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homme qui a du sang français dans les veines a soif d'une sage liberté, et veut le maintien, l'affermissement de nos institutions.

« J'espère qu'on ne se méprendra point, qu'on ne cherchera pas à se méprendre sur ma véritable intention. Je ne demande point à MM. les ministres de s'expliquer sur les négociations qui ont eu lieu à Rio-Janeiro, négociations qui paraissent avoir pour but d'amener une réconciliation entre le droit et le fait, entre la légitimité et l'usurpation... Au Roi seul appartient le pouvoir de négocier; or, il est des explications que les conseillers de la couronne ne peuvent donner qu'autant qu'ils y sont autorisés par Sa Majesté... Plein de respect pour la prérogative royale, qu'on me verra toujours prêt à défendre, je me bornerai à demander ce qu'il m'est permis de demander, c'est-à-dire une explication nette, franche, sur une question qui ne saurait être soumise aux chances, aux calculs, anx combinaisons de la diplomatie, au moins par les ministres du Roi très chrétien:

« Ah! messieurs, quelle que soit la nuance de nos opinions, n'abandonnons pas le principe qui nous a rendus nos rois et qui nous a donné la Charte.

L'exposé que je viens de soumettre à la Chambre n'a rien de l'homme de parti, c'est le cri d'alarme d'un vieux royaliste, qui ne se lasse point; c'est l'opinion consciencieuse d'un honnête homme, qui ne désire, ne demande que le triomphe de la vérité, et qui, fidèle au prince comme à la loi de son pays, peut dire avec Montesquieu, et comme lui dans toute la sincérité de son âme... Je rends grâce au ciel de ce qu'il m'a fait naître dans le gou. « vernement où je vis, et de ce qu'il a voulu que j'obéisse à ceux qu'il m'a « fait aimer. >>

Il était six heures du soir, tous les députés se disposaient à sortir de la salle, lorsque le président du conseil, M. le prince de Polignac, parut à la tribune, où il dit, avec une sorte d'hésitation et d'une voix mal assurée, qu'il regrettait de ne pouvoir satisfaire la curiosité de l'honorable préopinant:-qu'il s'en tiendrait aux paroles du Roi: que des négociations étaient entamées et qu'il ne convenait point à son ministre de soulever le voile qui les couvrait encore. « Tout ce que je puis dire, ajouta S. Exc., c'est que nos « relations politiques, interrompues à Lisbonne, n'ont pas été « renouées, et que si le principe de la légitimité est gravé dans le « cœur du préopinant, il ne l'est pas moins dans le mien. » Réponse qui entraîna de la part de M. Hyde de Neuville une courte réplique, après laquelle le paragraphe de l'adresse a été adopté, et la discussion des autres renvoyée au lendemain.

16 mars. Cette séance n'est pas moins mémorable que celle de la veille. Elle s'ouvrit en réunion publique par un rapport fait sur l'élection de M. Dudon par le collège du département de la Loire Inférieure, à l'occasion de laquelle il s'éleva des

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réclamations: la première, quant au certificat d'impositions auquel n'avait pas été joint celui de la possession annale qui de vait être certifiée par le maire de la commune, puis sur une atteinte portée à la liberté des élections par la radiation des contrôles de la garde royale, de M. Donatien de Sesmaisons (voy. chap. Ier), fait que M. Duvergier de Hauranne signalait à la Chambre comme une atteinte grave à la liberté des suffrages, au droit public des électeurs, à l'honneur même des militaires qui se verraient ainsi dans l'alternative de perdre leur existence ou de faire une honteuse abnégation de leurs opinions dans l'exercice de leurs droits de citoyens. M. de Polignac essaya de répondre, au milieu des clameurs de la gauche, que la radiation de M. de Sesmaisons, étant postérieure de plusieurs jours à l'élection, ne pouvait avoir porté atteinte à la liberté des suffrages, et que d'ailleurs le moment de s'expliquer sur cette radiation ne lui paraissait pas bien choisi.-M. Pardessus y ajouta qu'il n'appartenait pas à la Chambre d'examiner un acte qui tenait essentiellement à la prérogative royale, et qu'en fait cet incident était hors de la question. Quant au certificat de possession annale, l'irrégularité qu'on y trouvait était d'avoir été délivré par le directeur des contributions sans avoir été certifié par le maire. Il y avait des précédens de cette nature. La commission elle-même avait conclu à l'admission de M. Dudon, qui fut en effet prononcée après quelques débats pleins d'aigreur et de personnalités.

Une vive agitation régnait encore dans l'assemblée lorsqu'elle se forma en comité secret pour reprendre la discussion de l'adresse restée au paragraphe relatif à l'expédition d'Alger.

M. Alexandre de Laborde, qui prit la parole sur ce paragraphe, remontant à l'origine des démêlés de la France avec le dey d'Alger, présenta comme une série de fautes des agens français, les circonstances qui avaient progressivement amené la nécessité de cette expédition, dont les dispositions lui paraissaient faites avec peu de sagesse et d'économie, par des marchés d'urgence clandestins, comme pour les soustraire à la critique législative; et quant à l'expédition projetée, il en exposait les difficultés et les dangers,

surtout ceux du débarquement, à une époque avancée de l'année, sous l'influence de ce vent d'Afrique si redouté des anciens.

M. le ministre de la marine (le baron d'Haussez), répondant à ces observations, retraçait aussi les diverses circonstances qui avaient donné lieu à une guerre devenue inévitable depuis les agressions commises contre nos établissemens d'Afrique jusqu'à l'affront fait à notre consul, et aux bordées de canon lancées contre le vaisseau parlementaire qui portait le commandant de notre escadre. (V. chap. IV.)

Quant aux préparatifs de l'expédition, le ministre donnait des renseignemens satisfaisans sur les marchés conclus pour l'affrétement des transports et sur quelques dépenses déjà faites. Il ne croyait pas devoir entrer dans des détails qui pourraient compromettre le succès de nos plans, en les révélant à l'ennemi; mais il assurait que les difficultés du débarquement ne seraient pas, à beaucoup près, aussi grandes qu'on venait de le dire. Il protestait surtout contre l'étrange inculpation faite par le préopinant au gouvernement du Roi, d'avoir sollicité d'un gouvernement étranger Ja permission de venger une injure nationale. Le ministre terminait en répétant que l'honneur de la France réclamait une expédition, et que le gouvernement n'avait rien négligé pour la faire tourner à la gloire de nos armes et à l'avantage de notre commerce....

M. le général Demarçay voulait aussi présenter d'autres considérations sur les difficultés de cette expédition, mais la Chambre était impatiente de revenir à la partie intéressante de l'adresse, et passa rapidement sur les paragraphes 6, 7 et 8, jusqu'au paragraphe 9, dont M. de Sainte-Marie demandait le retranchement, attendu qu'il exprimait un fait, celui de l'inquiétude généralement répandue en France, fait, disait-il, que démentaient l'état de crédit, l'abondance des capitaux, et tous les symptómes d'une prospérité générale.

Telle n'était pas l'opinion de M. le marquis de Cordoue, député de la section du centre droit qui s'était jetée dans l'opposition, et qui peignait en traits énergiques l'effroi général répandu en France

à l'apparition du ministère du 8 août : il concluait par déclarer comme un juré « sur l'honneur et la conscience, devant Dieu et devant les hommes, qu'il était dans les véritables intérêts du monarque et de la patrie, à ses yeux indivisibles, que le ministère: « fût changé ou que de nouvelles élections vinssent prouver à la ⚫ majorité de la Chambre que c'était elle qui n'avait pas la majorité

⚫ du pays. »

M. de Laboullaye, qui parla ensuite, s'attachait à démontrer qu'il y avait une contradiction frappante entre les termes et l'intention de l'adresse. Il ne lui paraissait pas possible de concilier le commencement, c'est-à-dire les protestations d'amour et de respect. qu'il contenait, avec les paragraphes qui la terminent. « Là, disait l'honorable orateur, on parle de la sollicitude éclairée du Roi pour « ses peuples, et pourtant il résulte des dernières phrases qu'il ne sait « pas choisir ses ministres. Il y a plus : cette adresse est en effet contre eux un acte d'accusation, et une accusation transportée ⚫ dans une adresse est une violation de la Charte.»

D'ailleurs, en considérant le vague des inculpations qu'on leur avait adressées, l'honorable orateur n'avait pas vu un seul ministre qui n'eût encouru les mêmes reproches de la part de l'opposition, qui avait elle-même aussi travaillé à renverser le précédent ministère; reproche repoussé bientôt par M. Dupin, qui soutint que la majorité de la Chambre n'avait jamais manqué au précédent ministère, lorsqu'elle avait été appelée à voter sur des propositions réellement constitutionnelles et utiles au pays, telles que les deux dernières sur la presse et sur les élections. Après quoi le 9° paragraphe fut mis aux voix et adopté comme les précédens à une forte majorité.

C'est alors que pour remplacer le 10° et le suivant, M. de Lorgeril présenta ce fameux amendement, inspiré, disait-on, par un des ministres (M. Courvoisier), et qui tendait à rendre l'attaque moins directe, ou à rallier les opinions modérées de la Chambre et à ramener un ministère du milieu. Voici comment il était conçu :

■ Cependant notre honneur, notre conscience, la fidélité que nous vous

avons jurée, et que nous vous garderous toujours, nous imposent le devoir de faire connaître à V. M., qu'au milieu des sentimens unanimes de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure, de vives inquiétudes se sont manifestées à la suite de changemens survenus depuis la dernière session. C'est à la haute sagesse de V. M. qu'il appartient de les apprécier et d'y apporter le remède qu'elle croira convenable. Les prérogatives de la couronne placent dans ses mains augustes les moyens d'assurer cette harmonie constitutionnelle, aussi nécessaire à la force du trône qu'au bonheur de la France. »

Cet amendement, appuyé par quelques membres du côté droit, fut d'abord combattu par M. Guizot, qui reprochait au ministère d'avoir compromis la prérogative royale, excité la défiance et porté le trouble dans les grands corps de l'État, dans tous les pouvoirs qui concourent au maniement des affaires publiques, et surtout dans les tribunaux.

« Une seule force peut-être, dit M. Guízot, une seule puissance se sent aujourd'hui à l'aise en France et se déploie avec la confiance qu'elle est dans sa voie propre et naturelle; c'est la presse. Jamais, à mon avis, son action ne nous fut plus nécessaire et plus salutaire; c'est elle qui, depuis sept mois, a déjoué, tous les desseins, tous les essais, tous les efforts; mais cette prépondérance, presque exclusive de la presse, est redoutable et atteste toujours un fâcheux état du gouvernement et de la société.

Cette perturbation générale des pouvoirs publics, cette altération de leur état naturel, de leurs habitudes régulières, c'est là, messieurs, le mal qu'il faut aller chercher au-delà de l'agitation des esprits, et auquel il est urgent de porter remède. On vous a dit que la France était tranquille, que l'ordre n'était nullemeut troublé. Il est vrai; l'ordre matériel n'est pas trouble; tous circulent librement, paisiblement; aucun bruit ne dérange les affaires. Le mal que je viens de signaler en existe-t-il moins? en est-il moins grave ? ne frappe-t-il pas, n'agite-t-il pas la pensée de tous les hommes sensés et clairvoyans? Il est plus grave que bien des émeutes, plus grave que les désordres, les tumultes matériels qui ont, il n'y a pas long-temps, agité l'Angleterre..

De tels désordres sont d'ailleurs un avertissement que le pouvoir ne saurait ignorer; il faut bien, à leur explosion, qu'il s'aperçoive du mal et se décide an remède. Pour nous, messieurs, aucun avertissement de ce genre; la surface de la société est tranquille, si tranquille, que le gouvernement peut fort bien être tenté d'en croire le fond parfaitement assuré, et lui-même, à l'abri de tout péril. Nos paroles, messieurs, la franchise de nos paroles, voilà le seul avertissement que le pouvoir ait à recevoir parmi nous, la seule voix qui sepuisse élever jusqu'à lui, dissiper ses illusions. Gardons-nous d'en ténuer la force; gardons nous d'énerver nos expressions; qu'elles soient respectueuses, qu'elles soient tendres; c'est notre devoir, et personne n'accuse votre commission d'y avoir manqué; mais qu'elles ne soient point timides et douteuses. La vérité a déjà assez de peine à pénétrer jusqu'au cabinet des rois; ne l'y envoyons point faible et pâle; qu'il ne soit pas plus possible de la méconnaître que de se méprendre sur la loyauté de nos sentimens. Je vote contre tout amendement et pour le projet de la commission.

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