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ou à l'espérance de sauver sa couronne à son petit-fils, lui et le dauphin se décidèrent à abdiquer en faveur du jeune duc de Bordeaux : cet acte fut signé dans la nuit du 1er août, et le lieutenant général vicomte de Foissac-la-Tour fut chargé de le porter au duc d'Orléans, afin qu'il eût, en sa qualité de lieutenant général du royaume, à faire proclamer le nouveau Roi sous le nom d'Henri V, et de s'entendre avec S. A. R. pour les arrangemens convenables à prendre en ce qui concernait la famille royale, sauf à régler ensuite les mesures que devait amener un changement de règne.

Le 2 au matin, on fit connaître aux troupes que M. le duc d'Orléans était lieutenant général du royaume, et que les Chambres s'assembleraient le 3 août. Cette déclaration incomplète annonçait que le Roi attendait une réponse à son message, et finissait par ces mots: Si l'on cherchait à attenter à la vie du Roi et de sa famille, • ou à leur liberté, il se défendra jusqu'à la mort.»>

Les troupes, soldats comme officiers, furent blessés de la réserve mystérieuse qu'on mettait à cette publication: elles sentaient bien que les événemens étaient tels qu'il ne leur restait, pendant les negociations qui devaient décider du sort de la France, qu'à s'interposer entre la famille royale et les populations qu'on pourrait soulever contre les Bourbons. Tous voyaient bien clairement que ce n'était plus à la force des armes (dont on s'était si mal servi), à décider des questions politiques qui se traitaient à Paris; mais ils n'en tiraient pas les mêmes conséquences.

Le même jour, trois régimens de la grosse cavalerie abandonnèrent leur position. Le 2o de grenadiers qui restait à Rambouillet partit en masse, après avoir rapporté son étendard chez le Roi. Ils reprirent la route de leurs anciennes garnisons, et y arrivèrent dans le meilleur ordre. Le dauphin, qui venait visiter les troupes du Peray, rencontra sur sa route ce dernier régiment, qui se forma en bataille pour lui rendre les honneurs ordinaires, et continua son chemia quand le prince fut passé, sans en être repris, ni même questionné. Le prince, après cet événement, se borna à passer devant les troupes qui restaient, puis s'en retourna à Rambouillet. Cette défection, et sans doute aussi la crainte de l'armée pari

sienne, firent rappeler l'infanterie ainsi que la cavalerie légère et l'artillerie. On ne laissa au Peray qu'un régiment suisse pour garder la position.

On n'était pas non plus sans inquiétude à Paris sur les intentions de Charles X et sur les dispositions des troupes qui l'avaient suivi. On craignait qu'il ne tentât quelque nouvelle entreprise sur Paris, ou qu'il ne se jetât dans la Vendée. Dès le 30 juillet, la commission municipale, informée que les diamans de la couronne avaient été enlevés de chez le joaillier de la couronne par l'intendant de la liste civile, avait, de concert avec M. de Lafayette, chargé un aide de camp du général, le colonel Poque-Beauvert, de faire rentrer au trésor cette propriété nationale.

Le lieutenant général du royaume, considérant de son côté qu'on ne pouvait laisser aux portes de la capitale une force armée qui ne relevait pas du gouvernement établi, et dont la seule présence y entretenait une irritation dangereuse; qu'il y avait lieu de craindre que des masses populaires ne s'ébranlassent et ne se missent en marche spontanément sur Rambouillet, avait résolu de prévenir le mouvement et les excès qu'on pouvait redouter, si le sang recommençait à couler. Il avait ordonné au général Lafayette de faire marcher six mille hommes de garde nationale dans la direction de Rambouillet, espérant que cette démonstration suffirait pour diriger le mouvement populaire et pour déterminer Charles X à quitter la France et à dissoudre les troupes dont il était encore entouré. S. A. R., accordant ses devoirs, comme chef de l'État, avec tout ce qu'il devait au malheur et aux affections de famille, chargeait en même temps trois commissaires, le maréchal Maison, M. de Schonen et M. Odilon-Barrot, de se transporter auprès de Charles X, d'employer les moyens de persuasion les plus propres à le décider à un exil nécessaire au repos de la France, et de pourvoir à sa sûreté, ainsi qu'aux besoins de son voyage jusqu'à la frontière.

Mais aussitôt qu'on vit la garde nationale prête à marcher, une multitude d'autres gens s'y joignirent volontairement. Le général Pajol, qui commandait l'expédition, eut peine à contenir leur zèle.

Ils se jetèrent dans des voitures de toute espèce, diligences, omnibus, fiacres et cabriolets; on mit tout ce qu'on put trouver en réquisition pour les transporter; ils devaient prendre en route la garde nationale de Versailles, et rencontrer celle de Rouen et du Havre dont on annonçait le départ pour venir au secours de l'insurrection parisienne. On ne doutait pas que l'approche de ces masses populaires ne déterminât Charles X à en passer par les conditions qu'on voudrait lui faire, ou ne décidât la défection des troupes qui lui restaient encore fidèles.

Le colonel Poque, arrivé le premier à la tête d'un détachement grossi par des habitans du pays, s'était présenté à plusieurs reprises avec un drapeau tricolore aux avant-postes du régiment suisse laissé en avant du Peray on refusait de le recevoir; et comme il insistait pour parlementer avec les soldats, or fit tirer sur lui, et il fut grièvement blessé. Cet accident, attribué dans la garde royale à l'obstination imprudente de M. Poque, regardé de l'autre parti comme une violation atroce du droit des gens, n'eut pas les suitės ficheuses qu'on en pouvait redouter. M. Poque, qui avait la jambe droite fracassée, fut rapporté par des suisses. Un chirurgien de la garde pansa sa blessure, et le Roi même lui en fit témoigner ses regrets.

Quant aux commissaires envoyés de Paris pour presser son départ, Charles X qui paraissait résolu de rester à Rambouillet jusqu'à, et peut-être même après la proclamation ou l'avénement de son petit-fils, avait d'abord refusé de les recevoir; mais la défection de la grosse cavalerie, l'ébranlement moral qui se manifestait dans le reste de la garde, et surtout le bruit, exagéré à dessein, de l'agglomération des masses populaires qui se portaient de tous côtés sur Rambouillet, le décidèrent à entendre les députés, et l'entrevue eut lieu le 3 août à neuf heures du soir.

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S'il faut en croire quelques rapports, Charles X aurait interpellé particulièrement celui de ces commissaires auquel il avait jadis conféré la plus éminente dignité militaire, de lui dire si, effectivement, quatre-vingt mille Parisiens étaient en marche sur Rambouillet, et le maréchal n'aurait pas hésité à le confirmer dans

cette terreur salutaire. Suivant d'autres (1), Charles X aurait cédé surtout à l'idée que l'intérêt de son petit-fils, en faveur duquel il venait d'abdiquer, demandait que sa cause restât pure de toute violence, et surtout de la guerre civile qu'il voulait épargner à la France.

Quoi qu'on puisse penser de la vérité de ces allégations ou de ces rapports, d'ailleurs également plausibles, tout ce que les commissaires demandaient fut accordé; le départ immédiat de la famille royale, l'itinéraire du voyage pour Cherbourg, avec l'escorte des gardes-du-corps, sous la sauvegarde des commissaires, le licenciement de la garde royale et la remise des diamans de la couronne. Le général Pajol et le colonel Jacqueminot rapportèrent les diamans au trésor public. Leur entrée au milieu de la foule des citoyens qu'ils avaient amenés dans des voitures de place, et dont quelques-uns revinrent dans celle de la couronne, fut une espèce de triomphe ils furent reçus aux cris de Vive la Charte! Vive notre brave garde nationale !

Un moment après que le Roi eut fait sa réponse définitive aux commissaires qui devaient l'accompagner jusqu'à Cherbourg, il donna l'ordre du départ, vain simulacre d'autorité qu'on était convenu de lui laisser jusqu'à son embarquement: il partit avec sa famille et quelques gardes-du-corps de service, pour coucher à Maintenon, au château de M. Just de Noailles.

En même temps que partaient les voitures, on faisait lever les troupes de leurs baraques ou de leurs bivouacs: heureusement elles ne s'étaient pas trouvées en présence des masses' parisiennes qui arrivaient à Coignières; elles se mirent en route en colonnes renversées, la gauche en tête, pour être à même de se déployer, si cela devenait nécessaire; mais il n'en fut pas besoin, l'armée parisienne retournait à Paris, et les paysans virent passer les troupes de la garde sans montrer un esprit hostile. Elles n'arrivèrent à Maintenon qu'à six heures du matin.

(1) Lettre attribuée à M. Odilon-Barrot, comme écrite de Rambouillet à M. le due d'Orléans.

4 août. C'est là que le Roi leur fit faire ses adieux.

Cet ordre du jour, signé du duc de Raguse, était ainsi conçu:

• Aussitôt après le départ du Roi, tous les régimens de la garde et de la gendarmerie se mettrout en marche sur Chartres, où ils recevront tons les vivres qui lear seront nécessaires. MM. les chefs de corps, après avoir rassemble lears régimens, leur déclareront que Sa Majesté se voit, avec la plus vive douleur, obligée de se séparer d'eux; qu'elle les charge de leur témoigner sa satisfaction; et qu'elle conservera tonjours le sonvenir de leur belle conduite, de leur dévouement a supporter les fatigues et les privations dont elles out été accablées pendant ces circonstances malheureuses. Le Roi transmet pour la derniere fois ses ordres aux braves troupes de sa garde qui l'ont accompagné ; c'est de se rendre à Paris, où elles feront leur soumission au lieutenant général du royaume qui a pris toutes les mesures pour leur sûreté et leur bien-être à

venir. »

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A dix heures, dit l'auteur de la relation déjà citée, dont le style simple et touchant porte le cachet de la vérité, Charles X quitta le château de M. de Noailles. La garde prît les armes et se forma en bataille sur les bords de la route pour rendre les derniers honneurs à cette famille malheureuse, qu'elle servait depuis

« seize ans.

« Ce dernier adieu des soldats, qui ne pouvaient retenir leurs larmes, est probablement le plus sincère hommage que ce prince <recevra jamais.

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Charles X, abattu et des larmes dans les yeux, rendait le salut

à ces drapeaux qui allaient cesser d'être les couleurs des troupes

qu'il voyait pour la dernière fois.

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Des dispositions furent prises après le passage de Charles X pour le départ des troupes. Les rangs, déjà dégarnis de beaucoup de sous-officiers et de soldats partis après la lecture de l'ordre du jour, s'éclaircirent encore : le reste fut dirigé sur Chartres (1).

(1) Nous dirons, pour achever l'histoire de la garde royale dans les tristes événemens qu'elle avait subis, qu'arrivée à Chartres le 5 août, les divers régimens recurent des ordres de route pour rentrer dans leurs garnisons, où ils ont été licenciés conformément à l'ordonnance da 11 août,

Ann. hist.

pour

1830,

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