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mesurée, circonscrite dans des limites exactement tracées, et que nous ne souffrirons jamais que l'on ose tenter de franchir; mais elle est positive daus son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple, la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévoue. ment nous condamnent à vous dire que ce concours n'existe pas.

« Une défiance injuste des sentimens et de la raison de la France est aujourd'hui la pensée fondamentale de l'administration : votre peuple s'en afflige parce qu'elle est injurieuse pour lui, il s'en inquiète parce qu'elle est menaçante pour ses libertés.

« Cette défiance ne saurait approcher de votre noble cœur. Non, sire, la France ne veut pas plus de l'anarchie que vous ne voulez du despotisme (1); elle est digne que vous ayez foi dans sa loyauté comme elle a foi dans vos pro

messes.

Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme, si fidèle, et nous qui, avec une conviction profonde, venons déposer dans votre sein les douleurs de tout un peuple jaloux de l'estime et de la confiance de son Roi, que la haute sagesse de V. M. prononce! Ses royales prérogatives ont placé dans ses mains les moyens d'assurer entre les pouvoirs de l'État cette harmonie constitutionnelle, première et nécessaire condition de la force du trône et de la grandeur de la France. >>

Il n'est pas besoin de dire l'impression que ces derniers para-* graphes durent produire au banc des ministres et sur ceux du côté droit. Il s'ensuivit une longue agitation, et l'assemblée eut besoin d'entendre une seconde lecture de ce projet d'adresse avant d'entamer l'importante discussion qu'il allait soulever.

M. DE LÉPINE ( député du département du Nord), qui réclama le premier la parole contre ce projet, débutait par quelques précautions oratoires, pour amener la Chambre à des sentimens moins hostiles envers les ministres. Selon l'honorabie orateur, les circonstances qui avaient précédé la session étaient bien loin d'autoriser ces formes inusitées de langage envers la couronne : la Chambre n'était point et ne pouvait se faire solidaire des excès de la presse, qui avait étrangement abusé de l'absence de cette Chambre pour affliger la royauté par de graves manquemens et par une manifestation d'ingratitude que les mandataires de la nation devaient s'empresser de désavouer, de condamner et même d'expier, au pied du trône. M. de Lépine, après avoir essayé de détourner ses collègues « d'entrer dans les voies effrayantes que huit mois de licence et de

(1) Expression de l'adresse des pairs déjà présentée au Roi le 9 mars.

« fermentation leur avait préparées,» s'attachait ensuite à repousser les préventions répandues par la presse libérale contre les membres du côté où il siégeait.

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Oui, messieurs, disait-il, nous vonlons l'entière exécution de la Charte, nous voulons les libertés publiques; il n'y a que les fausses interprétations que l'on voudrait donner à notre acte constitutionnel qui puissent nous effrayer. Loin de nous sentir emportés par l'esprit rétrograde, comme on le prétend; loiu de désirer le pouvoir absolu, nous sommes aussi fiers qu'aucun de nos adversaires de ce que le trône nous a jugés dignes de participer à sa puissance législative.

Ces libertés, dont on nous dit les ennemis, nous sont d'autant plus chères, que nous savons les envisager sous le point de vue qui les rend honorables et glorieuses : nous y voyons une de ces hautes marques d'estime qui ne s'accordent qu'aux nations éclairées, sur la sagesse et le bon esprit desquelles les souverains peuvent se reposer. Aussi ne craignons-nous rien tant que de les voir compromises par l'abus qu'en ferait une odieuse ingratitude. Nous sentons que plus la royauté nous a jugės favorablement, plus notre honneur est engagé à ce qu'elle n'ait point à se repentir de s'être trop pressée de nous estimer. Nous croyons, dis-je, comprendre parfaitement que le moyen d'obtenir ⚫ davantage n'est pas d'agir de manière à prouver qu'on méritait moins.

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Parmi nous, messieurs, il est un point de doctrines arrêté invariablement; c'est que personne ne peut donner ce qu'il n'a pas, et que par conséquent la souveraineté ne se confere point aux supérieurs par les inférieurs. Nous considérons les prétentions de ce genre comme des perturbations fuuestes qui tendent à replonger la société dans le chaos. Je ne suis point obligé de connaître l'enchainement des causes par lesquelles le ciel gouverne la terre; il me suffit de savoir que si l'autorité n'arrivait aux princes que par les sujets, les princes n'auraient point d'autorité; de même que si la justice n'avait de mission que par les justiciables, elle n'aurait point de mission. Enfin je ne puis me figurer une autorité paternelle constituée par les enfaus et tirant son origine de leur consentement, de leurs suffrages ou de leur permission. Non, ce n'est pas ainsi que le droit de régir les familles et les nations a pu se former ; il descend de plus

haut.

Les usurpations de pouvoirs sont des châtimens pour les peuples, ne les appelons pas sur pous par notre faiblesse, et ne recommençons pas cette série de malheurs que de semblables prétentions ont déjà attirés une fois sur

nous.

Je vois dans l'adresse qui vous est soumise un germe de destruction pour les libertés publiques, et je vote contre elle. Je vote contre elle, parce qu'elle contient une atteinte formelle aux droits du Roi de choisir ses ministres, parce qu'elle est une violation de la Charte, qui déclare que l'administration du royaume appartient au monarque, et parce qu'elle serait le renversement du gouvernement dans lequel nous vivons et dont, suivant la belle expression de la Chambre des pairs, la monarchie est le fondement.

Après ce discours, accueilli comme l'expression de l'opinion du côté droit, M. Agier parut à la tribune. La position parlementaire de l'orateur, considéré comme le représentant d'une fraction qui

devait décider du sort de l'adresse, donnait quelque importance à son discours. Il venait appuyer le projet d'adresse, parce qu'il lui paraissait accomplir un devoir impérieux de la Chambre, celui de dissiper les craintes dont on obsédait le trône par la menace d'une révolution, et les inquiétudes dont on tourmentait le pays par la menace du pouvoir absolu... Mais, en jetant un coup d'œil impartial sur la France, l'honorable orateur, rassuré par le grand nombre de ceux qui possédaient et qui avaient besoin d'ordre et de calme, n'y voyait, à l'exception d'un certain nombre d'intrigans qui avaient besoin de catastrophes pour être quelque chose, que le désir de conserver tout ce qu'elle tenait de la justice et de la bonté de ses rois. Il ne se dissimulait pas la déconsidération et l'affaiblissement du pouvoir; mais il les attribuait au mauvais choix de ses agens, aux intrigues ambitieuses, aux élévations s:bites de quelques favoris sans mérite, aux calomnies quotidiennes des journaux ou des écrivains ministériels qui insultaient jusqu'à la magistrature et la Chambre des députés, sans que le ministère public en informåt; et il citait à cet égard un Mémoire adressé au conseil du Roi (1), dans lequel on proposait de changer les formes du gouvernement, et la Charte elle-même, véritable contrat syllanagmatique, que personne désormais ne pouvait songer à briser ou même à violer sans péril.

Eh quoi! disait l'honorable membre, ce sont les excès du pouvoir absolu qui nous ont rendu la légitimité, et ce serait par les mêmes excès qu'on voudrait nous la ravir encore! Qu'on juge donc quels sont ses vrais amis, ou de ceux qui veulent le maintien du régime légal, ou de ceux qui appellent le régime des ordonnances! Vous voulez, est-on en droit de dire à ces derniers, vous voulez la monarchie avec ce qui peut éloigner d'elle, avec ce qui peut la faire vivre faible, vacillante pendant quelques jours, c'est-à-dire avec l'absolutisme; et nous, nous la voulons avec ce qui peut la faire aimer, adorer, avec ce qui peut la faire vivre forte, puissante et à jamais, c'est-à-dire avec la Charte..

M. de Conny, qui remplaça M. Agier à la tribune, regardait comme un devoir, au milieu des circonstances graves où la Chambre était placée, de donner à la discussion la plus entière franchise, en

(1) Ouvrage de M. Madrolle.

adjurant ses amis de tout entendre et ses adversaires de tout

dire.

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Nous le déclarons hautement, disait-il, nous croyons aux périls qui menacent la France et dans son repos et dans son avenir dans notre pensée ces périls sont imminens; nous ne voulons point être coupables envers notre pays d'un silence qui, dans les circonstances graves où nous sommes placés, serait une lâche trahison : nous ne voulons point qu'un jour on puisse charger notre mémoire d'une telle accusation. Quoi qu'il puisse arriver, nous remplirons nos devoirs...

Ici M. de Conny rappelle qu'il a existé, dès le commencement 'de la révolution, une faction puissante dont la haine contre les rois fut poussée jusqu'au délire, et dont le triomphe fut signalé par l'attentat du 20 janvier. Cette faction, il la retrouve au 20 mars!

C'est elle, s'écrie-t-il, qui consacra de nouveau le dogme de la souveraineté populaire, qui proscrivit une seconde fois cette royale maison à qui la France devait tout: ses libertés et sa gloire... Cette faction n'a jamais désavoué ses principes, son dogme favori. Vainement voudrait-elle dissimuler ses desseins, la conscience publique lui arrache le masque hypocrite dont elle veut se couvrir; désormais les illusions sont impossibles: ses défensears sont ses complices... སྐྱ་

Cependant c'est nous qui paraissons comme accusés; c'est à nous que l'on ne cesse de dire que nous conspirons contre la liberté de notre pays... ■ Dussent les cris des passions, tromper l'opinion contemporaine, nous nous présentons sans crainte à l'avenir : il dira qui a mieux servi la cause du pays et de la liberté, de nous ou de nos adversaires...

Il est dans l'éternelle nature des choses que le pouvoir ne puisse exister qu'à des conditions qui forment son essence, et sans lesquelles il cesse d'être.

« Aucune monarchie ne nous semble possible avec les principes qui surgissent au cœur de la société; la résistance par association est subversive de tous les principes de gouvernement... Le droit d'association politique s'exerçant en dehors de tous les pouvoirs de la société, ne peut exister sans porter atteinte an principe de l'autorité monarchique.

Nous ne discuterons point ici quelles furent les secrètes pensées de ceux qui ont participé à ces actes. De telles investigations ne nous appartiennent pas; mais nous devons proclamer hautement, quê de tels actes constituant l'exercice du pouvoir souverain, nou-seulement sont un outrage à la royauté, mais,' par leur nature même, sont le renversement de tout ordre social: nous devons dire hautement que si, en présence de telles doctrines et de tels faits, l'autorité restait impassible, tont serait perdu, la foi à la royauté serait éteinte, et l'anarchie serait constituée,

• Dans des temps où on parle sans cesse de contre- révolution, où nous sommes désignés sous le nom de contre-révolutionnaires, nous devons nous expliquer sans détour. La France doit savoir qui nous sommes, et d'abord, j'ai besoin de le dire: si pour être contre-révolutionnaire il faut combattre les principes de la révolution, vouer ses crimes à l'excécration des siècles, j'ai

été, je suis, je serai contre-révolutionnaire; ce scutiment est celui de ma vie entière: je prendrais pour affront qu'on en puisse douter...

La contre-révolution a été faite en France le jour où l'antique famille de nos rois nous fat rendue. Nous sommes donc contre-révolutionnaires, car nous avons béni cet heureux retour, et en exprimant cette pensée, nous sommes les organes de la France. Car la France entière est contre-révolutionnaire, car elle a subi la révolution; mais elle déteste la révolution; elle en désavoue les crimes; car elle voit dans les Bourbons le gage de la durée des institutions qu'elle doit an noble cœur de ses rois. La France est contrerévolutionnaire, car elle veut l'ordre, le repos et les libertés; elle sait que ces biens précieux disparaitraient dans un commun naufrage, si de nouvelles révolutions jetaient le vaisseau de l'État à travers les régions des tempêtes...

Mais si vous êtes contre-révolutionnaires, vous voulez, nous demandet-on, le retour de l'ancien régime ? je répondrai avec la mème franchise: non, nous ne le voulons pas, non, nous ne le voulons pas, car il est impossible; nous ne voulons pas ce que le temps a détruit sans retour,

Mais, nous le répétons, nous acceptons les formes nouvelles de notre gouvernement; la Charte est l'œuvre de notre Roi, et à ce titre sacré ; la Charte a reça nos sermens; nous nous inclinons devant elle, car elle est une émanation royale. Toute conspiration contre la royauté est un attentat envers la Charte. Au vingt mars, nous fûmes ses défenseurs, mais la révolution fut victorieuse, et la Charte disparut avec les Bourbons.

Proclamons-le hautement, messieurs, les pouvoirs de la société n'ont point reçu la mission de se trainer en esclaves au char de cette nonvelle puissance que l'on décore du nom d'opinion publique; ce ne sont point ces caprices qu'ils doivent sabir. Loin d'être subjugués par elle, ils doivent par leur habileté sa-' voir lai imprimer une direction grande, noble et généreuse.

Si le pouvoir s'abaissait à ramper en esclaves aux pieds de cette puissance, il ne serait plus pouvoir, il serait sous le joug du plus honteux servage qui puisse être imposé; il aurait abdiqué son caractère, il aurait méconnu sa noble destination, car il cesserait d'exercer sur les peuples une action morale. Succédant à tant de ministères qui depuis quinze ans ont paru sur cette scène si agitée et si mobile, une grande mission est imposée au ministère du 8 août. Pour le dire d'un mot, c'est l'œuvre de la restauration qu'il s'agit de consolider; ce sont les bienfaits promis aux peuples qu'il faut réaliser; c'est l'esprit de faction qu'il faut combattre et détruire; c'est un vaste système d'enseignement fondé sur l'accord éternel de la religion, des sciences et des lettres dont il faut doter la France; c'est l'arbitraire et le despotisme de la république et de l'empire qu'il faut extirper de nos Codes et de nos lois; c'est un système de recrutement militaire qui ne fasse plus peser sur les peuples de nos campagnes ce poids écrasant qui ne rappelle que trop la conscription de l'empire, qu'il faut effacer de notre légistr lation...

« Il faut à la fois savoir d'une main hardie combattre les factions, et par des institutions en harmonie avec les besoins des temps et les destinées de la France, réunissant les divers élémens dont doit se composer la puissance aristocratique, créer des intérêts qui la défendent et rendent à nos provinces cette vie morálè ́ dont elles sont privées.

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Nous pensons que l'aristocratie ne peut être puissante qu'antant qu'elle réunira dans un faisceau les diverses élémens de supériorité qu'une société rense ferme dans son sein; le problème à résoudre est dans la combinaison de ces : élémens divers qui doivent imprimer à cette puissance un caractère essentiel

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