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lai, des mesures les plus urgentes, et surtout de la convocation immédiate des Chambres.

Une proclamation, adressée aux habitans de Paris, fut aussitôt publiée au nom du nouveau lieutenant général, pour les informer du vœu des députés et de son acceptation.

Je n'ai pas balancé à venir partager vos dangers, disait Son Altesse Royale, à me placer au milieu de votre héroïque population, et à faire tous mes efforts pour vous préserver des calamités de la guerre civile et de l'anarchie.

« En rentrant dans la ville de Paris, je portais avec orgueil les couleurs glorieuses que vous avez reprises, et que j'avais moi-même long-temps portées.

• Les Chambres vont se réunir, et aviseront aux moyens d'assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation.

• La Charte sera désormais une vérité, »

Les députés étaient convenus, après la résolution de la veille, de se réunir le lendemain dans le lieu ordinaire de leurs séances: ils étaient plus nombreux que dans aucune réunion précédente; on n'avait admis personne dans les tribunes, pour ne pas donner à cette réunion le caractère d'une séance législative, mais elle en eut toutes les formes. M. Laffitte, cédant aux vœux de plusieurs de ses collègues, prit le fauteuil, et invita MM. Guizot, Villemain, Berard et Benjamin Constant, à faire les fonctions de secrétaires. L'objet principal de cette réunion était d'entendre le rapport de la députation chargée d'aller porter à M. le duc d'Orléans la déclaration arrêtée la veille.

M. le général Sébastiani fit ce rapport en peu de mots, dans les termes que nous avons rapportés. On lut la proclamation que le prince venait de rédiger : elle fut accueillie par d'unanimes acclamations, et l'assemblée décida qu'elle serait imprimée à dix mille exemplaires.

M. le président, prenant ensuite la parole, fit une proposition trop remarquable pour ne pas être ici textuellement rapportée.

Il importe d'examiner, dit l'honorable député, si, dans la situation où se trouve la capitale, il ne conviendrait pas qu'un acte quelconque, sous le titre d'adresse og de proclamation, émanât de cette réunion, afin d'apprendre et d'expliquer à la capitale et à la France ce que les députés ont cru devoir faire dans l'intérêt de la chose publique, soit à Paris, soit dans les départemens,

Nous avons tous été surpris par des événemens qu'il ne nous était pas donné de prévoir. Nous nous croyions sous l'empire de la Charte. Forts de l'opinion publique nous attendions le 3 août. Vous le savez, nos lettres closes nous ont été remises en même temps que les ordonnances du 25. Ces ordonnances ont détruit la Charte; au règne des lois ont substitué la guerre civile. De là les catastrophes et les prodiges dont Paris a été le théâtre. Ne vous paraît-il pas couvenable de dire à la France ce que vous avez cru devoir faire dans ces solennelles circonstances? Il ne s'agissait plus pour vous de légalité; vous n'aviez plas à remplir vos devoirs ordinaires de députés; il s'agissait de sauver la patrie, de sauver les propriétés publiques et privées. En expliquant votre conduite et vos actes, vous recueillerez les actions de grâce et les bénédictions publiques.

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Cette proposition fut accueillie par un assentiment unanime, et la rédaction de la proclamation à faire, confiée aux membres du bureau. Quelques observations furent faites à cet égard; M. Labbeyde-Pompières demandait qu'il y fût déclaré que Paris avait sauvé et reconquis la liberté; M. de Salverte, qu'elle indiquât, d'une manière explicite et forte, les garanties que le peuple avait droit d'attendre, et, selon lui, la déclaration de la Chambre de 1815 (des cent jours serait un texte satisfaisant, auquel on pourrait n'apporter que de légères modifications; M. de Corcelles insistait sur la nécessité des stipulations désirées par M. de Salverte : elles lui semblaient nécessaires pour calmer l'effervescence des esprits, qui lui paraissait se manifester par des symptômes alar

mans.

M. Benjamin Constant partageait l'opinion du préopinant sur l'indispensable énumération de ces garanties, mais non pas les inquiétudes qu'il venait de manifester; il lui semblait facile de les dissiper. Lui aussi avait parcouru les rues de la capitale; partout il avait trouvé une population pleine d'enthousiasme et d'énergie, mais éclairée, pleine de confiance dans la sagesse et le patriotisme de ses députés. « Cette population veut des garanties, disait l'ora«teur, elle les veut fortement; mais elle ne veut point autre chose. M. Benjamin Constant ajoutait qu'il avait fait l'énumération des garanties qu'il croyait indispensables; qu'il allait les soumettre au bureau dont il faisait partie, pour en délibérer, et que l'assemblée ensuite en serait juge.

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La séance fut quelque temps suspendue pendant que les secré

taires (MM. Guizot, Villemain, Bérard et Benjamin Constant) rédi geaient le travail dont ils étaient chargés.

Ce projet de proclamation adressé au peuple français, attribué principalement à M. Guizot, et lu par lui à la tribune, aunonçait en peu de mots l'insurrection glorieuse de Paris contre un pouvoir usurpateur, et l'invitation faite par les députés réunis, en attendant l'intervention régulière des Chambres, à M. le duc d'Orléans d'exercer les fonctions de lieutenant général du royaume.

• Le duc d'Orléans, disait ce projet, est dévoué à la cause nationale et constitutionnelle; il en a toujours défendu les intérêts et professé les principes. Il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens. Nous, nous assurerous par des lois toutes les garanties nécessaires pour rendre la liberté forte et durable.

Le rétablissement de la garde nationale, avec l'intervention des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers; l'intervention des citoyens dans la formation des administrations départementales et municipales.

Le jury pour les délits de la presse; la responsabilité légalement organisée des ministres et des agens secondaires de l'adminstration.

L'état des militaires légalement assuré; la réelection des députés promus à des fonctions publiques.

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Nous donnerons enfin à nos institutions, de concert avec le chef de l'État, les développemens dont elles ont besoin. ›

Jusqu'ici tout était provisoire; mais ce projet consommait la révolution, établissait ses garanties, et prononçait la déchéance, annoncée dans la proclamation de la coinmission municipale : la lecture en fut souvent interrompue par les murmures d'une approbation unanime; il fut immédiatement mis aux voix sans discussion et voté d'enthousiasme. Il fut résolu de même qu'il serait à l'instant livré à l'impression, répandu par milliers d'exemplaires, et porté au lieutenant général du royaume; et MM. les dépatés, qui se trouvaient au nombre d'environ quatre-vingt-douze, se levèrent tous à la fois, et se rendirent en masse au Palais-Royal.

Le prince, après avoir reçu communication de cette proclamation, y répondit en peu de mots, dont voici la substance :

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Je déplore comme Français le mal fait au pays, et le sang qui a ⚫ été versé; comme prince, je suis heureux de contribuer au bonheur de la nation. Messieurs, nous allons nous rendre à l'Hôtelde-Ville »; et il partit immédiatement, ayant pour cortége les

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députés, une foule de gardes nationaux et de citoyens. Une popu lation immense se pressait sur leur passage, et ils furent partout accueillis par des acclamations par des cris de joie vive le duc d'Orléans! vive le lieutenant-général! vivent nos bons députés! vive la liberté ! vive Lafayette! auxquels se mêlaient déjà quelques vive la république !

A l'approche du prince et de son cortége, le général Lafayette, entouré de la commission municipale, de son état-major, et d'une foule de jeunes gens, la plupart élèves de l'École Polytechnique, s'avança, jusqu'au perron, au-devant du prince; ils s'embrassèrent avec une effusion de cordialité qui excita des transports populaires; et le prince, appuyé d'un côté sur les bras de M. Laffitte, de l'autre sur celui du général Lafayette, eut peine à fendre la foule qui se pressait autour d'eux pour arriver à la grand'salle, encombrée, comme toutes les pièces, d'une multitude d'officiers de toutes armes, et de citoyens de toutes conditions.

L'émotion générale que produisait un pareil spectacle étant un peu calmée, on se forma en cercle, et M. Viennet, député de l'Hérault, chargé par ses collègues de cette mission, lut à haute voix la proclamation des députés, dont tous les passages, et particulièrement la déférence de la lieutenance générale du royaume au duc d'Orléans, et les garanties stipulées pour les libertés publiques, furent accueillies par d'unanimes acclamations. Le prince y répondit en quelques mots, comme il venait de le faire au Palais-Royal, et s'avançant avec le général Lafayette, dont il serrait affectueusement la main, à la fenêtre de l'Hôtel-de-Ville, il salua à plusieurs reprises la population immense qui remplissait la place de Grève, en agitant un drapeau tricolore, symbole de la gloire et de la liberté qu'il promettait à la France (1); à quoi le peuple répondit

(1) Ce fut alors, dit la Tribune, qu'en lai montrant la place de Grève couverte d'hommes armés et de canons, tachée de sang et gardée par des barricades, le général Dubourg lui dit : « Monseigneur, vous connaissez nos be« soins et nos droits; si vous les oubliez, nous vous les rappellerons » Apos trophe inconvenante à laquelle le prince répondit avec dignité, et qui lat bientôt suivie de l'éloignement du général Dubourg.

par une explosion de joie et d'espérance; et le prince fut ramené dans son palais au milieu du même cortége, au bruit des mêmes acclamations qu'à son premier passage.

On s'est arrêté sur cette scène, d'un intérêt vraiment historique, parce qu'elle montre à sa source le pouvoir nouveau qui s'élevait, les premières propositions qui lui furent faites, et qu'il accepta; la proclamation du 31 juillet était le manifeste de la révolution, et contenait toutes ses promesses c'est là, et ce n'est que là qu'on peut trouver ce qu'on a appelé le Programme de l'Hôtel-de-Ville ; malgré tout ce qui s'est dit, on n'en connaît point d'autre (1).

(1) M. de Lafayette, écrivant aux électeurs de l'arrondissement de Meaux, lors des élections de 1831, leur donnait à ce sujet des explications qui n'éclai reront pas de beaucoup les historiens sur ce fameux programme, si c'est autre chose que la proclamation du 31 juillet.

Vous me demanderez, dit l'honorable général à ses commettans, quel fut ce Programme de l'Hôtel-de-Ville, souvent cité par moi, contesté par d'autres, et dont il m'appartient de réclamer le complément,

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Après la visite du nouveau lieutenant général, accompagné des députés à l'Hôtel-de-Ville, je crus trouver dans l'autorité et la confiance populaire dont f'étais investi, le droit et le devoir d'aller m'expliquer franchement au nom de ce même peuple avec le Roi projeté. Vous savez, lui dis je, que je suis républicain, et que je regarde la constitution des États-Unis comme la plus parfaite qui ait existé. Je pense comme vous, répondit le duc d'Orléans; il est impossible d'avoir passé deux ans en Amérique et de n'être pas de cet avis: ■ mais croyez-vous, dans la situation de la France, et d'après l'opinion générale, qu'il nous convienne de l'adopter? Non, lui dis-je, ce qu'il faut aujour d'hui au peuple français, c'est un trône populaire, entouré d'institutions républicaines, tout-à-fait républicaines. C'est bien ainsi que je l'entends, repartit le prince. Cet engagement mutuel, qu'on appréciera comme on voudra, mais que je m'empressai de publier, acheva de rallier autour de nous, et ceux qui ne voulaient pas de monarque, et ceux qui en voulaient un tout autre qu'un Bourbon. >>

M. de Lafayette explique dans la suite de sa lettre ce qu'il entend par institutions républicaines. C'est le système d'élection étendu autant que possible, la nomination des maires et adjoints, etc., par le peuple, comme celle de tous les officiers de la garde nationale; la révision de la pairie, ou plutôt la création d'un sénat par voie d'élection; car il n'admettait point de législateurs héréditaires.

Quelyne imposant ou quelque important qu'ait été le rôle de M. de Lafayette dans la révolution de juillet, nous ne croyons pas qu'une conversation ait aux yeux de l'histoire le caractère de la proclamation qui l'a précédée.

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