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CHAPITRE VIII.

Ouverture de la session législative.-Discours du lieutenant général. —Vérification des pouvoirs. Proposition de M. Bérard pour des modifications à la Charte.-Rapport de la commission. Discussion et adoption de la nouvelle Charte. Adhésion de la Chambre des pairs. Discours de M. de Châteaubriand. - Couronne offerte au lieutenant général. — Prestation de serment par le nouveau Roi.-Voyage de Charles X à Cherbourg.-Départ de sa famille pour l'angleterre.

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3 août. Le même jour, quelques heures avant que Charles X se décidât à subir son exil, le duc d'Orléans allait, en sa qualité de lieutenant général du royaume, au milieu d'une escorte brillante et nombreuse, ouvrir la session législative dans la salle des députés, où les pairs avaient été prévenus de se réunir. Ils n'étaient guère qu'au nombre de soixante, les députés environ deux cent quarante, dont une vingtaine de l'extrême droite, tous en habits bourgeois; mais l'intérêt de la séance faisait oublier la simplicité du cos

tume.

L'ouverture de la session eut lieu avec le même cérémonial que les séances royales de la restauration. L'estrade du trône était couverte de vastes draperies de velours cramoisi encore parsemées de fleurs de lis d'or, et la couronne surmontée d'un drapeau aux trois couleurs.

Au moment où la duchesse d'Orléans et ses filles prirent place dans une tribune qui leur était réservée, le canon des Invalides annonça l'arrivée du prince lieutenant général. Une grande députation de pairs et de députés alla à sa rencontre: on a remarqué qu'il ne prit pas séance sur le fauteuil royal, mais sur un tabouret placé à droite du trône, et le duc de Nemours, le second de ses fils, sur un tabouret placé à sa gauche. Le prince, après avoir salué l'assemblée d'un air ému, invita les pairs et les députés à s'asseoir,

şe couvrit le front et prononça d'une voix assurée son discours, trop important à méditer dans ses expressions, pour nous contenter. d'en offrir l'analyse. Le voici tout entier.

Messieurs les pairs et messieurs les députés,

Paris, troublé dans son repos par une déplorable violation de la Charte et des lois, les défendait avec un courage héroïque.

« Au milieu de cette lutte sanglante, aucune des garanties de l'ordre social, ne subsistait plus: les personnes, les propriétés, les droits, tout ce qui est précieux et cner à des hommes et à des citoyens courait les plus graves dangers.

■ Dans cette absence de toat pouvoir public, le vœu de mes concitoyens s'est tourné vers moi; ils m'ont jugé digne de concourir avec eux an salut de la patrie; ils m'ont invité à exercer les fonctions de lieutenant général du royaume.

Leur cause m'a paru juste, le péril immense, la nécessité impérieuse, mon devoir sacré. Je suis accouru au milieu de ce vaillant peuple, suivi de ma famille, et portant ces couleurs qui, pour la seconde fois, ont marqué parmi nous le triomphe de la liberté.

Je suis accouru, fermement résolu à me dévouer à tout ce que les circon. stances exigeraient de moi, daus la situation où elles n'ont placé, pour rétablir l'empire des lois, sauver la liberté menacée, et rendre impossible le retour de si grands maux, en assurant à jamais le pouvoir de cette Charte dont le nom invoqué pendant le combat, l'était encore après la victoire.

Dans l'accomplissement de cette noble tache, c'est aux Chambres qu'il ap partient de me guider.

Tous les droits doivent ê re solidement garantis; toutes les institutions nécessaires à leur plein et libre exercice doivent recevoir les développemens dont elles ont besoin.

« Attaché de cœur et de conviction aux principes d'un gouvernement libre, j'en accepte d'avance toutes les conséquences. Je crois devoir appeler dès aujourd'hui votre attention sur l'organisation des gardes nationales, l'application du jury aux délits de la presse, la formation des administrations départementales et municipales, et, avant tout, sur cet article 14 de la Charte qu'on a și odieusement interprété.

⚫. C'est dans ces sentimens, messieurs, que je viens ouvrir cette session.

Le passé m'est douloureux; je déplore des infortunes que j'aurais voulu prévenir; mais, au milieu de ce magnanime élan de la capitale et de toutes les eites françaises, à l'aspect de l'ordre renaissant avec une merveilleuse promptitude après une résistance pure de tout excès, un juste orgueil national émeut mon cœur, et j'entrevois avec confiance l'avenir de la patrie.

« Oui, messieurs, elle sera heureuse et libre, cette France qui m'est si chère; elle montrera à l'Europe, qu'uniquement occupée de sa prospérité intérieure, elle chérit la paix aussi bien que les libertés, et ne veut que le bonheur et le repos de ses voisins.

Le respect de tous les droits, le soin de tous les intérêts, la bonne foi dans le gouvernement, sont les meilleurs moyens de désarmer les partis et de ramener dans les esprits cette confiance dans les institutions, cette stabilité, seuls gages assurés du bonheur des peuples et de la force des Etats.

Messieurs les pairs et mess eurs les députés,

Aussitôt que les Chambres seront constituées, je ferai porter à leur connais

sance l'acte d'abdication de Sa Majesté le Roi Charles X; par ce même acte, Son Altesse Royale Louis-Antoine de France, dauphin, renonce également à ses droits. Cet acte a été remis entre mes mains hier, 2 août, à onze heures du soir. J'en ordonne ce matin le dépôt dans les archives de la Chambre des pairs, et je le fais insérer dans la partie officielle du Moniteur. »

Ce discours fut interrompu à plusieurs reprises par de fréquentes acclamations; mais le dernier paragraphe excita des murmures de la part des royalistes, qui s'étonnaient d'entendre annoncer l'abdication de Charles X et du dauphin, sans qu'il fût fait mention de la réserve en faveur du duc de Bordeaux. A l'exception de quelques pairs ou députés, dont l'air sombre et taciturne annonçait d'avance l'opposition à la révolution qui s'opérait, la joie rayonnait sur tous les visages. La fin du discours fut couverte de bravos partis de tous les bancs et des tribunes. Le lieutenant général, profondément ému par cette scène imposante, se retira reconduit par les deux grandes députations, au milieu des cris: vive le duc d'Orléans! vive la famille d'Orléans! et dans son retour au PalaisRoyal il fut salué des mêmes acclamations populaires, auxquelles il se mêla pourtant quelques signes de mécontentement de la part d'un parti peu nombreux, mais ardent, dont la nomination du lieutenant général blessait les idées républicaines. En général on était encore à Paris dans l'ivresse du triomphe et dans les espérances qu'une révolution donne à toutes les ambitions. Le peuple se rassemblait sur les places, surtout au Palais-Royal, où l'on mêlait aux airs de la révolution un nouvel hymne ( la Parisienne), composé pour la circonstance par M. Casimir Delavigne, dont tout le talent lyrique n'a pu reproduire l'inspiration heureuse et l'énergie farouche, mais sublime de l'immortelle Marseillaise.

De presque toutes les provinces il arrivait des nouvelles rassurantes. Le drapeau tricolore, porté sur l'impériale des diligences, avait appris la victoire du peuple aussitôt que le combat... Des préfets ou maires avaient voulu en vain arrêter les nouvelles et le mouvement; ils s'étaient retirés. Des autorités provisoires s'étaient forinées, et leur autorité avait été reconnue. Dans quelques grandes villes, à Toulouse, à Lille, à Bordeaux, à Nantes surtout, le sang avait coulé; mais la force militaire n'avait pas tardé à fraterniser

avec les citoyens. Les troupes du camp de Saint-Omer, environ 9,000 hommes, qui étaient en marche sur Paris, s'arrêtèrent à la voix d'un envoyé du général Gérard, et retournèrent sous les ordres du général Roguet. Le général Despinois, qui commandait une division militaire, essaya en vain d'opérer un soulèvement dans la Vendée. Tous les régimens reprirent la cocarde tricolore, comme s'ils ne l'avaient quittée que de la veille. Partout la garde nationale se retrouva formée comme par enchantement; celle des villes ou des provinces voisines de la capitale offrait d'accourir à son secours si elle était menacée. On les arrêta; mais le zèle patriotique des gardes nationaux de Rouen et du Havre fut si prompt, qu'ils devancèrent les ordres et qu'ils se trouvèrent dans Paris, au nombre de quinze à dix-huit cents hommes équipés et armés presque aussitôt, presque aussi bien que ceux qui s'étaient formés sous les barricades. Paris et les grandes cités semblaient alors n'avoir qu'une opinion... une seule du moins se faisait entendre. Le parti royaliste, sans être inquiété, était comme étourdi, stupéfait du coup qui venait de le frapper, et ses organes habituels, c'est-à-dire ses journaux, restèrent plusieurs jours dans un morne silence.

Cependant des divisions sourdes, des dissentimens secrets, des difficultés politiques s'annonçaient dans le parti vainqueur et enhardirent peu à peu les vaincus. Nous les avons annoncés. Mais elles se produisirent dans la journée du 4 avec des symptômes effrayans.

4 août. Les deux Chambres étaient réunies séparément, celle des pairs, sous la présidence de M, le baron Pasquier, nommé président par ordonnance de la veille, en remplacement de M. le marquis de Pastoret qui venait de donner sa démission des fonctions et du titre de chancelier de France. Une autre ordonnance du lieutenant général autorisait LL. AA. RR. le duc de Chartres et le duc de Nemours à siéger à la Chambre.

'Cette première séance fut courte et peu nombreuse. On fut étonné d'y voir paraître M. le duc de Maillé, l'un des gentilshommes de la chambre de Charles X, et M. le duc de Mouchy, capitaine des gardes, qui arrivaient de Rambouillet par ordre ou

permission du Roi. Une partie de la délibération est restée couverte du secret qui couvrait encore les délibérations de la noble Chambre. On sait qu'elle procéda d'abord à la nomination des secrétaires, qui furent MM. le marquis de Mortemart, le maréchal marquis de Maison (alors à Rambouillet), le duc de Plaisance, et le comte Lanjuinais, tous comptés dans l'opinion libérale.

Le premier objet des délibérations devait être l'adresse à faire en réponse au discours du trône ou du lieutenant général sur le vœu de la Chambre, et d'après l'usage suivi depuis long-temps. M. le président désigna pour composer la commission chargée d'en rédiger le projet, MM. le comte Siméon, le comte Molé, le comte d'Argoult, le marquis de Marbois, le baron de Barante, le marquis de Jaucourt et le baron Séguier, pris dans la même opinion que les secrétaires.

Jamais il ne s'était élevé jusqu'ici dans la noble Chambre de discussion préliminaire sur la rédaction du projet abandonné à la sagesse des commissaires. Mais contre cet usage, des observations ou propositions furent faites en divers sens par plusieurs membres (MM. le duc de Choiseul, le comte Boissy d'Anglas, le comte Forbin des Issarts, le vicomte de Châteaubriand, le vicomte d'Audelot, le marquis de Marbois, le baron de Barante, le comte Tascher, le comte Molé, le comte Belliard et le comte de Pontécoulant), relativement à la direction et à l'ordre à suivre par la commission de l'adresse dans son travail.

M. le duc de Choiseul, qui ouvrit cette discussion, exposait que, dans les circonstances graves où l'on se trouvait, on ne pouvait plus se borner à retourner les phrases du chef du gouvernement et à n'en présenter que l'épreuve insignifiante; que les pairs de France devaient faire constater avec franchise et loyauté leurs sentimens; qu'ils avaient de grands devoirs à remplir, d'établir la stabilité du gouvernement et de faire disparaître les incertitudes sur l'exercice du pouvoir.

Après ces journées si glorieuses, si historiques, qui ont changé la face des choses, disait le noble pair, après les abdications qui nous ont été lues, après les événemens de la nuit dernière, nous ne pouvons rester dans une attente et

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