré, dans aucune révolution et dans aneun pays, plus de valeur dans le combat, plus de modération dans le désordre, et de géné rosité dans la victoire. On a vu des malheureux déguenillés, noireis par la poudre et la fumée du combat, couverts de sueur par ur.c chaleur de 28 degrés (Réaumur), haletans de soif, épuisés de fatigue et de faim, rejeter l'argent qu'on leur offrait, n'accepter que du vin trempé d'eau, ne demander que des armes et de la poudre, n'envier que le plaisir de retourner à la bataille; ils respectaient la neutralité des curieux; ils s'empressaient, au milieu du feu même, à relever les blessés, ceux de l'ennemi comme les leurs; dès le 28 au soir, les hôpitaux en étaient encombrés; le matin 29, il s'établissait des ambulances; partout il se trouvait des chirurgiens pour panser les blessures, des femmes généreuses pour apporter du linge et des secours de toute espèce. Aucune de ces barbarics si communes dans les soulèvemens populaires n'a souillé la victoire, și ce n'est le massacre d'un petit nombre de soldats de la garde royale, trouvés les armes à la main dans les maisons de la rue Saint-Honoré, d'où ils n'avaient cessé de tirer sur le peuple, car la plupart furent épargnés et mis en liberté de rejoindre leurs camarades. Quelques gendarmes s'étaient cachés presque nus dans les caves de l'hôtel des affaires étrangères ; ils furent heureusement sauvés par M. Casimir Périer de la vengeance des vainqueurs. Quant aux excès qu'on pouvait attendre dans l'absence de tonte espèce d'autorité, résultats ordinaires de pareils événemens, il a été reconnu qu'on n'avait pris, les deux premiers jours, chez les armuriers et dans les casernes, que des armes et des munitions; des malfaiteurs, échappés des prisons, se sont, le troisième jour, mêlés aux combattans; c'est à eux, et à leurs complices, habiles à profiter de pareilles occasions, qu'on doit attribuer le pillage de l'archevêché et celui des Tuileries, dont les caves furent vidées et le mobilier saccagé. Mais les monumens publics, les grands établissemens, les dépôts de la richesse et de la splendeur de l'État, le Trésor, la Banque, le Musée, les Archives des administrations, ont été respectés; le peuple, à me

sure qu'il en prenait possession, y mettait des sentinelles, qui firent leur devoir comme tout à l'heure les soldats de la garde royale, et ils ont été conservés intacts pour le gouvernement qui allait remplacer la royauté de Charles X...

La part du vainqueur faite, l'histoire devra aussi sa justice aux vaincus, si l'on peut appliquer une pareille expression à ces soldats dont il faut admirer la constance, la bravoure et la fidélité, tout en déplorant l'usage qu'on en voulait faire. La garde royale seule a eu à combattre des forces décuples de la sienne, et on peut dire, sans méconnaître ou déprécier l'incontestable énergie du peuple, que partout, excepté dans la déroute du Louvre, elle a eu l'avantage que devaient lui donner sa discipline et la supériorité des armes; elle n'a cédé qu'aux difficultés amoncelées devant elle et dans le genre d'attaque et de défense, le plus défavorable aux troupes régulières, c'est-à-dire dans la guerre aux fenêtres. Quoi qu'on ait dit de leur aveugle dévouement, la répugnance des soldats de la garde, française du moins, à faire usage de leurs armes sur le peuple, était visible; ils n'ont fait feu qu'après avoir essuyé une grêle de pierres et même des coups de fusil. L'histoire dira d'ailleurs que dans ce soulèvement d'une immense population, il ne s'est pas élevé un cri en faveur de la dynastie qui s'écroulait, et ces braves malheureux, qui se croyaient engagés par l'honneur militaire et la foi du serment à tirer sur leurs concitoyens, n'ont pas entendu derrière eux, pour les soutenir dans cette horrible lutte, un encouragement des royalistes répondre aux imprécations du peuple; et combien d'eux auraient pu dire avec ce vieux grenadier d'Austerlitz, qui tombait frappé d'une balle populaire devant le PalaisRoyal: J'étais pourtant un bon Français!

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