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Le premier acte du nouveau lieutenant général fut d'ordonner la reprise de la cocarde et du drapeau tricolores, de convoquer les deux Chambres pour le 3 août, et de nommer des commissaires provisoires aux divers ministères : trois d'entre eux avaient déjà été choisis par la commission municipale, M. Dupont de l'Eure pour le département de la justice, M. le comte Gérard pour la guerre, M. le baron Louis pour les finauces. D'après les ordonnances nouyelles, le département de l'intérieur fut confié à M. Guizot, celui des affaires étrangères au maréchal Jourdan, celui de l'instruction publique à M. Bignon, celui de la marine à M. Tupinier, et la préfecture de police de Paris à M. Girod (de l'Ain); d'autres places importantes furent données à des citoyens qui venaient de rendre des services signalés dans l'insurrection. Une autre ordonnance plus importante à citer prononça l'annulation des peines prononcées pour délits politiques de la presse : c'est l'amnistic de la révolu

tion.

L'autorité de la commission municipale semblait devoir cesser devant celle du nouveau lieutenant général; mais il voulut ou il désira qu'elle s'occupât quelque temps encore de tout ce qui concernait la sûreté, la tranquillité et les intérêts municipaux de la capitale.

Ainsi avait déjà disparu dans la capitale et dans les départemens voisins la royauté de Charles X: il faut en dire les derniers actes et les derniers instans.

On a vu qu'à l'arrivée de la garde royale à Saint-Cloud (29 juillet), les troupes de toutes armes avaient été provisoirement établies daus les grandes allées du parc inférieur; elles furent ensuite réparties dans les environs, et prirent des positions de manière à se défendre d'un coup de main des Parisiens ou paysans qui se montraient du côté de Boulogne et de Meudon, et pour protéger le départ de la famille royale, si elle devait quitter Saint-Cloud.

Aucune mesure, aucune précaution n'avait été prise pour faire vivre ce grand nombre de troupes, dont le rassemblement sur le même point était imprévu; rien n'avait été prévu pour leur subsis

tance.

Il en résulta quelque désordre. Les soldats, ceux du moins qui avaient reçu la gratification qu'on leur avait promise à Paris, se procurèrent du pain et du vin, à leurs dépens, chez les boulangers ou dans les cabarets. On pourvut au reste par des réquisitions. Le 30 au matin, il parut un ordre du jour, portant que le Roi avait chargé le major-général de service, de témoigner aux troupes sa satisfaction de leur conduite, et qu'il avait donné le commandement général à S. A. R. Mgr. le dauphin.....

Déjà le moral des soldats était fort ébranlé; mille bruits contradictoires circulaient dans les rangs : des officiers accusaient hautement le maréchal duc de Raguse de trahison, de mollesse et d'impéritie; ils comparaient sa conduite avec celle qu'il avait tenue en 1814. Des individus envoyés de Paris essayaient de débaucher les soldats peu de soldats de la garde royale quittèrent leur corps; mais presque tout ce qui restait du 50° de ligne, qui occupait Ville-d'Avray, abandonna ses armes et son drapeau, que le colonel, suivi d'un sous-lieutenant et d'une douzaine de soldats, reporta à Saint-Cloud.

Le soir, on lut aux troupes une espèce de proclamation du maréchal qui annonçait que la paix était faite, que les ordonnances étaient rapportées, les ministres changés, etc. Les soldats en accueillirent la lecture par des cris de vive le Roi! Ils déchargèrent et nettoyèrent leurs armes, et ne s'occupèrent plus que d'apprêter leur soupe et de se faire des abris contre la fraîcheur de la nuit; la gaieté leur revint, indice non équivoque de leurs dispositions.

Cet ordre, du duc de Raguse, n'avait point été soumis au Roi, non plus qu'au dauphin, commandant en chef des troupes. Ce dernier en fut choqué, et mit le maréchal aux arrêts avec une sévérité de formes qui se ressentaient du mécontentement que la cour avait éprouvé de sa conduite à Paris. Cependant le Roi, informé de cette scène violente, voulut l'apaiser, leva les arrêts, et lui fit même, dit-on, une sorte de réparation.

L'action du gouvernement de Charles X était bornée, comme sa cour, à l'enceinte du parc de Saint-Cloud; et ce château, naguère si peuplé, si brillant, n'offrait, depuis le 29, que des visages tristes

et mornes; les courtisans eux-mêmes ne savaient plus quel langage ni quelle contenance y tenir. Le dénùment des troupes qui sortaient de Paris, après trois jours de combats, n'avait d'abord produit sur eux que de l'étonnement; ils ne concevaient pas cette victoire du peuple...... ils avaient encore quelque espérance dans le succès des négociations; mais lorsqu'on ne vit arriver le lendemain aucune nouvelle, les voitures commencèrent à filer, les antichambres se vidèrent, l'étiquette diminua sensiblement, le service de la messe fut fort incomplet, la défection fit de rapides progrès, et peu d'heures après la cour était presque déserte: il n'y restait que quelques officiers généraux ou gentilshommes de service, et les anciens ministres, mal vus par tout le monde.

Le Roi, effrayé de cette solitude, bien inforiné maintenant de ce qui se passait dans la capitale, et apprenant que les Parisiens commençaient à se montrer en nombre autour des troupes, et que les populations voisines s'ébranlaient, se décida, dans la nuit même, à quitter sa résidence et partit pour Trianon, à trois heures du matin, avec la duchesse de Berry et le duc de Bordeaux, sous l'escorte de ses gardes-du-corps, suivi de quelques voitures pour ses ministres et quelques personnes de son service.

Ce départ fit une grande impression sur l'esprit des soldats; mais la présence de M. le dauphin, qui devait rester à la tête de cette petite armée, en prévint les effets : il n'en résulta que la défection d'un détachement d'infanterie, et de quelques artilleurs qui se joignirent avec une pièce aux Parisiens; la bonne contenance du reste en imposa à ceux-ci : d'ailleurs, il n'y eut point d'hostilités de commises; on avait prévenu les Parisiens que la garde ne tirerait que si elle était attaquée.

Après le départ du Roi, la position des troupes à Saint-Cloud et à Sèvres n'avait plus que des inconvéniens. Déjà même la route de Versailles était observée par des groupes de tirailleurs parisiens ou paysans, dont la réunion pouvait inquiéter la retraite : elle s'effectua par Ville-d'Avray, sans accident.

Le Roi, arrivé quelques heures auparavant à Versailles, avait déjà vu sur sa route des cocardes tricolores, des enseignes d'où

l'on avait fait disparaître les emblemes de la royauté; mais personne sur cette route ne lui avait manqué de respect : il avait passé rapi dement Versailles, au milieu de ses gardes-du-corps, par l'avenue de Saint-Cloud, et s'était établi, provisoirement, à Trianon, où l'armée, qui opérait son mouvement de retraite, arriva vers midi. Elle se flattait de rester là quelque temps: elle commençait à se reposer de ses fatigues, lorsque le Roi prit la résolution de partir pour Rambouillet: c'est alors qu'il se sépara de ses ministres, qui prirent différentes routes pour se soustraire à la haine populaire. M. de Polignac seul suivit encore quelques jours son maître, mais

sans se montrer,

Les troupes recurent, avec un déplaisir marqué, l'ordre du départ; mais elles s'y soumirent, excepté le 15o léger qui n'obéit pas au mouvement, et qui resta pour retourner à Paris.

Ainsi déjà la famille avait pris le chemin de l'exil; Charles X était à cheval à la tête de ses gardes-du-corps; Madame, duchesse de Berry, était, en costume d'homme, dans une des voitures de la cour avec ses deux enfans: on fit la route dans un silence triste, interrompu seulement par quelques cris de vive le Roi! vive la famille myale! lorsque les troupes venaient à s'arrêter devant eux; mais c'étaient moins des cris d'enthousiasme que des consolations adressées à d'augustes infortunes: il n'y avait plus dans ces braves, restés fidèles à leur serment, que la résolution de défendre la famille royale si elle était attaquée, mais non de provoquer, ni même de soutenir une guerre civile pour elle.

Le Roi et ses gardes-du-corps arrivèrent à Rambouillet vers neuf à dix heures du soir; mais les troupes, épuisées des fatigues d'une route de nuit et faite en désordre, s'arrêtèrent à Trappes, où l'on s'établit, tant bien que mal, sur plusieurs lignes, à droite et à gauche de la chaussée; et le dauphin qui la conduisait alla coucher dans une maison de ce village.

La difficulté de s'y procurer des vivres pour neuf à dix mille hommes qui se trouvaient inopinément agglomérés sur ce point occasiona quelques désordres. Des soldats qui s'étaient écartés pour se procurer du pain dans les hameaux des environs furent

massacrés par les paysans, ce qui hâta le départ de l'armée, qui reprit de grand matin la route de Rambouillet.

1er Août. Ce jour-là même, Madame la dauphine arrivant de Vichy (1) venait se rejoindre à sa famille qu'elle avait laissée dans une cour brillante, et qu'elle retrouvait sur la route de l'exil. Le souvenir de ses anciens malheurs vint aggraver ses infortunes nouvelles on confondit ensemble bien des douleurs.

Cependant l'infanterie de la garde prenait position en avant de Rambouillet, derrière les étangs du Peray; l'artillerie, composée de sept batteries (quarante-deux pièces attelées), fut parquée à la Rue-Verte, hameau en arrière du Peray. Trois régimens de grosse cavalerie et trois de cavalerie légère furent mis en cantonnement aux environs. On avait réservé pour la garde du château, les gardesdu-corps, la gendarmerie d'élite, les gardes à pied, le 7e suisse et le 2e des grenadiers à cheval.

Au milieu de ces dispositions, et malgré la confiance que pouvaient inspirer neuf à dix mille hommes de bonnes troupes dévouées sinon à la cause de la famille royale, du moins à sa sûreté, il se répandait des bruits sinistres sur l'arrivée prochaine d'une armée parisienne envoyée à sa poursuite, et sur la nomination de M. le duc d'Orléans, comme lieutenant général du royaume, par la Chambre des députés. C'est alors que le Roi crut devoir lui déférer une autorité dont il était déjà en possession, et que cédant à la crainte

(1) Cette princesse était encore aux eaux de Vichy à l'époque des fatales ordonnances. Elle eut à subir en passant à Dijon, le 29 au soir, au spectacle, une scène douloureuse. On venait d'y recevoir la nouvelle des ordonuances et de l'opposition qui se manifestait... Des cris de vive la Charte! vivent les deux cent vingt et un ! à bas les ministres! à bas les ordonnances! éclatèrent dans tous les parterres et même dans les loges, de manière à lui faire craindre des injures plus graves. Les efforts de la police ne purent contenir l'effervescence. La princesse se vit forcée de quitter le spectacle et même la ville... Le lendemain elle avait appris à Tonnerre l'insurrection de Paris, et dans la crainte de ne pouvoir arriver à Saint-Cloud dans ses voitures de cour, elle avait pris un habillement de femme de chambre, et s'était jetée dans une chaise de poste avec le comte de Faucigny-Lucinge, déguisé comme elle en domestique; c'est dans cet équipage qu'elle venait rejoindre sa malheureuse famille.

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