Page images
PDF
EPUB

pour les eaux de Bourbon était concerté comme une fuite. C'est au moment d'effectuer ce projet, après avoir reçu comme à l'ordinaire les complimens de sa fête (le 25 août), après avoir fait, dans la soirée du 26, sa partie de whist avec la même tranquillité, après avoir cent fois témoigné l'horreur du suicide, après avoir reçu les mêmes soins de ses serviteurs, et sans leur donner le moindre indice de cette intention funeste, que le malheureux vieillard, voulant ou croyant se punir d'avoir déshonoré sa race, s'était résolu à terminer une existence sillonnée de profonds chagrins, d'une manière si indigne d'un homme, d'un guerrier, d'un Condé.

Aussi ce suicide a-t-il trouvé des incrédules et soulevé des soupçons que n'ont pas entièrement dissipés l'instruction judiciaire, et la déclaration solennelle rendue qu'il n'y avait pas de charges suffisantes pour une poursuite criminelle et pour établir que la mort du prince pût être l'effet d'un assassinat (1).

D'ailleurs, malgré les bruits qui en couraient et la rigueur des lois religieuses contre les suicides, les funérailles du malheureux prince eurent lieu, comme dans toute autre circonstance. Le cœur fut déposé dans la chapelle à Chantilly. Le corps, embaumé et exposé pendant plusieurs jours, fut reçu à l'église de Saint-Leu, et porté à Saint-Denis, avec un cortège composé de deux escadrons de hussards, d'un bataillon de ligne et de la garde nationale de Saint-Leu, et de quatorze voitures de deuil, entre lesquelles figuraient celles de la cour. On y voyait les quatre premiers fils du roi, des pairs, des généraux et d'autres personnages de distinction. Le cercueil a été reçu à la porte de l'abbaye par le clergé épiscopal. La basilique était tendue de noir, comme dans ces tristes et royales solennités; et après l'office, célébré avec le même cérémonial, mais sans oraison funèbre, le corps a été descendu dans le caveau royal, à côté du dernier prince de Condé, sans égard pour le vœu qui demandait pour tombeau le fossé de Vincennes.

(1) Les Annuaires de 1831 et de 1832 donneront les détails du mémo. rable procès intenté par les princes de Rohan contre la validité du testament. Il nous suffit de rappeler ici que le jug ment rendu a constaté la réalité da suicide et reconnu la validité du testament,

En même temps que ces chagrins particuliers, le nouveau Roi avait à déplorer les agitations qu'excitait l'opinion républicaine, peu satisfaite des arrangemens pris, ou l'opinion royaliste qui s'envenimait de jour en jour. Des sociétés populaires, dont l'origine remontait bien avant la révolution, et dont les membres se vantaient de l'avoir préparée, d'avoir conspiré pendant toute la restauration, ne cessaient, par des prédications, des placards, des journaux incendiaires publiés sans timbre et sans cautionnement, d'exciter les passions, sous prétexte d'améliorer la condition des classes inférieures, d'obtenir la réforme des abus et des impôts de la restauration, et d'appeler le jugement du peuple sur tous les hommes qui aspiraient à le régir, à diriger ses forces et à le représenter.

Des ouvriers dans toutes les branches de l'industrie, mais surtout dans la classe des imprimeurs, qui avaient pris une part si active aux combats des trois journées, excités par ces discours ou ces publications, se rassemblaient sur les places publiques, et se portaient par milliers à la Préfecture de police, aux ministères et jusqu'au Palais-Royal, demandant du travail que la révolution avait interrompu, ou une augmentation de salaires, que le bas prix des objets fabriqués et le décroissement progressif des consommations faisait réduire, menaçant de briser les machines, et surtout les pressês mécaniques qui servaient à l'impression des journaux... La police publia des proclamations et fit donner des secours ou des espérances : il ne fallut rien moins que la voix populaire du général Lafayette (ordre du jour du 25 août) pour calmer les irritations et les alarmes de l'industrie et du commerce déjà si gravement menacés. On redoutait d'autres désordres à l'occasion des ministres de Charles X qui venaient d'être arrêtés (M. de Polignac à Grandville, MM. de Peyronnet, de Chantelauze et Guernon de Ranville, du côté de Tours), et qui furent amenés à Vincennes, dans la nuit du 26 au 27 août, en attendant leur jugement. Mais ces agitations avaient alors des intérêts plus positifs à soulever. A Rouen aussi, les ouvriers se remuèrent pour obtenir de leurs maîtres des modifications à certains articles des règlemens des fa

briques, et notamment une diminution du temps de travail; mais les paroles de paix et de bienveillance, et surtout l'attitude ferme de la garde nationale, empêchèrent qu'il fût commis aucun excès, et les rassemblemens se dissipèrent comme d'eux-mêmes.

L'armée, on l'a déjà fait observer, n'avait pris qu'une part passive à la révolution, si ce n'est à Strasbourg et à Metz, où les sous-officiers et soldats de l'artillerie montrèrent quelque insubordination. Sur tous les autres points, les troupes se hâtèrent de reprendre les trois couleurs et d'envoyer leur adhésion au nouveau gouvernement. La garde royale et les Suisses licenciés ne firent aucune démonstration en fayeur de la cause perdue. Le général Despinois, commandant de la 12o division militaire, d'une renom2 mée déjà si impopulaire, avait essayé de soulever, avec 5 à 600 cuirassiers, la population de la Vendée du côté de Beaupréau, où il fit sonner le tocsin. Obligé d'abandonner son entreprise, il voulait se réfugier ou s'embarquer à Rochefort. Son arrivée y occasiona un soulèvement (28 août), dans lequel sa voiture fut brisée, ses effets pillés, et où il eût couru risque de la vie, si la prudence des autorités ne l'eût soustrait, par une arrestation, à la fureur populaire. • Des scènes d'un autre genre, excitées dans une autre opinion et pour une autre cause, agitaient la population de Nîmes, où la proclamation de l'avénement de Louis-Philippe avait déjà causé du trouble. Un mouvement carliste ou anti-protestant y éclata de nouveau dans les journées des 29 et 30 août; mais il fut comprimé par l'attitude des troupes, de la garde nationale qui commençait à se former, et par l'approche ou la menace de quelques bataillons de celle de Lyon, qui se mirent immédiatement en marche.

Ce même jour 29 août, le Roi passait à Paris, dans le Champ de Mars, une première revue des gardes nationales de Paris et de la banlieue, où se trouvèrent plus de soixante mille hommes déjà habillés, armés et équipés. Les légions parisiennes y recurent les drapeaux que le Roi leur distribua lui-même, en leur faisant une courte allocution:

« Mes camarades,

« C'est avec plaisir que je vous confie 'ces drapeaux, et c'est avec une vive

satisfaction que je les remets à celui qui était, il y a quarante ans, à la tête de vos pères dans cette même enceinte.

« Ces couleurs ont marqué parmi nous l'aurore de la liberté. Leur vue me rappelle avec délices mes premières armes, Symboles de la victoire contre les ennemis de l'État, que ces drapeaux soient à l'intérieur la sauvegarde de l'ordre public et de la liberté ! que ces glorieuses couleurs, confiées à votre patriotisme et à votre fidélité, soient à jamais notre signe de ralliement! Vive la France! »

La reine, les princes et princesses de la famille royale assistaient à cette fête nationale, où l'on ne fit entendre que des acclamations de joie et d'affection. Mais le lendemain de cette belle journée les agitations populaires se renouvelèrent; les ouvriers imprimeurs refusèrent de travailler dans les ateliers où l'on employait des *presses mécaniques, et la publication des journaux les plus accrédités (les Débats, le Temps) fut suspendue ou menacée (3 septembre).

CHAPITRE X.

Suite de la session législative.

Situation de la Chambre des pairs. -- Pres

[ocr errors]

Adresse au Roi.

Proposition de M. de

tation du serment. Discours de M. de Fitz-James, Chambre des députés. Prestation du serment. Salverte pour la mise en accusation des derniers ministres de Charles X, et de M. de Tracy pour l'abolition de la peine de mort, etc.— Projets de lois divers. Discussions sur la formule d'un nouveau serment à imposer aux fonctionnaires publics, etc., adoptées par les deux Chambres. Discussions nombreuses dans la magistrature.-Débats sur le mode à suivre pour l'arrestation et l'accusation des ex-ministres.-Démission de M. Casimir Périer comme président de la Chambre des députés.-Nomination de M. Laffitte à ces fonctions. Adresse d'adhésion aux actes des deux Chambres. - Discussion de divers projets de lois. Opinions émises à l'occasion des réélections à faire. - Question du mandat de la Chambre élective. - Abrogatlon de quelques articles de la loi du 12 janvier 1816 (dite loi d'amnistie), et de la loi du sacrilége (1825). — Communication faite par le gouvernement à la Chambre des députés (13 septembre) sur l'état de la France.

Nous avons donné les séances législatives qui ont préparé, et consacré la ruine de la dynastie et de la Charte de 1814, avec tous les développemens que méritait l'importance du sujet, et de manière à ce que les opinions des partis et des personnes fussent présentées sans altération, comme leurs actes, au tribunal de l'histoire; mais, maintenant que les grands acteurs de cette scène imposante sont connus, et que l'œuvre de la révolution est consommée, les projets, les propositions et les querelles vont se succéder dans la session avec une rapidité si féconde, qu'il nous devient impossible d'en suivre les débats en détail sans sortir des bornes et du caractère de cet ouvrage. Nous ne pouvons plus en offrir que les traits historiques et les grands résultats. Les documens recueillis complèteront le tableau.

La Chambre des pairs, ouverte au public, le 10 août, au moment qu'elle venait d'être réduite au tiers de ses membres par l'abAnn. hist. pour 1830.

18

« PreviousContinue »