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Plusieurs se disaient entre eux qu'il fallait suspendre toute délibération jusqu'à ce que ce tumulte fût dissipé (M. Aug. Périer), et protester contre cette tyrannie nouvelle qui voulait se substituer à celle qui venait de tomber. Deux des membres les plus populaires (MM. Mauguin, Benjamin Constant) descendirent pour haranguer la foule. Ils parvinrent heureusement à la calmer, à persuader aux jeunes gens qui l'échauffaient de se retirer.... et la tranquillité se rétablit.

Cependant M. Laffitte, malgré l'orage qui grondait aux portes de la Chambre, avait déjà repris le fauteuil de la présidence. Un instant après, il reçut du commissaire provisoire au département de l'intérieur un message peu propre à calmer l'effervescence popu laire. C'était la copie de l'acte d'abdication de Charles X et du dauphin, que S. A. R. le lieutenant général du royaume envoyait à la Chambre. A cette annonce seule, plusieurs voix de la gauche s'écriaient. « Nous n'en voulons pas! un pareil acte est comme non avenu. » M. le président n'en consulta pas moins la Chambre, pour savoir si son intention était d'accuser réception de cette pièce et d'en ordonner le dépôt dans ses archives. Oui! oui! Non! non! répondait-on confusément des deux côtés. Au milieu de ces rumeurs et de ces opinions diverses, M. Mauguin monte à la tribune:

« Ordonner le dépôt dans vos archives de l'acte d'abdication qu'on vient de vous lire, dit l'honorable membre, ce serait reconnaître implicitement que Charles X avait encore des droits comme Roi. Rappelez-vous que dans les premiers momens de l'insurrection, une commission s'est rendue auprès de Charles X. pour demander le rapport des ordonnances; à cette époque, il avait. encore des droits; mais vous avez la réponse du dac de Raguse. On a voulu la guerre, et la guerre a prononcé.

« Nous n'avons fait, au reste, que reconquérir par les armes un droit qui a toujours appartenu à la nation. De tout temps ce fut un droit de la France de choisir son souverain, et la légitimité n'est qu'une usurpation qui date de Louis XIV. Hugues Capet, le chef de la race qui régnait encore sur la Françe il y a quelques jours, a été élu par le peuple; le droit d'élection s'est continué jusqu'à Philippe-Anguste, et il en existait même encore quelques traces dans les cérémonies du sacre des rois de France; la victoire a prononcé la déchéance de Charles X ; il n'avait plus rien à abdiquer. Par conséquent, l'acte d'abdication est nul, et vous n'avez rien à déposer dans vos archives. »

Mais malgré la chaleur de cette opinion et la vive adhésion qu'elle reçut du côté gauche, l'ordre du jour qu'il demandait fut Ann, hist. pour 1830.

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rejeté, à la grande surprise et au mécontentement marqué des tribunes publiques ; et il fut résolu, à une majorité composée des deux centres et du côté droit, encore occupé par les royalistes, que l'acte d'abdication serait déposé dans les archives..

Il était neuf heures; le rapporteur de la commission ne paraissait point; l'assemblée décida qu'elle resterait en permanence, et en attendant elle entendit une proposition de M. Bavoux, tendant à voter des remercîmens aux habitans de la ville de Paris, pour leur conduite dans les journées glorieuses de juillet; et à inviter le gouvernement «< à s'occuper d'un monument digne de transmettre à la « postérité la plus reculée l'événement qu'il serait destiné à consa«< crer; monument qui porterait pour inscription:

« A la ville de Paris, la France reconnaissante. »

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Cette proposition fut mise aux voix et adoptée sans passer par les formes ordinaires; mais personne du côté droit ne se leva pour, excepté le seul M. Berryer.

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Parut enfin, vers dix heures, le rapporteur de la commission chargée d'examiner la proposition de M. Bérard. C'était M. Dupin aîné qu'elle avait choisi, dont le rapport concis et lumineux contient des données utiles à recueillir.

« Je n'ai point à revenir, dit l'honorable rapportenr, sur tous les articles qui ont fait l'objet de la proposition si habilement développée par notre honorable collègue M. Bérard, mais à vous entretenir seulement de ceux qui, dans le sein de la commission, ont reçu de nouvelles modifications.

La nécessité de proclamer la vacance du trône a été reconnue à l'unanimité; mais votre commission a pensé qu'il ne suffisait pas de la constater comme un fait, qu'il fallait aussi la déclarer comme un droit résultant de la violation de la Charte et de la légitime résistance apportée par le peuple à cette violation.

Le préambule de la Charte est supprimé, non comme une rédaction qui ne serait qu'inutile, mais parce qu'il blesse la dignité nationale, en paraissant octroyer aux Français des droits qui leur appartiennent essentielle

ment.

Dans sa rapidité même, la correction ou modification des divers articles n'a rien qui doive étonner ni surprendre. Depuis quinze ans nous souffrons des violations partielles de la Charte; depuis quinze ans nous avons été en batte aux subterfuges et aux subtilités à l'aide desquels on a successivement abusé, tantôt de son texte, tantôt de son esprit.

« Le mal étant si bien connu, il a été facile d'y apporter remède, en sup

primant, d'accord avec l'expérience, certaines dispositions tout-à-fait défectueuses, en effaçant les termes dont on avait abusé, enfin, en suppléant les dispositions omises et en complétant celles dont l'insuffisance s'était fait sentir.

. Nous vous proposons de supprimer l'article 6 de la Charte, parce que c'est l'article dont on a le plus abusé. Mais votre commission ne voit pas que la malveillance puisse affecter de s'y méprendre. Cette suppression n'a point pour but de porter la plus légère atteinte à la religion catholique; au contraire, après avoir proclamé avec l'art 5, « que chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection, » nous reconnaissons et nous disons dans l'article 7, qui parle du traitement des divers cultes, que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la majorité des Français, rétablissant ainsi des termes qui ont paru suffisans aux anteurs du concordat de l'an 9 et de la loi organique de germinal an 10, termes qui ont suffi pour relever la religion de sa ruine, et dont il n'est arrivé aucun dommage à l'État; tandis que les expressions de l'article 6 ont réveillé d'imprudentes prétentions à une domination exclusive, aussi contraire à l'esprit de la religion qu'à la liberté de conscience et à la paix du royaume. Il fallait donc, dans ce triple intérêt, effacer des termes qui, sans rien ajouter à ce que la religion aura toujours de saint et de vénérable à nos yeux, étaient devenus la source de beaucoup d'erreurs, et ont finalement causé la disgrâce de la branche régnante et mis l'État sur le penchant de sa ruine.

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<< Par un amendement qui a surgi au sein de votre commission, après avoir conservé cette disposition de l'article 8: Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois, nous avons cru devoir supprimer les expressions : qui doivent réprimer les abus de cette liberté, parce que, pendant longues années, une administration malveillante y a trouvé le prétexte de toutes les lois d'exception qui ont entravé la presse ou qui l'ont opprimée.

L'art. 14, dans ces derniers temps surtout, était devenu le texte des plus étranges et des plus coupables interprétations. On affectait d'y voir le siége d'une dictature dont la puissance de fait pouvait s'élever au-dessus de toutes les lois. Cette doctrine funeste est devenue le prétexte des attentats dirigés contre la liberté du peuple français. Déjà le prince lieutenant général du royaume avait pris à cet égard une généreuse initiative en vous parlant de cet article si odieusement interprété. Votre commission a rendu le doute impossible à l'avenir, et, ne retenant de l'article que ce qui doit en être conservé dans le juste intérêt d'une prérogative que vous voulez, non pas anéantir, mais seulement régler, tout en maintenant la couronne dans le droit ineontestable de faire les règlemens et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, nous avons ajouté que c'était sans pouvoir jamais ni suspendre les lois ni dispenser aucunement de leur exécution.

« Les séances de la Chambre des pairs étaient secrètes; il nous a semblé qu'elles devaient, dans l'intérêt même et pour l'éclat de la pairic, être publiques comme celles de la Chambre des députés.

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L'âge de quarante ans, exigé pour être député, a été réduit à trente. C'est l'âge auquel les pairs ont voix délibérative; dans leur Chambre, un åge moins élevé paraissait inquiéter tous ceux qui pensent que, pour fonder et maintenir un gouvernement sage, une capacité, même précoce, ne doit pas être entièrement destituée d'expérience et de maturité.

Mais, afin d'ouvrir en même temps une plus large voie pour l'exercice des droits politiques à cette jeunesse depuis long-temps l'espoir d'une patrie dont

elle fait aujourd'hui la principale force, nous avons réduit à vingt-cinq ans l'âge exigé par l'art. 40 pour être électeur.

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Sur l'art. 43, l'auteur de la proposition s'était borné à dire que le prési dent de la Chambre des députés est élu par elle, votre commission a ajouté : à l'ouverture de chaque session. Elle a pensé que cette condition de réélection ne ferait que resserrer ces liens de bienveillance et d'intimité qui doivent unir le président à ses collègues.

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Il ne suffirait pas d'avoir dit avec l'article 62: « Nal ne peut être distrait de ses juges naturels,» ni même d'ajouter avec l'art. 63: Il ne pourra, en .conséquence, être créé de commissions et tribunaux extraordinaires.>> Poar prévenir tout abus possible, nous avons ajouté: à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être; car les noms trompeurs n'ont jamais manqué aux plus mauvaises choses; et, sans cette précaution, on pourrait établir le tribunal an fond le plus irrégulier, en lui donnant faussement la dénomination d'un tribunal ordinaire.

« Les ministres avaient toujours interprété l'article 73, relatif aux colonies, en ce sens qu'elles étaient soumises, non à l'action régulière de la législature, mais à l'action instable des règlemens les plus bizarres. Nous sommes rentrés dans la légalité, en disant que les colonies seront réglées par des lois particulières. Ce dernier mot indique assez que ces lois devront être spéciales, appropriées à l'état des colonies, et soumises à un système progressif d'amélioration; cela suffira par conséquent pour rassurer tous les habitans des colonies, et pour les attacher de plus en plus à la métropole : leurs besoins et leurs griefs ne seront plus soustraits à l'impartiale investigation du législateur.

L'art. 74 a reçu une importante modification. A l'avenir, c'est devant les pairs du royaume et les députés de la nation, c'est en présence des Chambres assemblées, que le Roi, à son avènement, jurera de respecter les droits de la nation et d'observer fidèlement la loi constitutionnelle de l'État.

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Enfin, une cruelle mais salutaire épreuve a fait sentir la nécessité de rétablir cette disposition prescrite par l'auteur même de la Charte. Un article additionnel explique que la présente Charte, et tous les droits qu'elle consacre, demeurent confiés au patriotisme et au courage des gardes nationales et de tous les citoyens français. »

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« L'état de la Chambre des pairs a appelé de notre part une sérieuse attention. Il nous a paru qu'il était impossible de ne pas se rappeler que les promotions qui ont en lieu sous le dernier règne, ont été faites en vue de préparer la ruine de nos libertės. Trop sûr, hélas! de la cour, et maître de la Chambre des pairs, le parti dépositaire de cette coupable pensée ne visait plus qu'à pervertir les lois électorales pour arriver à l'accomplissement de ses desseins. La Chambre des pairs, protectrice quand elle avait su repousser d'indignes lois, cessa de pouvoir remplir cette destination quand, par un criminel abus de la prérogative, soixante-seize pairs y forent ajontés d'un seul jet. Ce fait si grave, et qui avait altéré le principe même de la pairie, était devenu l'un des chefs de l'accusation prise en considération par la Chambre, et qui n'a jamais été vidée,

« A la veille d'entrer dans un système de vérité qu'il s'agit maintenant de substituer aux déceptions du passé, il nous a paru qu'en effet la Chambre des députés ne fondait rien de durable pour l'avenir, si elle ne détruisait l'œuvre de la trahison. De là cette nécessité de déclarer que « toutes les nominations et créations nouvelles de pairs, faites sous le règne de Charles X, sont déclarées nulles et comme non avenues, »

Du reste, voulant réserver, sans les compromettre, les autres questions qui

peuvent s'élever à l'occasion de la pairie, et sur lesquelles les meilleurs esprits et les amis les plus ardens de la liberté peuvent se trouver partagés avec une égale bonne foi, votre commission vous propose d'ajouter le paragraphe suivant: et pour prévenir le retour des graves abus qui ont altéré le principe de ■la pairie, l'art. 27 de la Chage, qui donne au Roi la faculté illimitée de nommer des pairs, sera soumis à un nouvel examen dans la session de 1831..

Après ces modifications, la plupart faciles, et dont la nécessité était d'avance empreinte dans tous les esp rits, viennent les lois dont la rédaction n'a pu être instantanément préparée, et qui exigeront de votre part une discussion approfondie; mais dont la promesse, qui, cette fois, ne pourra être éludée, fait partie des conditions dans lesquelles devra s'accomplir la dernière partie de la proposition.

⚫ Cette proposition a pour objet d'asseoir et de fonder un établissement nouveau; nouveau quant à la personne appelée, et surtout quant au mode de vocation. Ici la loi constitutionnelle n'est pas un octroi du pouvoir qui croit se dessaisir; c'est tout le contraire : c'est une nation en pleine possession de ses droits, qui dit avec autant de dignité que d'indépendance au noble prince auquel il s'agit de déférer la couronne à ces conditions, écrites dans la loi, voulez-vous régner sur nous ?

Messieurs, avant tout, ce prince est honnête homme, il en a parmi nous l'éclatante réputation. S'il vous dit qu'il accepte; si, par cette acceptation, le contrat est une fois foi me ; s'il en jure l'observation en présence des Chambres, à la face de la nation, nous pourrons compter sur sa parole; il vous l'a dit : la Charte telle qu'il l'aura acceptée sera désormais une vérité.

Vous sentez tous, messieurs, et votre commission l'a senti elle-même, que nous agissons sous l'empire d'un besoin pressant, d'une urgence déclarée, d'une impérieuse nécessité.

Puissent les efforts et le travail de votre commission obtenir faveur devant vous! Ralliez promptement les esprits dans une détermination commune, vivement désirée par nos commettans, et qui, nous ne saurions en douter, sera saluée par la reconnaissance et les acclamations de la nation tout entière. »

Après ce rapport, écouté dans un morne silence du côté droit, et plusieurs fois interrompu par des mouvemens approbatifs dans les autres parties de l'assemblée, M. le rapporteur donna lecture des modifications dont il venait d'exposer les motifs, et que la délibération achèvera de faire connaître.

Ce rapport fait, M. de Rambuteau demandait que, pour pourvoir à la vacance du trône, et calmer les inquiétudes que cette discussion commençait à exciter, on s'en occupât immédiatement.

Cet avis paraissait être celui des députés du centre; mais du côté gauche on paraissait vouloir en différer la délibération. M. Benjamin Constant, sans désavouer la part qu'il avait prise au travail de la commission, dont il était membre, tout en reconnaissant qu'il serait heureux que le prince désigné fût investi du droit de gou

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