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CHAPITRE VII.

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Suite de l'insurrection parisienne. - Réunion des députés chez M. Laffitte.— Délibération. Nomination d'une commission provisoire de gouvernement et du général Lafayette, comme commandant des gardes nationales.— Installation de cette eommission et du général à l'Hôtel-de-Ville.—Premiers actes du gouvernement provisoire. - Premiers symptômes de dissentimens politiques.-Consternation de la cour à Saint-Cloud.-Position des troupes. -Abrogation des ordonnances. Renvoi du ministère. Nomination de nouveaux ministres. — Commissaires envoyés à Paris. — Refus de recevoir les propositions de la cour.-Projets de relever la république ou la dynastie de Napoléon.-Lieutenance générale du royaume déférée au duc d'Orléans. -Proclamation de la commission municipale aux Parisiens, et des députés au peuple français. Scènes de l'Hôtel-de-Ville.-Départ de Charles X de SaintCloud. Effet de la nouvelle de l'insurrection et de la révolution dans les provinces. —Actes du lieutenant général du royaume.-Retraite de Charles X à Rambouillet.—Commissaires et troupes envoyés pour décider sa sortie du royaume.—Abdication du Roi et du dauphin en faveur du duc de Bordeaux. -Itinéraire tracé pour conduire la famille royale à Cherbourg. ment de la garde royale.

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L'INSURRECTION parisienne était victorieuse, mais la révolution n'était que commencée; Paris était depuis deux jours sans gouvernement; et les diverses factions du parti libéral, d'accord pour combattre, pour renverser celui qui venait d'être vaincu, étaient fort divisées sur le partage de la succession. Les dissentimens politiques avaient déjà percé dans les diverses réunions de députés. On s'était accordé la veille au soir (le 28) sur la publication de la protestation de M. Guizot, mais non sur la part que les députés devaient prendre comme députés au mouvement. Plusieurs se proposaient de se jeter dans les rangs des combattans; mais on avait ajourné toute autre mesure au lendemain.

29. Ce jour-là, en effet, dès six heures du matin, plusieurs députés ou pairs de France, M. Alex. de Laborde, le duc de Choiseul, avaient repris l'uniforme de la garde nationale. La réunion, indi

quée chez M. Laffitte, eut lieu à midi. Les députés y affluèrent; l'occupation de l'Hôtel-de-Ville par le peuple était connue. Il n'y eut plus d'opposition à constituer un gouvernement provisoire. On décida unanimement qu'il fallait pourvoir au salut de la patrie; donner des chefs au mouvement populaire, et prévenir l'anarchie par l'institution d'un gouvernement provisoire. Il fut arrêté que le général Lafayette aurait le commandement supérieur des forces parisiennes, et le général Gérard, qui s'offrit de servir, comme adjoint ou sous les ordres du vétéran de la liberté, eut la direction des opérations actives et des troupes.

Déjà le général Lafayette avait été en uniforme de la garde nationale prendre possession de l'Hôtel - de - Ville, d'où l'on avait fait disparaître le buste de Louis XVIII, brisé celui de Charles X, et déchiré les tentures fleurdelisées de la grande salle. M. de Lafayette y fut reçu par le général Dubourg, qui ne conserva que peu de jours un commandement. Le général Gérard, accompagné d'un état-major improvisé, et le général Pajol qui lui fut adjoint, rallièrent ou formèrent les régimens qui venaient d'embrasser la cause populaire et parcoururent les différens quartiers de Paris, où ils étaient accueillis partout avec les cris, non plus de Vive la Charte! mais de Vivent la patrie et la liberté!

Peu de temps après, on apprit que les 5o et 53° régiment de ligne fraternisaient avec le peuple et étaient disposés à se mettre à la disposition du gouvernement provisoire, puis la prise du Louvre et des Tatteries, et enfin la retraite des troupes. On procéda à la nomination d'une commission municipale, chargée des affaires générales et autorisée à faire tout ce qu'exigeait ou qu'exigerait le salut de l'État. Les premiers membres désignés au scrutin secret furent MM. Jacques Laffitte, Casimir Périer, le comte de Lobau, Odier (qui n'accepta point), Audry de Puyraveau, Mauguin, et M. de Schonen en remplacement de M. Odier.

Vers quatre à cinq heures, les membres de la commissiou municipale allèrent s'installer à l'Hôtel-de-Ville; ils y arrivèrent escortés d'un grand nombre de députés, d'avocats, de notabilités dans le parti libéral, à travers des barricades, des canons enlevés

à l'Arsenal et à l'École Militaire, au milieu d'une foule immense, où l'on entendait entre les cris: Vive la liberté! ceux : 4 bas les Bourbons! Ils se constituèrent au milieu d'un désordre inévitable dans ces circonstances, entre des ruines et des cadavres encore amoncelés sur la place.

Le premier soin de la commission et du général Lafayette qui siégeait auprès, ou pour mieux dire, au-dessus d'elle, fut de réta blir la garde nationale, en invitant les anciens colonels et officiers à envoyer sur-le-champ un d'entre eux à l'Hôtel-de-Ville pour prendre les ordres du commandant et réorganiser le service. Il fut publié un ordre à toutes les troupes de la garde royale et de la ligne de se rendre daus les quarante-huit heures au camp provisoire qu'on allait établir à Vaugirard, avec promesse «qu'il ne leur serait fait aucun mal, que chaque militaire serait traité en frère, et re⚫cevrait ration et logement, en attendant des ordres ultérieurs. » H parut en même temps une proclamation du général Lafayette, qui leur déclarait, au nom de la population de Paris, qu'elle ne conservait aucun ressentiment contre les militaires, qu'elle était prète à fraterniser avec ceux qui reviendraient à la cause de la patrie et de la liberté. De son côté, la commission municipale invitait les habitans à rouvrir leurs boutiques, ou à reprendre leurs travaux, à illuminer le devant de leurs maisons jusqu'au moment où les réverbères brisés auraient été remplacés: elle mettait sous la sauvegarde des bons citoyens le Musée, le Jardin des Plantes et tous les établissemens publics. Des postes nombreux de garde nationale furent presque immédiatement placés au Trésor, à la Banque de France, à la Halle et aux grands magasins d'approvisionnemens de la capitale. Enfin, ce qui contribua plus efficacement à l'ordre et au repos, on fit faire à l'instant d'abondantes distributions de pain ou d'argent dans les divers quartiers, pour assurer la subsistance d'un grand nombre d'ouvriers qui combattaient depuis deux jours. Quelques citoyens généreux (M. Laffitte surtout) firent à cette occasion des sacrifices considérables.

L'administration du Trésor et des Finances ne pouvait être abandonnée plus long-temps; elle fut confiée à M. le baron Louis, sous

le titre de commissaire provisoire. Le service de la police et des postes n'était pas moins urgent. La préfecture du département fut remise provisoirement à M. Alexandre de Laborde, celle de la police à M. Bavoux, la direction des postes à M. Chardel, et celle des lignes télégraphiques à M. Marschal; de sorte que tous les courriers purent partir dans la nuit, ainsi que les diligences qui portaient avec le drapeau tricolore arboré sur leur impériale, la nouvelle de la révolution, et la révolution elle-même, dans les provinces livrées, depuis trois jours, aux angoisses de l'incertitude, mais qui s'éprirent presque toutes de l'élan et de l'enthousiasme qui venait de soulever la population parisienne.

La commission municipale était tout occupée de ses grands intérêts, lorsque arrivèrent à l'Hôtel-de-Ville trois commissaires envoyés de Saint-Cloud. Nous avons déjà dit le résultat de la délibération du dernier Conseil qui s'y était tenu après l'entrevue de M. de Semonville avec le Roi; elle n'avait pas été longue : tous les ministres avaient un égal empressement à déposer leur pouvoir. Il avait été rédigé une ordonnance contre-signée par le garde des sceaux, M. de Chantelauze, qui nommait M. le duc de Mortemart ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, et président du conseil des ministres. Deux autres ordonnances, contre-signées par le duc de Mortemart en sa nouvelle qualité, donnaient le département des finances à M. Casimir Périer, et celui de la guerre au lieutenant général comte Gérard. Une quatrième enfin rapportait les ordonnances du 25 juillet, et rétablissait l'ouverture de la session législative au 3 août...

Quelques jours, quelques heures plus tôt peut-être, cette concession aurait satisfait l'opinion publique et prévenu la catastrophe qui menaçait la dynastie; mais, soit illusion, soit espérance de ré. parer la défaite, et comme si l'on eût voulu s'assurer de l'esprit des troupes ou de la réalité des événemens, les réparations qu'on accordait à la nécessité ne furent complétement décidées ou publiées qu'après le retour du dauphin à Saint-Cloud. Quoiqu'on pût espérer encore de l'opinion de quelques provinces et de l'appui de l'armée, force était de céder à la nécessité du moment, et MM. de

Semonville et d'Argout, qui étaient restés à Saint-Cloud pour attendre la décision royale, auxquels M. de Vitrolles fut adjoint, reçurent la mission d'annoncer à la commission municipale le rapport des ordonnances et le changement du ministère.

Arrivés à l'Hôtel-de-Ville vers dix heures du soir, ainsi que nous l'avons dit, ils furent introduits comme des missionnaires de paix; ils annoncèrent, au nom de Charles X, le rapport des ordonnances et la nomination d'un nouveau ministère, où les membres de la commission municipale avaient plusieurs amis; ils venaient, direntils encore, parler à la commission dans l'intérêt du Roi Charles X et de son auguste famille... Ils furent interrompus par un des membres: « Il est trop tard! s'écria M. Mauguin; réponse qui parut affecter désagréablement M. Casimir Périer, mais qui fut appuyée par M. de Schonen, et répétée avec plus de force par M. Audry de Puyraveau ; mot terrible qu'on a aussi attribué à M. Lafayette, mot qui précipitait du trône une dynastie, et qui retentira dans l'histoire; il interdisait toute réplique: il termina la conférence.

Le général siégeant dans une salle voisine, au milieu de son état-major, entouré des héros du jour, des jeunes élèves de l'École Polytechnique, des députés des barricades, des hommes les plus ardens du parti libéral, recevait en même temps des propositions. bien opposées. Déjà s'élevaient des voix qui demandaient la république, d'autres le fils de Napoléon avec une constitution basée sur les principes de la déclaration des représentans des cent jours; la plupart le suppliaient de ne pas permettre qu'on donnât un chef à la nation sans l'avoir consultée dans des assemblées primaires...

La nuit se passa à l'Hôtel-de-Ville à prendre les mesures les plus urgentes pour l'organisation de la garde nationale et des douze mairies; il fut arrêté que les scrutateurs définitifs des colléges, aux dernières élections, rempliraient les fonctions municipales, et qu'on prendrait pour maires et adjoints ceux qui auraient eu le plus de voix dans chaque arrondissement.

30 juillet. Le lendemain (vendredi), la capitale offrait un spectacle triste et touchant, autant que celui des jours précédens avait été grand et terrible: une foule de vieillards, de femmes et d'enfans

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