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lement populaire, car elle sera vouée à la défense des intérêts généraux de la société. Les peuples reconnaîtront de plus en plus alors que tout ce qui accroît les forces de la monarchie, accroît le bien-être des conditions, même les plus inférieures, et qu'en définitive tout ce qui est monarchique est essentiellement populaire.

Si le ministère qui a été formé le 8 août marchait dans les voies de celui qui l'a précédé, ses destinées sont écrites, il ne pourrait y échapper; le sort des ministres qui ne sont plus annoncerait assez celui qui serait réservé à leurs successeurs. Les ministres qui sont tombés le 8 août ne sont tombés que parce qu'ils n'ont pas compris les conditions du pouvoir; ils ont tenu d'une main timide le gouvernail, et le gouvernail s'est brisé entre leurs mains.

Ici l'honorable orateur rappelait les titres du chef de l'administration actuelle (M. de Polignac) à la confiance du monarque et des royalistes, son émigration, son retour en France, son courage et son dévouement fraternel dans la conspiration de 1804. Il revenait sur les dangers qui menacent la dynastie royale et la France, et concluait au rejet du projet d'adresse.

M. Félix Faure, qui se présenta ensuite pour défendre l'adresse, ne s'attacha non plus qu'à la question vitale qui résultait des derniers paragraphes. Il déplorait d'abord la lacune laissée jusqu'ici dans la Charte par le défaut d'une loi sur la responsabilité des ministres et la légèreté avec laquelle on traitait cette Charte, 'consacrée par les traités, par les sermens les plus solennels des rois et des peuples, et il n'hésitait pas à voir dans les faveurs, dans les choix et dans la conduite générale du ministère l'indice assuré d'un système hostile aux libertés publiques.

On était impatient de voir un ministre paraître à la tribune. Ce fut celui de l'intérieur, M. de Montbel, qui s'y présenta le premier.

«Si l'on jugeait de l'état de la France par les tableaux désastreux qu'on se plaît à tracer chaque jour, dit S. Exc, ne penserait-on pas que le peuple gémit sous au dur esclavage, que ses droits sont méconnus, qu'il est sacrifié aux caprices de l'arbitraire, que la plus insigue injustice dicte tous les actes du pouvoir, que les sources de la prospérité publique tarissent devant les excès du despotisme? Je vous le demande, messieurs, qu'y a-t-il d'exact dans de semblables déclamations. La paix publique n'est troublée que par les cris de la licence, qui, chaque jour, proclame l'anéantissement de la liberté. Il y a plus de vérité qu'on ne pense dans ces étranges clameurs. Quand la voix de la licence se fait entendre, la liberté est menacée. Que devient en effet la liberté de l'homme de bien qu'opprime la calomnie, de l'administrateur dont on incri

mine les intentions les plus pares, dont on s'attache à paralyser l'action, dont on s'étudie à anéantir l'influence?

- Mais si le mal n'existe pas réellement, nous dit-on, du moins la crainte du mal est réelle, et cette crainte est née avec un ministère que nous accusons de s'interposer entre le Roi et le peuple. Oui, messieurs, en effet, interposés entre le Roi et le peuple, nous avons été les dispensateurs des bienfaits inépuisables du monarque à la population reconnaissante dont nous lui avons rapporté les hommages et les bénédictions. Et, taudis qu'un biver rigoureux faisait peser tant de maux sur la France, nous avons eu à sigualer au Roi nu peuple entier offrant le touchant spectacle de la bienfaisance la plus active, et du malheur le plus résigné : partout, au milieu des plus cruelles privations, l'ordre, la sagesse, le respect des lois et de l'autorité royale à côté des déclamations furienses de quelques hommes qui, an sein des jouissances du luxe, s'irritent de je ne sais quel malheur qu'enfante leur infatigable imagination. Ceux-là seuls sont coupables de séparer le Roi de son peuple, qui, sans cesse, cherchent à égarer l'opinion publique par les assertions les plus odieuses, qui invoquent contre le gouvernement des mesures préventives qu'ils prétendent avoir en horreur; qai s'efforcent d'entraîner une population fidèle dans une association coupable, en quelque sorte nouvelle loi de suspects qui n'est pas dirigée contre les seuls ministres, car la supposition d'une ordonnance illégale n'entraîne pas seulement l'idée d'un contre-seing responsable. Elle calomnie cette main auguste que le people ne connait que par les bienfaits qu'elle répand.

Telles sont, inessieurs, les insinuatious perfides, telles sont les manœuvres que le Roi a signalées dans son discours; tels sont les obstacles qu'une malveillance ostensible prépare à son gouvernement; tels sont les obstacles que le Roi trouvera la force de surmonter en s'appuyant sur la juste confiance, sur l'amour de son people, sur la coopération qu'il n'aura pas vainement demandée aux pairs et aux députés de la France.

Sous les formes d'un langage respectueux, il est vrai, on exige du Roi la revocation de ses ministres dout on accuse la pensée; mais a-t-on réfléchi aux résultats nécessaires d'une semblable exigence? ne voit-on pas combien on menace ainsi les institutions elles-mêiaes, dans leurs dispositions les plus essentielles? que deviendraient en effet les articles 13 et 14 de la Charte? où serait l'indépendance du pouvoir exécutif, que resterait-il de l'autorité royale? Le Roi, renonçant à sa liberté dans le choix de ses agens, recevrait désormais les ministres que lui imposerait la majorité des Chambres. En cas de discord entre elles, à laquelle des deux devrait-il obeir? Ainsi une seule Chambre absorberait les deux autres pouvoirs législatifs; ainsi par ses ministres elle s'emparerait de la puissance exécutive, de l'initiative des lois, de l'armée..... Est-ce là l'esprit de nos institutions.

C'est le sentiment profond de cette vérité qui faisait dire avec tant de raison à celui de nos collègues que vos récens suffrages ont signalé à la nomination du Roi (1): Le jour où le gouvernement n'existera que par la majorité de la « Chambre; le jour où il sera établi en fait que la Chambre peut repousser les ministres du Roi et lui en imposer d'autres, qui seront ses propres ministres, et non les ministres du Roi; ce jour-là, c'en est fait, non-seulement de la ·Charte, mais de cette royauté indépendante qui a protégé nos pères, et de laquelle seule la France a reçu tout ce qu'elle a jamais en de liberté et de bon«<leur; ce jour-là nous sommes en république.

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(1) M. Royer-Collard, discours prononcé dans une session précédente,

L'auteur de la Charte a dit en l'octroyant : « Quand la violence arrache des « concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas moins « en péril que le trône même. » La concession aujourd'hui demandée, le Roi ne vent pas, le Roi ne peut pas vouloir l'accorder, parce que ses droits sont sacrés, parce qu'il veut les transmettre intacts à ses successeurs, parce qu'il a juré de maintenir les institutions et qu'il n'a jamais manqué à sa parole.

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Quant à nous, messieurs, il ne saurait nous être indifférent de ne pas obtenir votre approbation; il nous importe encore plus de ne pas vous donner le droit de nous refuser votre estime. Nous ne nous dissimulons pas toute la difficulté de nos devoirs; mais, convaincus de leur importance, nous saurons les accomplir. A des outrages que nous ne provoquerons jamais, à des attaques que nous n'avons pas méritées, nous n'opposerons que la loyauté de notre conduite. Celui dont le pouvoir a créé notre existence a seul droit de l'anéantir : tant qu'il le jugera convenable, nous resterons dévoués à son service. Rien n'ébranlera notre résolution, rien ne saura lasser notre constance. On ne nous verra, pas abandonnant le poste que le Roi nous a confié, répondre par une låcheté à l'honneur que nous avons reçu de fui...

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A ce discours écrit, souvent interrompu par de vives marques de satisfaction du côté droit, M. Benjamin Constant répondit surle-champ par une improvisation dans laquelle il commençait par justifier des paroles prononcées par l'honorable président(M.RoyerCollard) dans des circonstances tout-à-fait différentes de celles d'aujourd'hui.

Quant à l'objet principal de l'adresse, quant à ces expressions où le ministre et ses amis voyaient un outrage pour S. M., l'honorable orateur en expliquait la raison et le sens véritables, et s'attachait à démontrer qu'elles n'avaient rien d'injurieux ni d'attentatoire à la prérogative royale....

«Eh quoi! disait-il en substance, attaquons-nous cette prérogative en signalant les défiances qui règnent dans le pays, et en exprimant des vœux pour que les causes de cette défiance disparaissent? Nous ne disons pas que les ministres doivent se retirer parce qu'ils excitent la défiance du pays, nous disons que l'accord doit exister entre les pouvoirs, et qu'il importe de le rétablir. La royauté a dans les mains une ressource constitutionnelle dont elle peut user, c'est la dissolution. La Chambre dit que de tristes antécédens l'obligent à ne se point confier aux ministres actuels. La sagesse royale choisira entre les députés et les ministres : nous n'attaquons pas la prérogative royale, nous demandons qu'elle rétablisse l'harmonie entre les pouvoirs, on en renvoyant les ministres on en en appelant à cette nation à laquelle M. le ministre de l'intérieur luimême vient de rendre un juste hommage, en disant que partout les lois et l'autorité royale sont respectées et obéies.

« Le ministère actuel a fait peu d'actes, je l'avoue; mais cette absence d'actes même est, à mes yeux, l'un de ses torts: au milieu d'une nation active dont toutes les facultés politiques et industrielles demandent à se développer, cette immobilité est une faute grave qui expose le ministère à de justes et sévères

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reproches. Mais, d'ailleurs, dans le petit nombre d'actes qui lui appartiennent, j'aperçois une tendance dont nous nous sommes alarmés à bon droit. Vous rappellerai-je, messieurs, les encouragemens, les faveurs prodigués à tous ceux qui parlent de bouleverser nos institutions; à ces journaux semi-officiels qui ont insulté aux majorités, qui n'ont cessé de dire qu'il fallait sauver la monarchie sans elle, malgré elle; et cela, tandis que de rigoureuses poursuites étaient chaque jour dirigées contre les organes de l'opposition? Est-ce donc là de l'impartialité ?

■ De là, messieurs, la défiance qui environne le ministère; de là ces associations qu'on a qualifiées de coupables; elles sont la déclaration que, dans toutes les circonstances, nous n'obéirons qu'à la Charte; elles sont tout aussi innocentes, tout aussi motivées que les déclarations de ceux qui disent que, dans toutes les circonstances, ils défendront la monarchie. Oui, messieurs, nous et tous les citoyens qui prendront conseil de nous, nous ne paierons aucun impôt qui n'aura pas été voté conformément à la Charte; et, par là, nous rendrons service à la liberté et à la dynastie; à la dynastie, que ne cessent de compromettre ses prétendus amis.

M. de Guernon-Ranville, ministre de l'instruction publique, prenant alors la parole, insista de nouveau et entra dans des développemens plus étendus sur la question de savoir jusqu'à quel point la prérogative royale serait compromise si l'on admettait l'espèce de sommation faite au roi de choisir entre ses ministres et la Chambre (expressions qui excitèrent de violens murmures du côté gauche).

« Sur le point fondamental, dit ce ministre, celui qui touche aux bases même du gouvernement constitutionnel, les simples lumières de la raison, le texte de la Charte et les enseignemens de l'histoire, tout s'accorde pour vous déterminer à repousser l'exorbitante prétention qu'on élevait içi de contraindre le Roi au renvoi immédiat de ses ministres, par cela seul qu'il ne jouiraient pas de la confiance de la majorité de la Chambre. La raison repousse cette prétention.

En effet, les ministres sont les hommes du Roi ; dépositaires de la pensée du gouvernement, c'est à eux qu'est confié le mandat de développer cette pensée ; à eux aussi est remise, sous leur responsabilité personnelle, toute l'action du pouvoir exécutif, dont le Roi seul est la source. Or comment concevoir, d'une part, que la volonté du Roi puisse recevoir la moindre atteinte dans l'indépendance du choix de mandataires aussi intimes? comment ad. mettre cet étrange renversement d'idées dont le résultat serait de contraindre dans le chef suprême de l'État ce qu'il y a de plus libre au monde, la confiance?

« Et qu'on ne dise pas qu'il ne s'agit pas d'imposer au Roi le choix de ses ministres, mais seulement de l'obliger à renvoyer ceux qu'il a choisis. N'est-il pas évident qu'il y aurait même tyrannie dans l'une et l'autre hypothèse ?...

• Prescrire au Roi de retirer sa confiance aux hommes qu'il en a jugé dignes, serait-ce donc moins odieux que de le forcer à recevoir des mandataires qui ne possèderaient pas cette confiance?

Et, d'uu antre côté, si vous avez le droit de contraindre le Roi à renvoyer ses ministres actuels', vous aurez le même droit apparemment à l'égard

de ceux qui les remplaceront, et vous arriverez ainsi nécessairement à ce point que le pouvoir royal sera forcé d'accepter pour ministres les hommes qu'une majorité systématiquement organisée lui désignera comme seuls dignes de la confiance de la Chambre...

La raison se soulève en présence d'une felle doctrine, et ne reconnaîtrait qu'une funeste anarchie dans un gouvernement ainsi constitué.

Tel n'est point le gouvernement de la Charte, et ici le texte de la loi fon-damentale est trop précis pour laisser place au moindre doute. Le Roi est le chef suprême de l'État, et à ce titre, il nomme à tous les emplois de l'administration publique.

« Les Chambres discutent et votent les lois qui leur sont présentées, elles peuvent même supplier le Roi de proposer une loi dont l'opportunité leur paraît démontrée; mais là se horne et doit, pour le bon ordre, se borner leur intervention dans les affaires du pays."

« Pouvoir essentiellement législatif, les Chambres n'ont aucune action dans l'administration qui tout entière est réservée au souverain. Or, n'est-il pas évident qu'une intervention quelconque dans les choix des agens du gouvernement serait, de la part de la Chambre, une véritable invasion dans le domaine administratif, une coupable usurpation sur le pouvoir royal, et tendrait à amener la plus funeste perturbation dans l'État ?

Mais dira-t-on, cette intervention n'est qu'indirecte, elle n'a de positif que ses résultats... »

Expliquons-nous : nul doute que, par le vote des lois, les Chambres n'exercent une immense influencé sur toutes les parties de l'administration, puisque cette administration n'agit et ne se développe qu'en s'appuyant sur la loi. Nul doute encore que les Chambres ne puissent exercer une grande influence sur l'existence des ministres, puisqu'en rejetant les lois proposées, elles peuvent avertir le chef de l'Etat que le système de son gouvernement n'est point en harmonie avec leurs principes, et le mettre ainsi dans la nécessité on de changer ses ministres ou de briser une majorité hostile: telle doit être l'intervention légale des Chambres dans la délibération des intérêts publics, intervention indirecte, sagement mesurée et circonstrite dans les limites tracées par la Charte. Mais, messieurs, est-ce par cette voie indirecte et légale que le projet vous offre d'intervenir dans ce que l'action du gouvernement a de plus intime? On vous propose de dire au pouvoir royal: « Choisissez entre nous et vos ministres; nous ne connaissons pas leurs doctrines, nous ignorons leurs principes en matière de gouvernement, leur aptitude nous est inconnue; n'importe, nous décidons qu'il y a incompatibilité entre eux et nous; nous ne voulons ni les entendre, ni examiner les lois qu'ils nous proposeront dans l'intérêt du pays; un seul intérêt nous domine en ce moment, c'est d'éloigner des hommes qui nous sont anthipatiques; prononcez entre eux et

"

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nous... »

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Étrange langage; étrange manière d'entendre la prérogative royale et de préparer cette harmonie constitutionnelle, première et nécessaire condition de la force du trône et de la grandeur de la France !...

« Je ne crains pas de le dire, messieurs, le jour où la couronne se laisserait ainsi dominer par les Chambres, le jour où de pareilles injonctions pourraient être faites et reçues, la monarchie constitutionnelle aurait cessé d'exister; bientôt nous n'aurions plus ni tróne, ni Charte, ni Chambre; l'anarchie, la plus violente anarchie recommencerait ses sanglantes aberrations. »

Ici M. le ministre invoquait, à l'appui de ses doctrines et de ses

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