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appelait mes chers compatriotes, les informait de la démission de l'illustre général, en les assurant « qu'il n'avait rien négligé pour <épargner à la garde nationale ce qui serait pour elle un sujet de «vifs regrets, et ce qui était pour lui-même une véritable peine. » M. de Lafayette aussi crut devoir, quelques jours après avoir quitté şa haute position, adresser à la garde nationale de Paris, et même à toutes celles du royaume, des adieux en forme de proclamations où perçait un mécontentement qu'il n'avait pas témoigné à la Chambre. L'illustre général y faisait entendre qu'en remettant au Roi le commandement dont il était investi, il avait cédé « non⚫ seulement aux volontés de la séance du 24 décembre, mais à des ombrages qui s'étaient élevés de diverses parts, et qui ne pou« vaient être satisfaits que par un abandon de pouvoir total et sans réserve. Et lors même, ajoutait-il, que l'intervention royale « dans sa sollicitude eût ensuite pris des moyens de prolonger «mes services, un instinct de liberté, qui ne trompa jamais ma vie entière, m'a revélé qu'il fallait sacrifier ce pouvoir, ces jouis« sances, ces affections de tous les instans, à l'austère devoir de ⚫ servir toutes les conséquences de la glorieuse révolution de 1830. >> Cette retraite, dont on pouvait redouter les conséquences pour la tranquillité publique, fut suivie de plusieurs autres, dont la plus remarquable est celle de M. Dupont (de l'Eure), garde des sceaux, miuistre de la justice, qui fut remplacé par M. Mérilhoù, dont on donna le portefeuille (l'instruction publique et les cultes) à M. Barthe, alors président de la chambre à la Cour royale de Paris (ordonnance du 27 décembre); on parlait aussi alors de la démission de quelques autres ministres, de celle de M. Odilon-Barrot, dont la magistrature politique n'était guère moins importante qu'un ministère, et même d'un changement total du cabinet, dans l'intention de le mettre plus en harmonie avec la majorité de la Chambre; mais on s'en tint à cette modification, espèce de prélude du 13 mars, qui mécontenta un parti sans satisfaire l'autre. On le vit bientôt aux débats de la Chambre élective.

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28 décembre. La discussion du projet de loi pour l'organisation de la garde nationale, déjà tant de fois interrompue, arrivée au ti

tre V des corps détachés, fut encore suspendue par une digression étrangère qui dura trois jours, mais à laquelle il faut encore nous arrêter, parce qu'elle achève de nous donner une idée de la situation des partis à la fin de cette année.

On se rappelle que M. Boissy d'Anglas avait proposé de faire une enquête sur l'état de la France; cette proposition écartée par les bureaux, ensuite des déclarations ministérielles du 23 décembre, s'est reproduite sans plus de succès; mais au moment même où l'on discutait le service des corps détachés, une interpellation nouvelle de M. de Rambuteau, sans doute convenue avec le ministère, amena M. le président du Conseil à lui donner des renseignemens sur l'état des affaires au dehors et au dedans : il faut en tenir note pour le présent et pour l'avenir.

« On a souvent demandé au ministère quel est son système, dit M. Laffitte, on le lui demande encore avec plus d'instance aujourd'hui qu'il vient de recevoir quelques modifications dans son personnel. Une demande semblable, messieurs, ne peut provoquer, en général, qu'une réponse assez vague, quand il n'y a pas de faits qui justifient de ce système, et surtout de son application. Nous avons aujourd'hui par-devers nous quelques faits, au moyen desquels il nous sera possible d'expliquer et de prouver quel est notre système et com ment nous l'exécutons.

« Au dehors, le ministère avait adopté le principe de la non-intervention; ce principe vrai, fécond, naissait de la situation même. La sainte-alliance avait pour but d'étouffer, par des efforts communs, la liberté des peuples partout où elle viendrait à se montrer; le principe nouveau, proclamé par la France, a dû être de laisser se déployer la liberté partout où elle viendrait à naître, mais à naitre naturellement.

Le principe de la non-intervention avait le double objet de faire respecter la liberté partout, mais de ne håter sa venue uulle part, parce qu'elle n'est bonne que là où elle est un fruit naturel; parce que l'expérience a prouvé que, dans tous les pays, la liberté apportée par l'étranger était un présent aussi funeste que le despotisme. Plus d'intervention d'aucun genre, tel a été le système de la France : il avait l'avantage de garantir notre indépendance ainsi que celle des pays nouvellement affranchis, et de rassurer en même temps les puissances qui pouvaient redouter ane perturbation chez elles. Ce principe qui conciliait notre dignité avec la sécurité de l'Europe, qui n'était pas nu expédient, mais une vérité profonde, ce principe a prévalu dans notre politique. Cependant son énonciation n'etait rien encore, c'est son application qui était tout. Aujourd'hui cette application a commencé, et prouve d'une manière éclatante que le principe de non-intervention n'était pas un prétexte de la faiblesse, mais une sage maxime franchement et irrévocablement adoptée. Les cinq grandes puissances viennent de reconnaître, et ont signé en commun l'indépendance de la Belgique.

Cette grande question de la Belgique, de laquclie on pouvait craindre une occasion de guerre, la voilà donc résolue dans son point essentiel.

• Pendant les négociations, des puissances avaient armé dans des vues de sureté plutôt que d'agression. La France, pour ne rester en arrière en rien, pour être prête à tout, a sur-le-champ armé à son tour: ses préparatifs de guerre continuent, et ne seront suspendus que lorsque les armemens, fort exagérés d'ailleurs, que l'on impute à certaines puissances, auront cessé.

Ainsi donc la France n'a été au dehors ni hostile ni faible: elle a parlé avec modération, mais avec assez de force pour être écoutée; elle a repris son rang et sa prépondérance. Tout prouve que la paix sera conservée : le triomphe de l'ordre dans son intérieur sera une raison ajoutée à toutes les autres, et qui tonchera les puissances non moins que nos armemens.

La brave garde nationale aura, par sa belle conduite, autant fait pour la dignité et la puissance de la France au dehors, que si elle avait gagné des batailles sur le Rhin et les Alpes.

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Cependant, je le répète, malgré tant de gages de paix, la France ne suspend pas ses armemens; elle ne les interrompra que lorsqu'elle aura reçu l'assurance et la preuve qu'ils ont cessé partout.

Si du dehors vous revenez au dedans, vous verrez la conduite du gouvernement non moins clairement expliquée au dedans qu'au dehors; son système résultait de la nature mème des choses; il consistait à entrer dans les voies de régénération ouvertes par la révolution de 1830, à laisser se produire toute la liberté compatible avec l'ordre public, à être justes envers toutes les opinions; en un mot, à réaliser cette devise tant respectée : liberté, ordre public. Mais si de telles énonciations sont vagues, ici comme pour la politique extérieure, nous citerons des faits qui les expliquent et les précisent. Un grand procès était à instruire et à jager. Les ennemis du repos public avaient conçu de grandes espérances: ils voulaient souiller la révolution de juillet, et en attendant, faisaient peser sur notre crédit une terreur indéfinissable qui le détériorait tous les jours. Le ministère, messieurs, vous a prouvé, dans ces circonstances difficiles, comment il entendait l'ordre public et la liberté; il ne vous a demandé aucune mesure extraordinaire; il s'est servi des lois accoutumées. Dans ces momens, il a fait déployer l'appareil de la force, il a surtout pris et annoncé la résolution de faire respecter les lois, et les lois ont été respectées. La terreur inspirée par ce grand procès a été dissipée; l'anarchie a été vaincue avec les seules armes de liberté,

Le gouvernement ne veut point revendiquer plus de part qu'il ne lai en revient dans l'accomplissement de ce beau résultat. Il sait que la garde nationale a fait son devoir avec un courage et une sagesse admirables; il sait que c'est la sagesse de tous, et non de quelques-uns, qui a triomphé. Mais le gouvernement réclame un seul mérite, c'est d'avoir prévu, apprécié cette sagesse, d'y avoir compté, de s'être appuyé sur elle. La veille du danger, il vous l'a dénoncé franchement; il vous a dit que chacun ferait son devoir, qu'il était im possible que tout le monde ne le fit pas, et que de ses dispositions résulterait le salut commun. Tout le monde, en effet, a rempli son devoir; et les citoyens et le gouvernement, et la garde nationale, et son illustre chef; et l'ordre public a triomphe,

C'est cette confiance dans la sagesse et la force du pays qui fait tout le mérite du gouvernement, mérite qu'il revendique: avec un peu moins de con. fiance, il eût été ou faible ou violent. L'ordre a été maintena, messieurs, et pas un malheur ne nous reste à déplorer,

• Le gouvernement vous avait dit que peut-être on conspirait, mais qu'il prenait le doute pour une certitude, afin de n'être pas surpris. Il n'a pas dit, il n'a pas dû dire davantage. Aujourd'hui une impatience très concevable,

porte beaucoup d'honorables membres de cette Chambre à demander des éclaircissemens. Ils seront donnés; mais la justice légale procède lentement, elle recherche les faits avec scrupule, elle ne poursuit, ne dénonce, n'incar cère pas avec précipitation comme la justice des partis; il faut lui laisser så conscience et ses délais. D'ailleurs une tentative de mouvement populaire ne se saisit pas, ne se constate pas avec la même précision qu'une conspiration tramée entre quelques conjurés. Souvent ce sont des égaremens bien plus que de mauvais desseins que l'on saisit, et croyant approcher d'un crime, on ne trouve plus que des inconséquences. Le crime véritable reste aux perfides instigateurs, qui veulent profiter des égaremens de certaines têtes.

« Les instigateurs, messieurs, voilà les vrais coupables. La justice possède déjà des preuves certaines de leur action. Le gouvernement n'entend point, comme l'ont dit quelques hommes, faire des catégories de suspects. Ce mot de catégories restera attaché à la restauration, et non à la révolution de 1830; mais il entend révéler les causes du mal. Des documens écrits prouveront que les partisans de ce qui a péri en juillet sont mêlés aux troubles des journées de décembre, et que seuls ils ne peuvent point alléguer pour excuse les emportemens d'un amour exagéré de la liberté. Nous tenons ces mots écrits de leur main ; IL NOUS FAUT une république pOUR CHASSER LA FAMILLE D'ORLEANS.

«Telle a été, messieurs, la conduite du gouvernement et sa manière d'entendre l'ordre et la liberté, dans les circonstances difficiles que nous venons de traverser.

<«< Des incidens fâcheux sont venus encore, il y a deux jours, altérer la satisfaction que Paris éprouvait; mais ces incidens, vous l'avez vn hier, n'ont pa ameuer rien de grave entre hommes qui se rendent mutuellement justice. Ceux dont l'heureuse issue des dernières journées avait trompé les mauvaises espérances se sont plu à dire partout que la Chambre allait attaquer le gouvernement, que le ministère était décomposé, que la garde nationale perdait son chef, et avec lui tous ses officiers. L'événement a prouvé encore une fois le bon esprit de tous, et a confondu les perturbateurs. Une proposition qui pouvait être mal interprétée a été retirée, et cette preuve de bonne intelligence, don. née au gouvernement, a montré toute la sagesse de la Chambre,

«L'illustre chef de la garde nationale, qui depuis long-temps songeait à renouveler la noble démarche qu'il fit il y a quarante ans, s'est démis de ses fonctions malgré nos instances: il a voulu, autant qu'il était en lui, imiter le noble exemple de Washington; il a fait seulement un peu plus tôt ce qu'il vous a dit qu'il voulait faire tôt ou tard. L'un de nos collegues, dont les vertus ont jeté taut d'éclat, avait aussi formé le projet de déposer sa part de pouvoir; mais il ne le voulait pas à la veille du danger, il l'a fait le lendemain (Tous les regards se portent sur le général Lafayette et sur M. Dupont (de l'Eure), assís l'un auprès de l'autre à l'extrême gauche.)

« Le ministère, quoique afflige de cette séparation, n'en a pas été décom. posé. Il a rega:dé dans le pays si riche en vertus et en talens: il a trouvé un brave à mettre à la tête de la garde nationale; il a trouvé dans cette Chambre le moyen de se compléter dignement.

«Notre système ne sera point changé, messieurs; nous marcherons avec franchise dans les voies de régénération ouvertes en juillet, et toutes les fois que les lois seront menacées, nous les ferons respecter. »

Ici M. Laffitte annonçait la présentation prochaine d'une loi élec

torale qui satisferait les amis de la liberté comme ceux de l'ordre (elle fut présentée le 30 décembre), et il assurait de nouveau que le gouvernement persisterait, en développant la nouvelle Charte, à faire respecter l'ordre et les lois.

• An dedans, comme au dehors, disait-il en terminant, il nous semble que son système ne saurait plus être douteux pour personne, car les faits se trouvent partout à côté des professions de foi. Au dehors, il veut que la France soit estimée, écoutée, et il prouve qu'elle l'a été. Au dedans, il vent la liberté, mais il veut les lois. Il les a fait respecter, et il le fera toujours; il en prend l'en. gagement. Toute infraction sera fortement punie. Une douce répression a atteint des écarts que des jeunes gens de nos écoles avaient déjà rachetés d'avance par une noble conduite. Mais la plus rigoureuse sévérité fera rentrer dans la légalité quiconque en voudra sortir. Nous voulons que Paris soit enfiu tranquille, qu'il ne dépende point de quelques agitateurs ou égarés, ou perfides, de troubler le commerce, le crédit, la sécurité générale.

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Après cet exposé, fréquemment interrompu par des marques. d'adhésion à peu près générale, M. Odilon-Barrot prit la parole pour se justifier, en ce qui le concernait, et comme préfet de la Seine, comme premier magistrat de la capitale, des imputations qui lui avaient été adressées directement ou indirectement, c'està-dire d'avoir pactisé avec les jeunes gens, d'avoir pris des engagemens à l'occasion de ces proclamations publiées.

A cet égard M. Odilon - Barrot ne croyait pas avoir engagé sa responsabilité. Les engagemens dont on avait parlé ne consistaient qu'à procurer au pays les institutions promises par la révolution de 1830. Selon l'honorable député, ce ne sera jamais qu'au nom de la liberté que l'on pourra combattre le désordre et l'anarchie.

Enfin, après une disgression sur la démission de MM. Lafayette et Dupont (de l'Eure) avec lesquels il s'honorait d'être engagé par une sorte de disposition et de solidarité politique, M. Odilon-Barrot semblait annoncer la sienne comme très prochaine. Il avait supplié le Roi de l'accepter,

J'espère, disait-il en terminant, que S. M. sentira enfin que le moment est venu de faire rentrer tous les pouvoirs dans leur véritable sphère, et que si l'empire des circonstances, la nécessité plus forte que la loi même et que la volonté individuelle, a fait du préfet de la Seine un homme politique et l'a en

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