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dans une incertitude qui me sembleraient honteuse. Je crois le concours des deux Chambres nécessaire; je crois la Chambre des pairs d'une nécessité incontestable, mais il faut qu'elle le démontre, il faut qu'elle soit à la tête de l'esprit public, qu'elle rappelle les jours heureux et glorienx de cette Chambre, qui fut si honorée, si populaire, qui, au lieu de se traîner à la suite du pouvoir, le combatrit dans l'intérêt national, et arrêta à cette époque les entreprises de cette Chambre des députés, appelée alors du nom malheureux d'introuvable. Le titre de pair du royaume, à cette époque, était synonyme de celui de père de la patrie.

Les temps ont changé. Je n'en rappelerai pas ici les causes; elles sont malheureusement trop connues, et le système de tout paralyser, de tout déuationaliser, s'est fait sentir jusque parmi nous.

• Une révolution ne se fait pas pour conserver les principes destructeurs qui l'ont provoquée ; je me réserve de parler plus tard sur cette matière. Je me borne aujourd'hui à demander que la commission de l'adresse s'occupe d'une réponse au discours du chef du gouvernement; qu'elle s'abstienne de rappeler, comme par le passé, les phrases mêmes de ce discours; qu'elle laisse de côté ces protestations banales d'un zèle sans efficacité pour la France; mais qu'elle prenne l'initiative; qu'elle s'exprime avec nettete sur les mesures urgentes à proposer pour la stabilité du gouvernement et sur les nouvelles lois que l'état actuel des choses rend si nécessaires; qu'elle soit antorisée à se combiner avec les pouvoirs établis, et dans le cas où cette commission de l'adresse ne s'y trouverait pas suffisamment autorisée, je demande alors qu'une commission spéciale soit nominée pour faire un rapport à la Chambre dans le délai de vingt-quatre heures sur la situation du royaume, sur les moyens prompts et efficaces d'établir d'une manière stable l'ordre et la tranquillité publique.

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M. le comte Boissy d'Anglas, qui parla dans le même sens sur le grand fait qui venait de s'accomplir, ajoutait ces paroles remarqua bles pour ce qu'étaient la Chambre et la circonstance : «Sachez dic⚫ter au lieutenant général le pacte qui doit unir la France à son ⚫ nouveau souverain, le pacte où se trouveront consignés et nos ⚫ devoirs et nos droits. >>

Quelques voix dans une opinion bien opposée invoquaient le droit d'hérédité, la garantie qu'il pouvait seul offrir à la France.... mais il ne paraît pas que la discussion se soit fort étendue sur cette question d'autres firent sentir à leurs collègues qu'elle pourrait produire une émotion populaire trop dangereuse en ce moment. Cet argument imposa silence aux plus chauds partisans de la légitimité vaincue. En résultat, après des débats qui furent, dit-on, fort animés, mais qui sont restés secrets, il fut à peu près convenu de laisser à la commission de l'adresse une latitude appropriée aux circonstances actuelles.

Chambre des députés. Ici s'ouvrait une scène plus intéressante et plus décisive pour les destinées du pays. Les tribunes étaient remplies, les avenues de la Chambre étaient obstruées par des rassemblemens où l'on discutait hautement les plus graves questions. Des orateurs de la Société des Amis du peuple, des jeunes gens échappés des bancs des écoles, bien qu'ils aient ensuite désavoué ce mouvement, s'élevaient contre la mission que des députés, élus sous l'empire d'une Charte que l'insurrection avait brisée avec le sceptre de Charles X, prétendaient s'arroger. « C'était déjà, selon eux, avoir outre-passé leurs pouvoirs, que d'avoir, en si petite minorité, livré provisoirement le gouvernement aux mains du duc d'Orléans; mais ils ne pouvaient aller plus loin sans attenter aux droits du peuple. Ils n'avaient plus de mandat légal: il fallait recourir à de nouvelles élections, d'après le mode populaire de la constitution de 1791. » Ainsi s'exprimait l'opposition républicaine, au milieu des groupes et des applaudissemens populaires, et jusqu'aux portes de la Chambre élective. Il faut rappeler ces orages pour expliquer la précipitation des mesures et des résolutions importantes qui suivirent.

La séance, où se trouvaient peu de membres de la droite, était à peine ouverte sous la présidence de M. Labbey de Pompières, comme doyen d'âge; on était encore occupé de l'opération de la formation des bureaux par le tirage au sort, lorsqu'au milieu des groupes qui se formaient de divers côtés et des conversations animées qui s'engageaient sur la situation des affaires, M. Pavéc de Vandœuvre, élevant la voix, s'écria de manière à se faire entendre de toute l'assemblée : « La première chose que nous avons à faire, « est de proclamer la déchéance. » Proposition appuyée par M. Dcmarçay, mais éludée ou écartée par une autre de M. Charles Dupin, tendant à ce que la Chambre se déclarât en permanence jusqu'à ce que les pouvoirs des membres qui auraient fourni toutes leurs pièces fussent vérifiées.

On a vu, pendant cette partie de la séance, quelques membres des plus influens, MM. de Lafayette, Benjamin Constant, etc., sortir de la salle pour essayer de calmer l'agitation des rassemble

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mens qui l'entouraient; il n'y était question de rien moins que de chasser à l'instant les députés. On y soutenait avec plus de véhémence, qu'ils n'avaient plus de mandat légal; que la nation ne pouvait tenir une constitution que d'elle-mème, et qu'il fallait·la consulter. Benjamin Constant et M. de Lafayette essayèrent de les calmer le premier promettait de veiller aux intérêts du peuple; le second, quoique plus populaire encore, ne parvint pas sans peine à calmer l'effervescence.

Cependant la proposition de la permanence adoptée, on procéda à la vérification des pouvoirs. Il n'y eut guère de contestation que sur les élections de quelques royalistes, dont on contesta la validité pour violation des formes légales, ou du secret des votes, comme celle de M. Dudon, élu parle collége départemental de l'Ain, de M. Conen de Saint-Luc, élu pour l'arrondissement de Châteaulin, du Finistère, et dont l'admission fut ajournée jusqu'à ce qu'ils eussent répondu aux protestations envoyées contre leur élection. Quelques autres, comme celles de M. Bastoulh, élu par le collége de Villefranche (Haute-Garonne) qu'il présidait, et de MM. Seguy et de Lentillac, élus par le collége départemental du Lot, furent annulées pour le même motif d'infraction au secret des votes. Nous ne nous arrêterons pas à cette discussion de détails moins animée que dans les précédentes sessions, qui n'a présenté aucune autre circonstance digne d'observation, mais qui n'en a pas moins occupé trois séances; car, malgré la permanence, elles furent séparées par une suspension de quelques heures, pour les repas et le repos des membres.

5 août. L'organisation des bureaux faite pendant la première suspension avait indiqué quelque dissentiment : les président et secrétaires avaient tous été pris dans les 221, mais dans des d'opinions fort tranchées. Le scrutin pour l'élection des candidats à la présidence offrit plus d'uniformité.

nuances

M. de Corcelles se levant de sa place avant qu'on y procédât, proposait, pour arriver plus vite à la constitution définitive de la Chambre, de nommer tout de suite et directement elle-même son président, proposition écartée sur la réclamation de quelques mem

bres (MM. de Martignac, Mestadier), comme contraire à la Charte (la Charte, criait une voix de l'extrême gauche, la Charte est défunte!), mais modifiée ou amendée par M. Gaëtan de La Rochefoucault, qui, pour abréger les opérations de la Chambre, renouvelait une proposition faite autre fois par M. Pelet de la Lozère, laquelle consistait à déclarer d'avance vice-présidens les quatre candidats qui n'auraient pas été choisis par S. A. R. Cette proposition, combattue par MM. Viennet et Villemain, comme étant une violation aux lois, exemple que les députés ne devaient pas donner au peuple, n'en fut pas moins adoptée à la presque unanimité.

Le scrutin ouvert pour l'élection des candidats, il ne se trouvait que 218 votans, dont les voix furent réparties ainsi qu'il suit: M. Casimir Périer 174; M. Jacques Laffitte 160; M. Benjamin Delessert 123; M. Dupin aîné 120; M. Royer-Collard 100; M. Benjamin Constant 85. Les quatre premiers ayant réuni la majorité absolue des suffrages, furent proclamés candidats à la présidence; et dans le ballotage auquel furent ensuite soumis MM. Royer-Collard et Benjamin Constant, le premier obtint une supériorité de vingt voix (116 contre 96) sur son concurrent, incident à remarquer pour apprécier l'opinion modérée qui devait dominer dans la Chambre.

A la réception de cette liste, le lieutenant général dit à M. Labbey de Pompières, qui la lui présentait, « quil aurait désiré que la® « Chambre eût pu faire la nomination directement; mais on doit « se soumettre à la loi, ajouta-t-il, j'en donnerai toujours l'exemple. J'espère que ce sera la dernière fois que cette liste me sera pré« sentée. » Réponse accueillie par des marques de satisfaction dans tous les rangs de l'assemblée.

«

Il était dix heures du soir, il ne restait plus que 202 votans quand on procéda au scrutin pour la nomination des secrétaires. Il s'éleva des difficultés sur la majorité nécessaire: un membre fit observer que le nombre ou l'effectif actuel de la Chambre ne s'élevait qu'à 362 députés admis, et qu'ainsi la majorité rigoureusement exigible pouvait se réduire à 181. Et au moyen de cette interprétation, le scrutin fut déclaré valable. M. Jacqueminot y avait

obtenu 166 voix; M. Pavée de Vandoeuvre 153; M. Cunin-Gridaine 149; M. Jars 131. Ils furent proclamés secrétaires.

6 août. Le lendemain, à l'ouverture de la séance, après quelques rapports ajournés sur des élections, dont une, celle de M. de Vaulchier, nommé à Dôle, dans le collége qu'il présidait, fut annulée, « attendu que jamais, disait le rapporteur, le secret des votes ne fut plus audacieusement violé, » arriva un message du lieutenant général du royaume pour informer la Chambre qu'il avait nommé M. Casimir Périer président de la Chambre. Mais M. Casimir Périer, alors indisposé, n'était pas présent à la séance. On recut un moment après une lettre qu'il adressait à M. Laffitte, pour le prier de vouloir bien le remplacer au fauteuil jusqu'à ce qu'il pût exercer en personne les honorables fonctions que ses collègues venaient de lui confier.

Je n'aurais pas hésité à m'en démettre immédiatement, disait-il, si, dans les circonstances mémorables où nous sommes placés, il n'était pas du plus baat intérêt de ne pas suspendre, par de nouveaux scrutins, les travaux de La Chambre. Elle est justement impatiente, comme la France entière, de léguer à notre glorieuse patrie un avenir de bonheur et une liberté forte et durable, en satisfaisant aux véritables vœux et aux besoius publics, et en consolidant un ponvoir national dans les mains du prince-citoyen que les acclamations et les nécessités publiques ont appelé à venir assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation. »

Après cette lettre, remarquable par le rôle que l'auteur venait de faire dans la révolution, par la haute position qu'il prit plus tard dans le gouvernement de l'État, et en ce qu'elle renfermait l'initiative des graves résolutions déjà convenues dans des réunions particulières, M. Laffitte prit le fauteuil...

Jamais séance n'avait offert un tel intérêt, de telles questions, pour la solution desquelles l'impatience populaire, qui grondait au-dehors, ne laissait qu'un moment.

On avait commencé la séance par déposer sur le bureau une proposition tendant à mettre en accusation les ex-ministres auteurs des ordonnances du 25 juillet : l'auteur (M. Eusèbe de Salverte ) voulait en donner les développemens; mais il s'aperçut que, malgré l'importance de cette affaire, la Chambre en avait une plus urgente, et il remit sa proposition à huit jours.

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