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traire; d'ailleurs, la marine avait déjà arboré le drapeau tricolore, et ne se montrait pas disposée à seconder ces desseins. Les anciens officiers de l'armée et la masse des soldats avaient encore dans le cœur le souvenir du vieux drapeau, et témoignaient déjà tant d'intérêt aux nouvelles de France, que le maréchal Bourmont ne jugea pas prudent de mettre leur fidélité à l'épreuve; il se résigna donc à reconnaître l'autorité du lieutenant général du royaume, et après einq à six jours d'hésitation à faire arborer le drapeau tricolore et distribuer des cocardes que les soldats reçurent avec enthousiasme, quoiqu'il se mêlât quelques inquiétudes propagées sans doute à dessein sur ce qu'on allait décider d'eux, de leur conquête, et des récompenses qui leur étaient promises.

En attendant d'autres dépêches, le maréchal faisait évacuer Bone et Oran, où la situation du peu de troupes qu'on y avait envoyées était devenue périlleuse. La nouvelle de l'avènement du roi Louis-Philippe redoubla l'embarras de sa position, la défiancé de l'armée acheva d'y relâcher tous les liens de la discipline; mais l'arrivée du général Clausel, envoyé pour le remplacer, vint mettre un terme à ces angoisses et à ces désordres. Embarqué à Toulon, le 27 août, sur l'Algésiras, de 80 canons, il arriva en rade d'Alger, le 2 septembre; et, après avoir eu une courte conférence avec M. l'amiral Duperré, il descendit le même jour à terre, et se rendit directement chez M. de Bourmont, sans attendre l'escorte ou détachement qu'il avait à bord.

Le nouveau général fit publier, en arrivant, une proclamation dans laquelle il informait l'armée des événemens qui avaient eu lieu à Paris et en France à la fin du mois de juillet, comme si elle n'en eût pas encore eu connaissance. Il annonçait la déchéance de Charles X, et l'avènement du Roi des Français, « qui réunissait, disait-il, à la légitimité du droit, la légitimité du choix et de la nécessité..., et sous qui tous les droits de l'armée seraient religieusement respectés. » De son côté, le maréchal de Bourmont, qui n'avait agi ou commandé depuis la nouvelle révolution qu'au nom du lieutenant général ou plutôt d'Henri V, était résigné d'avance à se retirer devant les embarras et les dégoûts qui l'atten

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daient; il fit publier le même jour (2 septembre) un ordre du jour pour annoncer qu'il remettait le commandement en chef à

son successeur.

. En s'éloignant de ces troupes dont la direction lai avait été confiée dans une campagne qui n'a pas été sans gloire, disait-il, le maréchal éprouve des regrets qu'il a besoin de leur exprimer. Il eût été henreux pour lui qu'avant son départ, ceux dont il a signalé le dévouement en eussent reçu le prix; mais le choix de son successeur leur garantit que cette dette sera acquittée. »

Après ces adieux, qui firent peu d'impression sur le gros de l'armée, le maréchal Bourmont remit à son successeur les papiers de l'expédition, avec une lettre pour le ministre de la guerre, auquel il demandait la permission ou annonçait l'intention de passer quelque temps à l'étranger, en Italie ou en Belgique, sans s'expliquer sur le serment qu'il avait à prêter; et comme l'amiral Duperré lui refusait un bâtiment de l'État pour le conduire autre part qu'en France, il prit un bâtiment autrichien qui se rendait à Malaga, avec huit hommes d'équipage, deux de ses fils et deux domestiques pour toute escorte. « Le maréchal et ses deux fils jetaient, « en partant, un dernier regard sur cette terre, théâtre de tant de gloire et d'inconsolables douleurs. Deux matelots avaient suffi a pour transporter les bagages du général qui, moins de trois mois auparavant, avait traversé ces mers à la tête de mille vaisseaux. « Des cent millions de la conquête, il n'emportait qu'un seul trésor, « le cœur embaumé de son malheureux fils (1).

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«

Le vice-amiral Duperré, avec lequel il avait toujours été en froid, mais qui avait constamment rempli ses devoirs, ramena, quelques jours après, sa flotte à Toulon, sans éprouver d'autre contrariété que la révolte d'un équipage (de la Bellone), et reviat à Paris recevoir une seconde fois la pairie qui lui avait été conférée par Charles X, et le titre d'amiral, comme équivalent à la dignité de maréchal de France, titre assurément bien mérité, par la part qu'il avait prise au succès de l'expédition.

L'armée n'était plus, à l'arrivée du général Clausel, ce qu'elle

(P) Souvenirs de la campagne d'Afrique, par Théodore de Quatrebarbes.

avait été aux premiers jours de la conquéte: on en a dit la cause. L'excursion malheureuse de Blida avait ranimé le courage des Arabes. Ils se montraient sur les montagnes les plus voisines; on leur avait abandonné, après les avoir désarmés, tous les forts ou positions fortifiés jusqu'à la baie de Sidi-Ferruch. Ils venaient aux portes d'Alger massacrer des officiers qui s'aventuraient dans la campagne. Les garnisons de Bone et d'Oran en revenaient nom sans avoir essayć des pertes considérables; et ce bey de Titterie qui, le premier, après la prise d'Alger, avait fait de si humbles soumissions au vainqueur, venait d'envoyer une déclaration de guerre, en annonçant qu'il arrivait à la tête de cent mille hommes, pour chasser les infidèles des murs de la glorieuse Alghé-Zaïr.

Cette ville elle-même, unique sûreté des conquérans, était en proie à tous les maux d'une administration vicieuse et corrompue, composée de Juifs et d'aventuriers français ou italiens, coupables de pillages ou de dilapidations que la renommée avait fort exagérées. L'armée s'affaiblissait de jour en jour par les maladies,` moins peut-être encore que par le relâchement des liens de la discipline et de la confiance. Des officiers supérieurs, entre autres, le duc d'Escars, avaient refusé le serment et donné leur démission; d'autres ne s'y soumettaient qu'avec une répugnance marquée. Mais l'expérience et la fermeté du général Clausel donnèrent bientôt une nouvelle face aux affaires; il avait emmené avec lui quelques administrateurs on employés habiles. Il commença par recomposer l'état-major et les autorités de la ville; il établit un tribunal mixte, composé de Maures, de Juifs, et une commission d'enquête, spécialement chargée de rechercher le pillage qu'on disait avoir été fait des trésors de la Casaubah (1). D'après des bruits qui avaient soulevé l'indignation et retenti jusqu'à la tribune législative, ce trésor, dont il n'avait été envoyé en France que

(1) Les membres de cette commission étaient le lieutenant général Delort, chef de l'état-major général, président; M. Fougeroux, inspecteur général des finances; M. Cadet de Vaux, administrateur; M. Pillaut-Debitte, magistrat ; Flandin, commissaire des guerres, tenant la plume.

Ann. hist. pour 1830.

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41,000,000 fr., devait s'elever au-dessus de 200,000,000 en toutes sortes de valeur. Mais l'enquête la plus sévère, d'après les témoignages les plus authentiques et les recherches les plus minutieuses, ont fait justice de ces calomnies. La commission a recónna et déclaré dans sa conviction profonde, que, si dans un désordre inévitable, il avait été pris à la Casaubah quelques effets et quelques bijoux abandonnés par le dey ou par des officiers de sa maison, rien n'avait été détourné du trésor, et qu'il avait tourné tout entier au profit du trésor de France (1); justification tardive, mais nécessaire à l'honneur de cette brave armée.

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Une des institutions les plus utiles à la défense de la conquête et due au général Clausel, est la création du corps auxiliaire des Zouares, tribu indépendante, renommée pour la fidélité qu'elle avait conservée aux deys dont elle formait la garde particulière, et qui se montra dès l'origine disposée à prendre parti pour les Français.

Un projet, plus vaste et plus important à la prospérité du pays et de l'Afrique, avait été conçu, mais laissé en suspens jusqu'à l'arrivée du général Clausel, C'était de former une société qui mettrait en culture la plaine de Métidja et d'y établir une ferme, qui devait servir de point de départ et de modèle à l'exploitation de ce vaste territoire, inculte depuis douze siècles, mais propice à toutes les cultures de l'Europe et de l'Amérique centrale, particulièrement à celles du coton, de l'indigo, du sucre et du café, Des acquéreurs se présentaient; des fonds considérables y étaient déjà consacrés, des cultivateurs arrivés; mais il fallait, avant de les mettre à l'œuvre, purger le pays des Arabes qui l'infestaient; déjà plusieurs bandes qui s'étaient montrées aux portes d'Alger avaient été vivement repousées par des petits combats, où les Zouares commencèrent à se montrer. Le général Clausel, convaincu qu'il ne suffisait pas de se tenir sur la défensive pour imposer aux Arabes et rendre à l'armée française le prestige de la

(1) Ordre du jour du 22 octobre 1830,

supériorité qu'elle avait perdu, mais qu'il fallait venger le guetapens de Blida, mettre le bey de Titterie hors d'état de réaliser ses ridicules menaces; résolut d'aller l'attaquer au milieu des tribus de l'Atlas, et dans ce dessein, il forma un corps d'expédition composé de douze bataillons d'infanterie, un de chaque régiment, des chasseurs d'Afrique, d'un détachement du bataillon des Zouares, de six pièces d'artillerie de montagne, six de campagne, et deux compagnies de sapeurs. Treize bataillons, et le reste de l'artillerie, devaient rester pour la défense d'Alger...

Ces dispositions prises, les subsistances et les munitions de guerre assurées pour quinze jours, durée présumée de l'expédition, avec 500 tentes pour mettre les troupes à couvert des pluies dans, une saison où elles tombent en Afrique par torrens, le corps d'expédition se mit en mouvement le 17 novembre avec son général en tête, ayant sous lui le lieutenant général Boyer, et à la tête des brigades les généraux Achard, Monck-d'Uzer et Hurel.

La marche d'Alger Blida ou à Bélidéah ne fut arrêtée que par des pluies qui la retardèrent d'une journée.

Le 18 novembre, comme l'armée était à une lieue de Bélidéah, un corps de 15 à 1800 Arabes se présenta, qui demandait que les troupes françaises n'entrassent point dans la ville, ou qui paraissaient disposés à la défendre; mais la brigade Achard envoyée pour la tourner sur la droite, tandis que la brigade Hurel se présentait pour attaquer la ligne des Arabes, les eurent bientôt forcés à la fuite; et les deux brigades entrèrent ensemble par deux points différens dans la ville, où le général en chef séjourna le 19, pendant que deux bataillons allèrent ravager le territoire et brûler les cabanes d'une tribu voisine qui avait pris le plus de part à la défense, après quoi des familles que la crainte des Koubayles ou des Français avait fait fuir, furent admises à faire leur soumission et à rentrer dans Bélidéah.

Le 20, le corps d'expédition se mit en marche vers Médéah, laissant à sa gauche les hauteurs qui dominent la plaine de la Mitidja le général arrivé à une grande ferme, désignée sous le nom da ferme de l'Aga, située au pied de l'Atlas, entourée d'un bon

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