Page images
PDF
EPUB

Ainsi se terminait heureusement ce long voyage, objet de tant de précautions et d'inquiétudes à travers des populations dont on pouvait redouter les sympathies on les ressentimens, mais qui montrèrent moins de passions politiques que d'étonnement et de pitié. Elles regardaient passer trois générations tombées du trône, comme un spectacle, spectacle unique en effet dans l'histoire.

Les gardes-du-corps étaient restés en bataille en face des vaisseaux pendant l'embarquement. Il avait été convenu qu'ils garderaient leurs cocardes blanches jusqu'au départ de la famille royale... Ils s'empressèrent de les retirer dès que les bâtimens furent sortis du port... mais la vue de cette cocarde avait indisposé le peuple, et surtout les marins. On jugea prudent de les faire sortir immédiatement de Cherbourg, et ils repartirent sans mettre pied à terre pour Valogne et pour Saint-Lô, où il leur a été remis, par des commissaires délégués pour accompagner le roi Charles X, un certificat authentique de la conduite loyale et honorable qu'ils avaient tenue dans cette grave circonstance; et après avoir reçu leur solde, ils ont été renvoyés dans leurs foyers, avec promesse de la demi-solde, jusqu'à ce qu'ils fussent rappelés au service ou admis à la retraite.

Pour achever ce qui nous reste à dire de la famille royale, sa traversée fut heureuse. Vingt-quatre heures après son départ de Cherbourg, le convoi ou l'escadrille qui le portait mouilla dans la rade de Portsmouth. On ne savait encore à son approche, ni les intentions du gouvernement anglais, ni celles de Charles X. Le gouverneur du port, l'amiral Foley, vint à bord du paquebot royal; il fut convenu que deux envoyés de Charles X, le duc de Luxembourg et le marquis de Choiseul, iraient à Londres pour s'entendre avec les ministres, et obtenir l'autorisation nécessaire au débarquement de la famille royale.

En attendant le résultat de cette mission, le peuple de Portsmouth, où les journées de juillet avaient excité, comme à Londres, un grand enthousiasme, prenait ou se préparait à prendre-les couleurs françaises dans le cas où le Roi débarquerait, pour lui faire connaître les sentimens de la nation anglaise; ce qui détermina la

famille à prendre le mouillage devant la petite ville de Cowes, dans l'île de Wight.

Deux jours se passèrent ainsi en attendant la réponse du ministère anglais, pendant lesquels les princesses firent des excursions à terre, mais sans que le Roi ni le dauphin voulussent débarquer. A la fin, après plusieurs conférences des ministres anglais avec les ambassadeurs étrangers, il fut décidé que Charles X serait reçu, mais en simple particulier, sous le nom de comte de Ponthieu. Un riche gentleman (M. Weld) lui offrit le château de Lulworth, dans le Dorsetshire, à quinze milles au sud-ouest de Plymouth, où la famille resta, jusqu'au 20 octobre, dans une espèce de solitude. Quelques semaines après, soit que la résidence parút trop étroite, ou le voisinage des côtes de France trop favorable aux intrigues que la famille déchue pouvait y entretenir, d'autres disent aux entreprises qu'on pouvait tenter contre la vie du duc de Bordeaux, le roi d'Angleterre lui fit offrir le château royal d'Édimbourg, ou d'Holy-Rood, ancienne habitation des Stuarts, où Charles X avait déjà passé plusieurs années dans son émigration ou son premier exil. La famille y reçut de la population. un accueil plus flatteur qu'à Lulworth. Le célèbre Walter-Scott n'invoqua pas en vain la générosité compatissante des Écossais. pour une grande infortune... La famille royalé y vécut également dans la retraite, sans étiquette, ne recevant que des voyageurs ou des visites privées, tout occupée de l'éducation du duc de Bordeaux, qu'elle se plaisait toujours à considérer comme le roi légitime, « que la France, éclairée par ses malheurs, redemanderait elle-même ; » car tous les rapports ou les bruits venus des conversations de Charles X et de sa famille s'accordaient à dire que, dans la conviction intime de ce malheureux Roi, la conspiration. permanente et les projets du parti libéral avaient rendu les ordonnances nécessaires pour sauver l'État d'une révolution qui serait arrivée sans elles, et que les Français avaient méconnu ses intentions.

[ocr errors]

CHAPITRE IX.

Réjouissances dans la ca

Etat des partis à l'avènement de Louis-Philippe. pitale et dans les provinces. · Opposition des royalistes et des républi cains. - Premiers actes du nouveau gouvernement. Formation du ministère. Promotions remarquables dans l'administration, et datis les armées de terre et de mer. - Ordonnances sur les armoiries et les titres des membres de la famille royale. - Proclamation du Roi. Système de son Mort du duc de Bourbon, prince de Condé. ment en faveur du duc d'Aumale. Mouvemens séditieux à Paris et dans les provinces. Coalitions d'ouvriers. Autres désordres à Roueri, Rochefort et à Nîmes. - Revue de la garde nationale à Paris.

gouvernement.

[ocr errors]

-

Testa

Les premiers jours des révolutions sont presque toujours beaux, brillans de joie et d'espérance; c'est le soleil qui sort tout radieux du sein d'une tempête. Le triste murmure des vaincus est étouffé dans les acclamations bruyantes des vainqueurs. Le peuple, maître un moment de la fortune publique, ne voit plus de misères dans l'avenir. La foule des ambitieux se précipite en avant de la révolution au banquet des faveurs et des grâces du nouveau pouvoir; il ne s'aperçoit de ses ennemis que quand il n'a plus rien ou que peu à donner. Ceux qu'il a le plus largement récompensés ne se croient que justement payés ou indemnisés; ceux qu'il maltraite, ou qu'il néglige n'attendent qu'une autre occasion pour se relever; et les partis qui étaient naguère opposés sont bientôt prêts à s'accorder pour la ruine de celui dont ils n'attendent plus rien ou dont ils n'ont pas assez obtenu : c'est l'histoire de toutes les révolutions; c'est ce qui explique les orages, les secousses et les difficultés que celle-ci aura bientôt à vaincre. Jamais on n'oubliera l'enthousiasme et les acclamations populaires qui saluaient de lieutenant général et même le nouveau monarque. Les salons de son palais étaient déjà remplis de vieux courtisans ou de libéraux qui se disposaient à les remplacer. La foule se pressait dans les cours, en chantant la Marseillaise et la Parisienne ; et le Roi venait souvent s'y confondre,

donnant et recevant des plus obscurs citoyens des témoignages familiers de joie et d'affection. H arrivait tous les matins des députa tions de communes des gardes nationales improvisées qui venaient le féliciter du courage d'avoir accepté la couronne. Leurs chefs étaient admis à sa table; on y voyait souvent des jeunes gens des écoles, dont l'ardeur avait été d'un si grand secours dans les trois jour nées... C'était chaque jour un banquet de grande famille... Partout, à côté des ignobles caricatures sur les membres de la dynastie de chue, que peu de voix encore osaient défendre, paraissaient étalés les portraits des princes et princesses de la maison d'Orléans, dont on exaltait à l'envi les vertus privées, et l'éducation libérale et les opinions populaires. Plusieurs jours se passèrent dans ces enchantemens et ces illusions, sans qu'il s'élevât de contradictions ni de troubles à l'avènement du nouveau Roi, si ce n'est dans quelques localités, comme à Nîmes, où la révolution réveilla les vieilles haines entre les catholiques et les protestans; dans la Vendée, où l'influence des prêtres et des anciens seigneurs ou chefs de paroisses était encore toute-puissante; et dans des villes du Midi, où la pérception de l'impôt indirect sur les boissons fut long-temps susperrdue. En général, dans les provinces, les intérêts matériels y dominaient l'intérêt politique: il n'y eut d'abord qu'un vou, c'était de voir finir promptement cette crise.

de

Mais dès que la publication de la Charte nouvelle et le refroidissement du combat eut permis quelque liberté aux feuilles royalistes, elles commencèrent à contester la légalité de ce qui venait se faire.... Elles admettaient bien que le lieutenant général, reconnu ou nommé à la fois par Charles X et par les députés, pút pourvoir provisoirement aux nécessités de l'État; mais tout ce qui avait été fait au-delà leur semblait nul en droit. La Chambre élue en vertu de la Charte de Louis XVIII, la Chambre envoyée vers un trône légitime, la Chambre choisie par des électeurs qui avaient fait serment de fidélité au Roi et d'obéissance à la constitution royale, n'avait eu ni pouvoir, ni mandat pour changer les conditions de l'ordre politique... Ceux qui adhéraient à la légitimité par sentiment ou par principes, et ceux qui avaient foi dans la souveraineté Ann. hist. pour 1830.

17

du peuple, tout en se proposant un but différent, devaient être d'accord sur la nullité radicale de tout ce qui avait été fait : ce n'était ni la conséquence d'un principe vivant par lui-même, ni d'une volonté générale librement et manifestement exprimée (1). Ainsi commençaient à surgir des semences de discorde, des germes de résistance et des élémens de désordres. Le parti vaincu se jetait dans toutes les voies pour se relever de sa défaite, invoquant déjà contre le nouveau gouvernement le principe d'après et sur lequel il était foudé. «<La position la plus convenable pour quiconque a quelque

noble idée de la liberté humaine, disait un des écrivains de ce parti, « c'est d'oser demander aux révolutions la conséquence des principes qui les produisent. Ceci pousse à des abîmes peut-être, mais aussi ramène forcément à l'ordre moral, le seul qui constitue en définitive la société (2).

[ocr errors]

-i Que l'on mette à côté de cette opposition celle du parti dont la devise était ce qu'il regardait comme le Programmé de l'Hôtel-deVille, un tróne populaire entouré d'institutions républicaines,» on concevra les difficultés et les ennemis que le gouvernement nouveau avait à vaincre. Il faut les rappeler pour l'intelligence de ses actes et des événemens.

Le duc d'Orléans, en recevant la lieutenance générale, avait commencé par faire quelques changemens aux choix de la commission municipale de Paris, pour les premiers postes d'administration publique, qu'il était urgent de confier à des amis ou partisans de la révolution. Il avait confié le portefeuille des affaires étrangères à M. le maréchal Jourdan, et l'instruction publique à M. Bignon; la préfecture de police à M. Girod (de l'Ain), celle de Versailles à M. Aubernon, celle de Rouen à M. le comte Treilhard, et rendu la direction des domaines à M. Calmon. Un de ses premiers actes fut aussi d'autoriser ses deux fils les plus âgés, les ducs de Chartres et de Nemours, à siéger à la Chambre des pairs, ce qui a excité dans la suite des réclamations. (Ord. du 3 août.) Il faut en

(1) Gazette de France, du ro août.

‚ (2) Quotidienne, du 18 août.

« PreviousContinue »