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fatales prévisions, les témoignages de l'histoire, et particulièrement des exemples pris dans celle de l'Angleterre et dans celle de France en 1789. Il observait que Louis XVI céda à ce qu'on lui représentait comme l'expression d'un vœu national : « On sait, ajoutait-il, et l'histoire retracera en traits de sang quels furent les fruits de cette pieuse faiblesse.»>

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Abordant ensuite la question de personnes, le ministre ne se dissimule pas que les convenances et l'embarras de sa position lui interdisent de longs développemens à cet égard.

- Quiconque étranger aux événemens des six derniers mois, dit-il, apprendrait que la Chambre déclare au Roi qu'il ne peut exister entre elle et les ministres ce concours de vues si nécessaire à la marche régulière des affaires publiques, ue manquerait pas de conclure d'une telle déclaration, que les ininistres, ainsi stygmatisés, se sont rendus coupables de quelques crimes attentatoires aux droits de la nation, ou que leur mode d'ad:ninistration tend à compromettre les libertés et la prospérité publiques.

« Il n'en est rien cependant: aucune accusation ne s'élève à cet égard, ni du dehors, ni dans le sein de la Chambre; les membres même de la commission qui déclarent l'impossibilité da concours ne peuvent alléguer aucun fait, signaler aucun acte administratif de nature à éloigner des ministres dénoncés la confiance de la nation.

• Allons plus loin ; les sigues les moins équivoques attestent que jamais les libertés publiques et individuelles ne furent plus respectées.

Marchant dans toute sa force et avec une indépendance qui souvent ap proche de la licence, la presse a secoué toute espèce d'entraves...

Les sources de la prospérité publique semblent s'élargir chaque jour... Les impôts qui, par leur nature, sont les symptômes irrécusables de cette prospérite, acquièrent un accroissement de produit remarquable. Le crédit public se développe et se fortifie au-delà de tout ce qu'on avait droit d'espérer...

Dans un tel état de choses, à quelles marques pourrait-on reconnaître que les ministres du Roi sont indigues de votre coufiance et ont cessé de mériter celle du Roi et de la nation? Aucun indice de cette nature n'existe, et votre commission qui l'a reconuu s'est bien gardée d'alléguer des faits; mais elle s'est jetée dans une étrange hypothèse; elle nous a supposé des sentimens qui, nous aimons à le déclarer, sont bien loin de nos cœurs...

Ici M. de Guernon-Ranville appelle l'examen le plus sévère sur sa vie publique et privée, comme sur celle de ses collègues, et déclare qu'ils acceptent toutes les conséquences qu'on voudra tirer de leurs antécédens.—Il se plaint surtout de ce qu'on les accuse de se défier des sentimens de la France, sans rapporter une preuve à l'appui de cette odieuse imputation.

• Non, messiears, dit S. Exc., nous n'éprouvons pas cette injuste défiance; nous savons ce que veut la France...

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« C'est une doctrine parlementaire que le discours de la couronne, lors de l'ouverture de vos sessions, et une manifestation des pensées du gouver

nement.

« Les rédacteurs de l'adresse, ceux qui nous accusent d'une coupable défiance des sentimens de la France, auraient-ils sitôt oublié cette franche déclaration du Roi, qu'au besoin il puiserait la force de protéger les libertés pabliques dans la juste confiance des Français et l'amour qu'ils ont toujours manifesté pour leurs Rois ?...

Telle est, messieurs, notre opinion sur les sentimens et la raison de la France; tel est l'hommage que nous rendons à cette loyale nation, si digne des libertés qu'elle reçut du pouvoir légitime, et que sous l'égide de ce pouvoir tutélaire elle saurait défendre avec une égale constance contre les violences de l'usurpation et contre les perfides caresses de ses faux amis.

Loin de nous donc l'odieuse imputation que nous fait le projet d'adresse : vous repousserez une imputation dénuée de preuves et démentie par nos actes. Après nous avoir absous d'une accusation évidemment injuste, vous déciderez, dans votre impartiale sagesse, s'il vous convient de déclarer à la face de la France que vous voulez en son nom refuser votre confiance à des hommes auxquels l'opposition la plus violente ne peut reprocher que d'avoir obtenu la confiance du monarque.

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Quelle que soit votre délibération, nous vous devons une franche et loyale déclaration de nos intentions.

Appelés au timon des affaires par la volonté du Roi, nous ne l'abandonnerons que par les ordres du Roi. Nous nous présentons au milieu de vous la Charte à la main; fidèles aux loyales inspirations du père de la patrie, nous marcherons invariablement dans les voies constitutionnelles; ni les outrages, ni les menaces ne nous feront dévier de cette ligne que nous tracent l'honneur et le devoir... Si, par faiblesse ou par erreur nous étions assez malheureux pour conseiller au Roi des mesures de nature à compromettre l'indépendance de sa couronne ou les franchises nationales, la réprobation de nos concitoyens, la sévérité des Chambres feraient promptement justice de ces coupables écarts; nous acceptons sans réserve toute cette responsabilité...... »

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Ce discours, auquel les circonstances postérieures donnent un grand intérêt, avait paru produire quelque impression sur les deux centres; mais M. Dupin aîné y fit une réponse qui l'affaiblit. Son objet principal était d'expliquer la pensée de la commission, dont les intentions lui paraissaient avoir été mal saisies et les expressions durement traduites par les ministres et leurs amis.

Ainsi l'honorable orateur faisait remarquer que la base fondamentale de l'adresse est un profond respect pour la personne du Roi; qu'elle exprime au plus haut degré la vénération pour cette race antique des Bourbons, dont les droits sont fortifiés par dix siècles de possession; et qu'elle présente la légitimité, non-seulement comme une vérité légale, mais comme une nécessité sociale

qui est aujourd'hui, dans tous les bons esprits, le résultat de l'expérience et de la conviction.

Il faut bien le dire au milieu du respect et du dévouement universel des citoyens, disait M. Dupin, il existe une vive inquiétude qui trouble la sécurité du pays, et qui, si elle était prolongée, pourrait compromettre son repos. Cette inquiétude a sa source dans la défiance injuste que l'administration actuelle nourrit contre la France, et dans la défiance réciproque que la France a conçue contre les hommes à qui cette administration est aujourd'hui confiée. C'est un fait notoire, flagrant, dont l'impression frappe tous les esprits, dont la connaissance est partout acquise; le dissimuler ne l'empêcherait pas d'exister.

Cette défiance contre le pays a percé jusque dans le discours que les ministres ont suggéré à la couronne. Réciproquement le pays est en défiance contre l'administration; car, en pareil cas, on inspire le sentiinent qu'on éprouve.

Nous n'hésitons donc point à le déclarer, non, il n'existe aucune sympathie entre cette abministration et le pays; nulle sympathie entre elle et

nons.

Si ce n'est point un procès fait aux personnes, nous repoussons l'offre que nous a faite le préopinant, au nom de ses collègues, de nous livrer leur vie privée. Cette offre n'est point parlementaire.

« Mais nous nous sommes attachés aux principes même du gouvernement constitutionnel. Il fait du eoncours des deux Chambres avec le ministère la condition indispensable de la marche régulière des affaires. On accepte, vous a-t-on dit, les formes de ce gouvernement, il faut donc en subir les conséquences. C'est un gouvernement d'accord et de majorité.

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Mais, nous dit-on, vous gênez la prérogative, en demandant, ou le renvoi des ministres, ou la dissolution de la Chambre. Et ici est venn se plaser le mot de sommation au Roi, que j'ai déjà relevé.

Je réponds que tel n'a été ni l'intention ni le langage de l'adresse ; on ne porte pas atteinte à la liberté du Roi; on déclare le fait, et l'on s'en remet à sa haute sagesse du soin de remédier au mal. Mais lorsque dans le discours de la couronne, les ministres, en parlant des obstacles qu'on voudrait leur susciter, n'ont annoncé, pour les surmonter, que l'emploi de la force, nous avons pensé qu'il nous était permis de parler de la loi.

Nous avons indiqué le remède au mal présent, non dans les coups d'État qu'on a pu d'abord appréhender, non dans l'emploi de cette force brutale et matérielle que rien ne provoque et qui ne saurait à qui s'attaquer.

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Mais nous avons indiqué comme seuls praticables les moyens légaux, les moyens constitutionnels. Là est la prérogative royale que rien ne peut gêner ni altérer. Car le Roi est absolu dans sa prérogative, en ce sens que, lorsqu'elle est exercée dans les limites tracées par la foi, nul ne peut y apporter retard ni refas.

Je ne puis donc trop le répéter, afin de prendre mes sûretés avec la calomnie qui voudra s'efforcer d'accréditer le contraire au dehors: non, nous ne demandons point au Roi le renvoi des ministres.

« Ces ministres peuvent retourner contre nous l'exercice de la prérogative. Ils n'ont qu'à conseiller au Roi ne nous dissoudre. Un mot, et nous nous séparons; un mot, et sujets toujours fidèles, nous retourrons dans nos foyers, reportant l'honneur que nous avons apporté dans cette enceinte; et nous rens

dant ce témoignage que nous avons fait pendant deux sessions tout le bien qu'il nous a été possible d'opérer. En effet, nous avons doté le pays de deux lois qu'il faudra violer avant de pouvoir essayer de l'asservir; lá loi qui fletrit les fraudes, et la loi qui les éclaire du flambeau de la publicité.

Tout semblait dit sur la question grave qui s'agitait, et déjà aussi s'élevaient, sur les bancs du centre et du côté gauche, de nombreuses réclamations pour la clôture de la discussion générale; mais M. de Chantelauze et M. Le Pelletier d'Aulnay réclamèrent et obtinrent encore la parole: le premier, pour répéter que l'adresse était inconstitutionnelle, injurieuse et hostile à la royauté, car elle avait pour but de lui arracher le renversement du ministère.-La Chambre usurperait en cela les pouvoirs du monarque et de la Chambre des pairs, et romprait l'équilibre entre les trois branches du pouvoir législatif. On avait cité l'exemple du 5 septembre 1816. Selon M. de Chantelauze, il fallait peut-être, en effet, une autre épreuve de ce genre, mais c'était un cinq septembre monarchique, en tant que c'était le seul moyen constitutionnel de mettre un terme à la licence de la presse, au débordement des passions politiques et aux inquiétudes du pays. Dans l'opinion de M. Le Pelletier d'Aulnay, au contraire, la commission n'avait fait entendre qu'un langage franc, sincère, énergique et constitutionnel. L'esprit dominant, le vœu général et franc étaient que la puissance royale demeurât dans l'antique famille des Bourbons, et que la Charte fût franchement exécutée. La commission avait dû parler aussi des inquiétudes qui agitent le pays, parce qu'il appartenait à la couronne de les calmer par l'usage de ses prérogatives, considérations à la suite desquelles la Chambre passe immédiatement, malgré l'opposition du côté droit, à la délibération particulière des paragraphes.

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Les trois premiers furent adoptés sans donner le temps à aucune observation; mais sur le quatrième, relatif aux négociations annoncées pour opérer la réconciliation des princes de la maison de Bragance, M. Hyde de Neuville prit la parole, « non pas, disait-il, avec « le désir d'embarrasser MM. les ministres, mais pour leur offrir « une heureuse occasion de rendre hommage à un grand principe (la légitimité) et de venger la morale outragée des nations. » Il ne s'étonnait pas que le ministère anglais, tout en flétrissant la con

«

duite de don Miguel, se montrât disposé à le reconnaître, parce que l'Angleterre voit, avant tout, son intérêt; mais la politique de la France lui paraissait, à lui (M. Hyde); devoir être plus généreuse et consulter avant tout l'intérêt de la morale. Ainsi l'honorable orateur n'hésitait pas à se prononcer contre l'usurpation de, don Miguel. Il rappelait à ce sujet les faits et les actes passés depuis la mort de don Jean VI (10 mars 1826); la reconnaissance de don Pedro par les autorités du royaume, par tous les souverains de l'Europe et par don Miguel lui-même; l'abdication du même prince en faveur de dona Maria, également reconnue; les fiançailles de don Miguel avec la jeune reine, puis les promesses et les sermens de l'Infant comme lieutenant général et régent. Il examinait et discutait en homme d'État et en publiciste la question de droit successoral, la fausse application des statuts anciens des Cortès de Lamego; l'illégalité des nouveaux Cortès de Lisbonne et de leur fameux Assento (Ann. hist. pour 1828, page 162 de l'App.), qui a consacré l'usurpation de don Miguel. Nous passons à regret sur ce discours, dont les lumières et l'ancienne position de l'orateur (1) font un document historique utile à consulter pour l'histoire de Portugal, et qu'il terminait par une péroraison qui se rattache aux affaires de la France.

Ministres du Roi très chrétien, disait M. Hyde de Neuville en terminant, n'oubliez pas que notre heureuse restauration date à peine de seize années; qu'elle nous a fait sortir de l'abîme des révolutions, et qu'il n'est pas moins sacrilege en Portugal qu'en France d'oser toucher à la dynastie, d'oser mettre en question le principe tutélaire de la légitimité.

Et nous, députés des départemens, n'oublions pas que, plus que jamais, nous devons nous rapprocher, nous réunir, pour faire tête aux fous, anx factieux, à ceux qui menacent nos libertés, comme à ceux qui en sont presqu'à dire, avec Algernon Sidney, s'il nous faut subir la royauté, que ce ne soit pas la royauté légitime... Répondons, nous, messieurs, que nous n'en voulons, que nous n'en aurons point d'autre, et que, par elle, avec elle, nous serons libres, parce qu'aujourd'hui, si la légitimité est un besoin du pays, tout

(1) M. Hyde de Neuville était ambassadeur de France à Lisbonne dans les dernières années du règne de Jean VI. On se souvient de la part glorieuse qui! prit au rétablissement de l'autorité de ce malheureux père dans le mouvement de 1824. M. Hyde de Neuville a publié son discours quelques juors après la prorogation, dans une brochure intitulée: De la question portugaise. Ann, hist, pour 1839,

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