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La discussion ouverte sur les modifications à faire à la Charte, et d'abord sur la suppression du préambule, M. Persil était d'avis qu'il ne suffisait pas de supprimer ce principe qui en fait la base, «< que l'autorité en France réside tout entière dans la personne du Roi. »

A mon avis, disait-il, il est indispensable de proclamer le principe contraire et d'en faire, la base de notre droit public français.

« Il faut dire que c'est du peuple, et du peuple seul, que part la souveraineté; il faut le dire, surtout au moment où le peuple se choisit un chef, et délégue à une nouvelle dynastie l'exercice d'une partie de cette souveraineté.

Il faut le dire, pour expliquer notre conduite et légitimer la translation de la couronne.

«

Il faut le dire surtont, pour qu'à l'avenir nul ne puisse se dire roi par droit divin, et ne se croie autorisé à offrir des concessions à nos descendans.

L'honorable orateur proposait en conséquence à la Chambre d'ajouter après l'art. 12 et sous le titre de la souveraineté ces deux articles (littéralement pris de la Constitution de 1791).

« La souveraineté appartient à la nation. Elle est inaliénable et imprescriptible.

La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. »

Cette proposition tomba comme celle de M. de Pódenas, parce que la déclaration était implicitement dans la rédaction du 4 paragraphe présentée par la commission.

Quant aux modifications proposées, M. Demarçay, soutenant toujours qu'il s'agissait en ce moment de refaire la Charte afin de lui donner une vie nouvelle, demandait qu'on en lût et mît aux voix successivement tous les articles, ce qui fut écarté par la question préalable. On se borna donc à relire les articles dont la commission proposait la suppression, le remplacement ou la modification. Venait d'abord l'art. 6: « Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État. >>

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Sa suppression, demandée par la commission, ne trouva point d'opposant; mais elle proposait de modifier l'art. 7, en y ajoutant les mots écrits ci-dessous en italique.

Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, professée par la majorité des Français, et ceux des autres cultes

chrétiens, reçoivent seuls des traitemens du trésor royal proposition qui fut longuement contestée et controversée. Suivant M. de Salverte, qui demandait la suppression des mots ajoutés, c'était la reconnaissance d'un fait variable, qui ne devait pas entrer comme principe constitutionnel; ce fait pouvait ne plus exister dans dix ans opinion qui souleva de vives réclamations, et qui n'en fut pas moins appuyée avec plus de ménagemens par MM. Benjamin Constant et Marschal, mais qui fut vivement combattue par MM. Charles Dupin, Kératry et Madier de Montjau, dans la crainte que les ennemis de la révolution nouvelle ne prissent occasion de la suppression de l'art. 6 pour agiter les populations de l'ouest et du midi de la France, en leur persuadant que la Chambre voulait supprimer dans l'État la religion catholique, apostolique et romaine, si l'on n'ajoutait dans le e la reconnaissance d'un fait que personne ne pouvait contester. L'article fut adopté tel que la commission le proposait; mais on en retrancha le mot seuls, pour ne *pas exclure les israélites, sur la réclamation de M. Vienhet; et on y substitua les mots trésor public à ceux de trésor royal, sur celle de M. Marschal.

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Une discussion moins vive et plus courte s'éleva sur l'art. 8 : « les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté. » La commission proposait d'en supprimer les huit derniers mots. Mais alors, comme l'observait M. Devaux, qui empêcherait de faire une loi de censure, et qui dispenserait de la nécessité de s'y soumettre? Observation qui fit ajouter à l'article en quesque « la censure ne pourra jamais être rétablie. »

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A l'art. 14, sur les attributions de la puissance royale, la commission retranchait les derniers mots et la sûreté de l'État, dans` lesquels un parti trouvait le pouvoir constituant et la justification des fatales ordonnances. La commission proposait de le terminer par ces mots limitatifs : sans pouvoir jamais ni suspendre les lois ellesmemes, ni dispenser de leur exécution. A quoi M. Jacqueminot ajoutait un paragraphe qui interdit l'admission d'aucune troupe étrangère au service de l'État sans une loi dispositions qui fuAnn. hist. pour 1830.

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rent l'une et l'autre adoptées. Les art. 16 et 17 furent ensuite réunis en un seul, qui attribue l'initiative des lois aux trois pouvoirs, excepté quant à la loi d'impôt, qui doit être votée d'abord par la Chambre des députés. On ne s'arrêta guère davantage sur la modification des art. 26, 30, 31 et 32. L'admission des princes du sang dans la Chambre des pairs à vingt-cinq ans, et la publicité des séances de cette Chambre n'excitèrent point de réclamation.

La discussion arrivée à l'art. 33, sur l'attribution déférée à la Chambre des pairs de juger des crimes de haute trahison et d'attentats à la sûreté de l'État, qui seront définis par la loi, M. Mauguin demandait la suppression des derniers mots pour ne pas rester davantage dans le provisoire sur la question de la responsabilité des ministres, et en vue d'en faire déterminer les cas; mais, sur des observations de M. Dupin aîné, la suppression a été rejetée.

L'art. 36, sur le nombre des députés, et l'art. 37, pour le renouvellement par cinquièmes, avaient été plusieurs fois violés ou éludés, la commission proposait de les fondre en un seul, portant que les députés seront élus pour cinq ans, ce qui leva toute équivoque.

A l'art. 38 la commission proposait de fixer à 30 ans l'âge d'éligibilité des députés; M. Villemain demandait qu'on l'abaissât à 25 ans : il faisait valoir l'avantage de préparer de bonne heure à la carrière politique des hommes, étrangers par leur âge, aux haines héréditaires, et la justice qu'il y avait d'accorder à la Chambre des députés les priviléges dont jouissent les pairs, observation à laquelle on répondait que ceux-ci n'ont voix délibérative qu'à trente ans. Cette opinion, combattue par M. Berryer, et soutenue par M. Eusèbe Salverte, qui voulait donner plus de latitude aux choix et d'émulation à la jeunesse, ne fut pas adoptée : la Chambre s'en tint à l'avis de la commission.

Quant à la deuxième partie du même article 38, la commission proposait de substituer à l'énonciation du cens d'éligibilité 1000 fr., ces mots : « Et s'il ne réunit les autres conditions déterminées par la loi. >>

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Plusieurs voix demandaient qu'on ajoutât qui seront, ce qui annonçait l'intention d'un changement (M. Bernard, etc.); d'autres, qu'on maintint le cens actuel (MM. de Berbis, de Monthauson); M. Benjamin Constant objectait que dans ce système il y avait un grave inconvénient auquel il était urgent de mettre un terme, c'està-dire à la diminution des électeurs et des éligibles qui arrivait en proportion de l'accroissement de la prospérité publique, c'est-àdire la réduction de l'impôt.

Ce n'était pas une vaine dispute de mots que de savoir si l'on mettrait dans l'art. 38, qui sont ou qui seront.

- Quelle a été la pensée de la commission, disait M. Dupin aîné ? c'est de ne pas prendre sur elle de décider des choses qui auraient comporté une longue discussion et qui tenaient à un système de législation. Si l'on mettait le présent qui sont déterminées, vous n'auriez pas d'avenir; et si vous mettiez l'avenir qui seront, vous n'auriez pas d'élection possible pour un cas présent. Voilà ce qui nous a fait mettre seulement determinées.

Rédaction que la Chambre approuva, et dont la suite a fait voir la sagesse.

L'article 63 de l'ancienne Charte qui, tout en interdisant la création de commissions ou tribunaux extraordinaires, autorisait celle de juridictions prevôtales, en cas de nécessité, avait toujours choqué l'opinion libérale: il impliquait contradiction. La Chambre, après l'avis de sa commission, a rejeté l'exception, en ajoutant à la première partie de l'article, c'est-à-dire à la défense de créer des commissions et tribunaux extraordinaires, « à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être. Elle retrancha aussi de la prérogative royale le droit de régir les colonies par des règlemens particuliers (art. 73).

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On substitua ensuite au serment du sacre l'obligation pour le Roi de le prêter en présence des Chambres réunies: on mit cette Charte sons la protection des gardes nationales et de tous les citoyens, et l'on y consacra la reprise du drapeau et de la cocarde tricolores ces dispositions, que forment les articles 74, 75 et 76 de la nouvelle Charte, furent adoptées comme par acclamation. Restaient les dispositions particulières.

M. Bérard se levant sur le premier article concernant l'annulation des nominations des pairs faites sous le règne de Charles X, demandait qu'on supprimât du second paragraphe ces mots: qui donne au Roi la faculté illimitée de nommer des pairs, attendu qu'ils sembleraient restreindre le droit réservé d'examen de l'art. 27 qui devait être aussi complet que possible.

M. de Lafayette, prenant ensuite la parole, donna plus d'intérêt et d'importance à la question.

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Lorsque je viens, dit l'honorable général, énoncer une opinion contestée par beaucoup d'amis de la liberté, on ne me soupçonne pas d'être entraîné par esprit d'effervescence, ou de courtiser une popularité que je ne préfererai jamais à mes devoirs; les sentimens républicains que j'ai manifestés dans tous les temps et devant tous les pouvoirs, ne m'ont pas empêché d'être le défenseur d'un trône constitutionnel. C'est aiusi, messieurs, que dans la crise actuelle, il nous a paru convenable d'élever un autre trône national, et je dois dire que mon vœu pour le prince dont le choix vous occupe s'est fortifié lorsque je l'ai connu davantage; mais je diffèrerai d'avec beaucoup de vous sur la question de la pairie héréditaire. Disciple de l'école américaine, j'ai toujours pensé que le corps législatif devait être divisé en deux Chambres, avec des dif ferences dans leur organisation; cependant je n'ai jamais compris qu'on pût avoir des législateurs et des juges héréditaires. L'aristocratie, messieurs, est un mauvais ingrédient dans les institutions publiques; j'exprime donc aussi fortement que je le puis mon vœu pour l'abolition de la pairie héréditaire, et en même temps je prie mes collègues de ne pas oublier que, si j'ai toujours été l'homme de la liberté, je n'ai jamais cessé d'être l'homme de l'ordre public. »

M. Berryer, qui parut après M. de Lafayette à la tribune, y combattit la proposition d'annuler les nominations de pairs faites par Charles X, en vertu d'un droit constitutionnel; ce serait entrer, selon lui, dans les voies de la rétroactivité, et violer le principe fondamental de la societé. Mais M. Petou, qui parla ensuite, ne se contentait pas d'appuyer la proposition.

« J'applaudis de tonte ma force, disait-il, à la disposition particulière qui concerne les nominations et créations nouvelles de pairs faites sous le règne de Charles X.

« La pairie, la véritable pairie s'indignait de cette odieuse intrusion. On a vu des membres de la Chambre vénale, pour obtenir le salaire de leurs basses servilités, voter à découvert ces lois désastreuses qui faisaient le désespoir du pays; sûr d'échapper à la vindicte électorale, et pour trouver dans la Chambre des pairs de l'impunité pour leur conduite parlementaire, ils bravaient là, comme dans un refuge assuré, l'opinion publique justement déchaînée contre eux. C'est donc un acte de bonne justice que de purger la Chambre des pairs de ces hommes qui avilissaient sa dignité; mais pour rehausser cette

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