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anxiété que la nouvelle d'une bataille d'où dépendrait le sort de l'empire. Elle fut regardée dans le parti libéral comme l'arrêt de mort du ministère, et dans le parti contraire, comme un dernier attentat à la prérogative royale, comme une déclaration de guerre de la Chambre contre le trône. On y redoutait, ou l'on feignait de redouter davantage l'amendement Lorgeril, dont l'effet eût été de ramener un ministère de concessions. Mais la position politique était désormais nettement dessinée. « L'adresse, disait une feuille royaliste, avait mis la pensée et l'insolence du parti libéral à décou– << vert... on allait voir si le trône s'abaisserait devant lui. >>

Pendant quelques instans il fut incertain ou le bruit courut que le Roi ne recevrait pas l'adresse ;, mais son Conseil pensa que ce serait éluder les difficultés du moment au lieu de les vaincre par l'énergie de la volonté royale, et la grande députation désignée pour lui présenter cette adresse fut introduite le 18 mars à midi, dans la salle du trône, avec le cérémonial d'usage.

Quelques-uns des membres désignés par la voie dú sort, qui avaient voté contre l'adresse, ne crurent pas devoir accepter la mission; mais plusieurs de leurs collègues se joignirent à la députation, qui parut ainsi plus nombreuse que de coutume.

Au milieu de l'embarras singulier et de la contrainte visible qui se manifestaient sur les, figures des ministres, des courtisans et des députés acteurs ou témoins de cette cérémonie, M Royer-Collard, qui présentait l'adresse comme président de la Chambre, la lut d'une voix grave, mais altérée, surtout aux derniers paragraphes; et le Roi, qui l'avait entendue avec calme, lui fit, d'un ton où la plus vive émotion perçait, sous l'affectation de la dignité royale, cette réponse délibérée d'avance en conseil des ministres (1):

« Monsieur, j'ai entendu l'adresse que vous me présentez au nom de la Chambre des députés.

J'avais droit de compter sur le concours des deux Chambres pour accomplir tout le bien que je méditais; mon cœur s'afflige de voir les députés des départemens déclarer que, de leur part, ce concours n'existe pas.

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Messieurs, j'ai annoncé mes résolutions dans mon discours d'ouverture de

(1) Déposition des ministres devant la Cour des pairs.

la session, ces résolutions sont immuables; l'intérêt de mon peuple me défend de m'en écarter.

■ Mes ministres vous feront connaître mes intentions. »

19. Le lendemain en effet, au milieu d'une affluence extraordinaire de spectateurs attirés à la Chambre des députés par la curiosité de voir l'effet de la résolution royale; après la lecture du procès-verbal et de deux lettres, l'une de M. Balguérie, député de Bordeaux, qui donnait sa démission; l'autre de M. le comte de Sesmaisons qui informait la Chambre de son avénement à la pairie, en lui témoignant le regret qu'il éprouvait d'être obligé de se séparer d'elle, M. le ministre de l'intérieur remit à M. le président. une proclamation du Roi qui prorogeait la session de 1830 au 1er septembre prochain (Ordonnance du 19 mars).

Cette prorogation prononcée dans le silence et le calme imposant d'une impression profonde, le président déclara la séance levée. Des cris de vive le Roi! éclatèrent du côté droit; quelques vive la Charte! se firent entendre au côté gauche. Un cri de vive la Constitution! partit en même temps d'une tribune publique. Des membres de la droite y répondant par d'autres cris: A bas les factiear! invoquaient l'autorité du président pour faire évacuer les tribunes; mais il leur fit observer que son autorité venait de finir avec la séance et tout le monde se sépara dans le désordre d'une vive agitation.

La même proclamation, communiquée à la Chambre des pairs par M. le président du Conseil, y fut reçue avec plus de calme; mais elle n'y fit pas moins d'impression.

La circonstance était grave: c'était la première fois que la couronne usait du droit que lui donnait l'article 50 de la Charte. On ne croyait pas Charles X capable de la persévérance de volonté qu'il montra dans ces circonstances (1). La collision qui venait d'éclater entre la Chambre des députés et le ministère était de na

(1) Un journal anglais du temps rapporte qu'il avait dit à cette occasion dans un petit cercle de courtisans : « J'aime mieux monter à cheval qu'en charrette. »

ture à faire craindre les plus fâcheux résultats : c'était une rupture sans retour; car on prévoyait bien que cette prorogation, à l'époque où il eût été si nécessaire d'avoir le budget, à la veille d'une expédition qui devait entraîner des dépenses extraordinaires, n'était que le préliminaire d'une dissolution.

Les royalistes célébraient cette décision comme un acte qui mettrait la royauté hors de tutelle. Les libéraux se retiraient vainqueurs, mais non sans crainte et sans souci de l'avenir. Mais quoique tout fit prévoir une crise prochaine, le crédit, c'est-à-dire le cours des effets publics n'en était pas ébranlé (1).

(1) Les 5 pour cent ont encore été cotés le 19 mars à 106 fr. 70 c., les 3 pour cent à 83 fr. 60 c.

CHAPITRE III.

Saites on conséquences de la prorogation de la session.- Banquet donné aux députés de la Seine ou de Paris. Arrêts en matière de délits de la presse. - Actes du ministère. - Destitutions ou déplacemens de préfets. — Élection de M. de Guernon-Ranville à Angers.

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Rapport sur l'administration

Prépa-
Or-

des revenus, sur l'état des finances et sur le budget de 1831. ratifs de l'expédition d'Alger. — Arrivée du Roi de Naples à Paris. donnance qui dissout la Chambre des députés. Démissions de deux ministres, MM. Courvoisier et de Chabrol. Entrée au ministère de MM. de Chantelauze, de Peyronnet et Capelle, et création d'un département des travaux publics. Incendies. Événemens divers. Jugemens en matière de délits de la presse.

La déclaration hostile que la Chambre des députés venait de porter au Roi, la réponse de S. M. et la prorogation qui s'en était suivie, firent une vive impression dans tous les pays étrangers, mais nulle part autant qu'en Angleterre. Il a été dit dans quelques journaux de ce pays que le prince de Polignac, aussitôt qu'il eut la certitude qu'il n'avait pas la majorité dans la Chambre des députés, avait écrit au duc de Wellington, alors premier ministre d'Angleterre, pour le consulter sur la conduite qu'il avait à tenir dans des circonstances difficiles; que milord-duc avait conseillé, ou du moins approuvé la prorogation, et engagé le prince « à envoyer aux grandes cours de l'Europe une note officielle, mais secrète, où il exposerait l'état alarmant de la France, le fana⚫tisme et les machinations du parti libéral qui, sous prétexte de défendre la Charte, travaillait activement au renversement du < trône, ou du moins à l'expulsion de la dynastie », et dans laquelle il demanderait aux grandes puissances leur appui dans le cas où

gouvernement serait forcé de suspendre ou de modifier certaines dispositions de la Charte ou des dernières lois sur la presse et sur les élections, pour arrêter les complots et les empiétemens révolutionnaires. On a prétendu que milord-duc aurait été d'avis

que l'on convoquât à ce sujet un congrès spécial, afin que ces hautes combinaisons pussent être délibérées et approuvées avant le terme où, en cas de dissolution de la Chambre des députés, le ministère français se verrait obligé d'en appeler ou de recourir à de nouvelles élections. Il est difficile d'apprécier le degré de confiance que méritent des bruits qui ne sont appuyés d'aucun document et que l'une des parties engagées avait intérêt à démentir; mais, dans l'absence de preuves positives, ils ont assez de vraisemblance pour que l'historien doive au moins les rapporter.

Quant à la France, bien que le parti libéral eût paru d'abord étourdi de la fermeté de la réponse royale et de la prorogation, il ne tarda pas à se remettre. L'influence de la presse périodique et des associations était trop puissante et trop active pour ne pas faire promptement tourner la chance au profit de la cause populaire.... Tous les électeurs des départemens furent invités à célébrer par des banquets et des ovations le retour de leurs députés qui avaient voté la fameuse adresse, et Paris en donna l'exemple par un banquet donné par six à sept cents électeurs aux Vendanges de Bourgogne (1er avril), où M. Odilon Barrot, vice-président, prononça un discours dans lequel, après avoir remercié les députés de la Seine de ce qu'ils avaient fait pour les libertés publiques, il les assurait qu'ils pouvaient de nouveau compter sur leur suffrage, et si l'on venait à braver la sainteté des lois, « le courage des cique «toyens ne leur manquerait pas. >>

La police n'avait mis aucun obstacle à cette réunion, et tout s'y passa sans désordre. La salle était décorée de guirlandes de fleurs et de verdure liées à des couronnes, dont le nombre (221) laissait deviner le nom des députés auxquels elles étaient destinées. Un ancien maire de Paris, M. Rousseau, présidait au banquet.

Les journaux royalistes signalèrent ce banquet comme une orgie de cabaret, comme une réunion de conspirateurs sans influence sur l'opinion publique. Mais l'exemple donné dans la capitale se répéta dans plusieurs départemens. Une médaille fut frappée en T'honneur des 221, et la presse libérale ne cessa de les recommander aux électeurs comme les sauveurs de la patrie, jusqu'à ce

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