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parut consterné. Une foule immense encombrait la rue du Palais en attendant le passage des condamnés, conduits par la force armée, et suivis par la foule, aux cris de vive de Potter! vive Tielmans, etc., et jusqu'à leur prison, où elle devint nombreuse et pressante de manière à faire croire qu'elle voulait délivrer les prisonniers et que les gendarmes furent obligés d'employer la force pour la disperser.

Les condamnés se pourvurent en révision: ils adressèrent aux états-généraux une pétition dans laquelle ils réclamaient contre la publication de leur correspondance confidentielle, comme un scandale inouï dans les annales des peuples civilisés, et contre l'arrêt qui la retenait au dépôt du greffe. Ils n'en obtinrent aucune satisfaction.

Ils s'étaient flattés de trouver un asile en France. Mais l'ambassadeur français refusant de viser leurs passe-ports, ils se dirigèrent sur la Suisse.

Les fêtes qu'on leur fit à leur passage dans quelques villes de la Belgique purent les distraire un moment de la douleur de quitter leurs familles, mais d'autres chagrins les attendaient en Allemagne. Une surveillance sévère les suivit au lieu de leur exil, jusqu'au moment où la révolution de juillet sonna leur délivrance et les rendit à leur pays.

Ce procès célèbre dans les fastes judiciaires de la Belgique est un des derniers faits à rapporter dans l'histoire du royaume-uni, avant la catastrophe dont il était menacé. Il importe peu de revenir sur des actes qui se sont engloutis dans le mème naufrage que

sa constitution.

.

Un seul objet soumis alors à la discussion des états-généraux mérite encore de nous arrêter par les lumières qu'il jette sur la situation des partis et l'effervescence des opinions à cette époque.

On doit se rappeler le message envoyé à la seconde Chambre, le 11 décembre 1829 (voy. l'Ann. hist. de cette année, pag. 322 et suiv.) sur l'insuffisance des lois existantes pour la répression des délits de la presse, surtout des délits d'injure et de calomnie. Il était accompagné d'un projet qui excita de vives critiques de la

presse libérale à cause de la sévérité et du vague de ses disposi~{ tions, surtout dans l'article 3, sur la provocation à la désobéissance aux fois ou l'excitation au trouble (1); et dans l'article 6, qui remettait en vigueur la poursuite d'office contre l'injure et la calomnie envers les fonctionnaires les plus subalternes.

La discussion qui s'ouvrit le 17 mai fut pleine d'aigreur et de personnalités; l'opposition, dont le ministère voulait atteindre les écarts, se plaignait elle-même d'être injuriée et calomniée dans des journaux à la solde du ministère, entre lesquels on eitait surtout le National, rédigé par un étranger qui outrageait impunément jusqu'aux membres des états-généraux, pendant qu'on poursuivait à toute outrance les écrivains patriotes. Un des discours les plus remarquables de cette discussion est celui de M. Surlet de Chokier (séance du 18 mai); il faut s'y arrêter autant pour l'effet qu'il produisit alors que pour l'importance du rôle que l'orateur a joué dans la révolution.

L'honorable orateur commençait par faire observer les contradictions où le ministère était tombé, en exposant, d'une part, que la licence de la presse avait répandu depuis quelques mois, dans une grande partie du royaume, l'inquiétude, la méfiance et la discorde, par la propagation de doctrines subversives de toutes institutions sociales; de l'autre, que, peu de temps avant que le gouvernement ne vînt demander de nouvelles armes contre la liberté de la presse, on vivait dans une paix profonde au sein d'une prospérité sans exemple, sous la protection de lois sages et modérées qui garantissaient la liberté civile et politique... Un changement si brusque et si alarmant n'était pas possible: M. Surlet de Chokier n'y voyait qu'un prétexte pour donner au ministère des

(1) Voici quel était cet article :

• Quiconque aura méchamnient, et hors le cas d'une demande ou d'une dé fense en justice, attaqué la force obligatoire des lois ou excité à leur désobéis sance, on aura, de quelque manière que ce soit, compromis la tranquillité publique, soit en favorisant la discorde, en fomentant le désordre et la méfiance, soit en ontrageant le gouvernement, son autorité ou ses actes, sera puni d'un emprisonnement d'un à trois ans.

moyens d'échapper à la réprobation publique qui le poursui

vait.

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Non, messieurs, disait l'honorable orateur, il n'y a pas eu de danger dans' le sens du message da 11 décembre dernier; la tranquillité dont nous n'avons cessé de jouir, la marche du gouvernement, qui n'a été ni entravée, ni troublée dans aucune branche d'administration, prouvent évidemment qu'il a été in-` duit en erreur; mais ce sont nos libertés politiques et civiles qui sont en danger; c'est coutre elles que se réunissent les efforts de tous les ministères, pour les effacer des codes de tous les peuples de l'Europe: aussi nous avons vu susciter, en même temps, des procès à la presse en France, en Angleterre et dans ce royaume; et à moins d'être aveugle, on ne peut nier qu'il n'y ait une coalition de tous les ministères contre la publicité, et que toute leur politique ne tende à nous réduire au silence, à étouffer et à comprimer les sentimens généreux de liberté et d'indépendance. Voilà où est le danger véritable.

« Croyez-moi, messieurs, on ne négligera aucun moyen pour atteindre ce hat: profession et tentative de propagation par les écrivains des ministères de doctrines évidemment subversives des institutions constitutionnelles; excitation de leur part pour irriter les écrivains libéraux et les attirer dans le piége; efforts pour semer l'inquiétude et la méfiance dans les rangs des défenseurs de nos droits; menaces, récompenses, cajoleries, destitutions même pour provoquer et obtenir des défections; menaces de coups d'État et de substituer au règne de la loi le régime dn bon plaisir; brnits habilement répandus d'une intervention armée, étrangère, que sais je enfin? et ne va-t-on pas jusqu'à vouloir nous dépouiller de notre humble, titre de citoyens pour nous décorer de celui d'esclaves !

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C'est ainsi que ces écrivains avoués attaquent chaque jour, sous le patronage ministériel, nos libertés et nos droits, publient impunément les doctrines menaçantes du pouvoir absolu, et provoquent le trône, avec le plus dégoùtant cynisme, à des violences et à des coups d'Etat : et nous, nous payons bénévolement et de nos bons deniers ces hommes qui nous traitent comme des betes de somme, et comme un vil troupeau! Tout cela est au mieux, mais ceux qui s'en plaignent out grand tort, et on nous les désigné comme des factienx qui se mettent scandaleusement en opposition avec le gouvernement et les lois.

N'allez pas croire que je vienne ici me plaindre de la liberté de la presse dont usent les écrivains ministériels contre les écrivains libéraux et même contre nous. J'ai toujours défendu cette liberté; mais ce dont je crois avoir droit de me plaindre, c'est que la justice ne soit pas égale pour tous, et que, tandis que la moindre phrase douteuse interprétée, torturée pour en extraire ce qu'elle ne contient pas, suffit pour tradnire devant les tribunaux ceux qui écrivent en faveur de la liberté, nous voyons accorder la plus grande tolérance, donner des encouragemens à des frénétiques qui conseillent au gouvernement de se précipiter sur les lois, de les vialer, de les suspendre, d'en faire de son autorité privée. En faut-il davantage, messieurs, pour vous convaincre de la complicité du ministère avec eux ?

« Mais on viendra peut ê re dênier dans cette ceinte cette complicité en faisant parade de ventralité, et même en faisant un appel à la liberté. Ne soyons point dupes d'an pareil manége : quand il y a oppression d'une part, et approbation de Fautre, quand la liberte n'est que pour quelques mus et la rigueur la plus excessive pour tout ce qui n'est pas dévoué au ministère;

quand on peut écrire sans risque, qu'on peut déchirer la loi fondamentale, ra. vir à la nation toutes ces garanties; et lorsqu'on est traduit en jugement, quand on insinne qu'un pareil système est criminel, en faut-il davantage pour prouver que ses écrivains sont ministériels ? Puisqu'ils osent impunément insulter ceite Chambre ou une partie de cette Chambre, qui a cependant le droit de n'être pas outragée, aussi bien que les deux autres branches du pouvoir législatif, que penser de l'immobilité du ministère de la justice? Ne le rend-elle pas solidaire de ces déclamations et de ces outrages?

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«C'est ainsi cependant que certains hommes entendent la justice, c'est-àdire lorsqu'elle condamne, mais avec discernement, en accueillant les plaintes des ministériels, des fonctionnaires publics, et en punissant les écrivains constitutionnels; c'est, selon eux, servir la société et la monarchie; mais admettre que des députés de l'opposition aient droit à la protection des lois, que leur réputation puisse avoir des garanties, et que des écrivains salariés par le gouvernement puissent être punissables, lorsqu'ils dissament et injurient, c'est évidemment le renversement de la morale et de l'ordre établi... Voilà comme sont ces hommes : les lois ne sont jamais assez rigoureuses; elles n'ouvrent jamais une porte assez large à l'interprétation et à l'arbitraire ( et le projet que nous discutons en est la preuve), lorsqu'il s'agit d'atteindre l'opinion qui leur déplait; et comme ils sont confians dans la partialité du ponvoir en leur fa veur, ils trouvent admirables ces lois, toujours appesanties sur leurs adversaires, toujours enfreintes impunément par eux; mais si un jour, et il arrivera ce jour de la justice, ils sont atteints, vous les entendrez jeter les hauts cris, se plaindre, s'indigner; c'est alors seulement qu'ils s'apercevront qu'il est de l'intérêt de toutes les opinions, de tous les partis, que l'on soit régi par de

bonnes lois..

Ici M. de Chokier, rappelant plusieurs actes du ministère, y voyait une marche constante, un dessein arrêté d'étouffer, surtout dans les provinces méridionales, toute liberté de la presse et de l'enseignement, et de réduire à rien la responsabilité ministérielle. Il s'élevait avec énergie contre cette idée reproduite en toute occasion, qu'attaquer les actes du gouvernement c'était offenser

le roi.

« Il est deux principes constitutifs d'an gouvernement représentatif, ajoutait-il, principes qui doivent toujours être respectés : le roi est inviolable, ses ministres sont responsables devant les Chambres, par voie d'accusation, et devant l'opinion publique, par la voie de la presse; il y a donc à la fois, pour ces derniers, responsabilité morale et légale. Vainement done on parlerait du respect que l'on doit avoir pour la volonté royale, toutes les fois que la si gnature d'un ministre est apposée au pied d'un acte émané du trône. S'il en était autrement, il faudrait dire, qu'aucun acte ne pourrait être attaqué, que les ininistres, loin d'êtres responsables, jouiraient de l'inviolabilité du souverain; cela ne peut être, et je dirai hautement, avec tous les égards qui sont dus à la majesté royale, toute autre théorie, toute autre argumentation porte atteinte à la dignité du trône, en le faisant descendre au milieu d'une lutte parlementaire dont les conséquences peuvent amener les plus grands désordres; ce serait renverser le gouvernement établi par notre loi fondamentale; car si

le roi réunissait à la fois le droit et l'exercice du pouvoir, je le demande, en quoi la monarchie constitutionnelle difièrerait-elle de la monarchie absolue?

Je me suis borné, disait M. Sarlet de Chokier en terminant, à ne considérer le projet qui vous est présenté et le message qui l'accompagne, que sous le point de vue politique et dans ses rapports avec ce que je vous ai dénoncé comme la coalition de la plupart des cabinets contre la liberté des peuples, et leur accord entre eux pour propager et proclamer les doctrines subversives de nos institutions constitutionnelles ; je crois vous avoir démontré les dangers et la nécessité d'opposer une digne aux prétentions exagérées du pouvoir, pour le préserver lui-même de ce à quoi il s'expose en suivant les funestes inspirations de ses conseillers. Ce que je dis ici s'applique à tous les gouvernemens qui se laissent entrainer dans cette voie de perdition; car s'il y a entre eux accord pour nous opprimer, ils doivent s'attendre qu'il y aura aussi accord entre les peuples pour repousser le joug qu'on veut leur imposer; car, quoi qu'on en dise, la conscience de leurs droits et la nécessité de les réclamer parleront tôt ou tard chez eux, et alors plus les gouvernemens auront fait d'efforts pour les enchaîner plas les citoyens en auront à faire pour s'en affranchir; de là ces convulsions effrayantes, qui ébranlent parfois le monde entier, et par suite desquelles le pouvoir se trouve dépouillé de tout, parce qu'il a voulu fout envahir.

« C'est là, messieurs, ce qu'il nous faut éviter à tout prix, excepté cependant au prix du sacrifice de notre liberté, qu'il eût été à désirer sans doute de voir apparaître à l'orient d'an soleil saus nuage, et que j'ai cru, hélas! entrevoir le 21 septembre 1815; mais si, par malheur, notre émancipation ne peut sortir triomphante que du sein ténébreux des orages et des tempêtes, il ne faut pas nous en effrayer, ni pour cela renoncer à la conquête; il nous faut, au contraire, redoubler de fermeté et d'énergie, et répondre aux écarts du ministère, non par des écarts aussi blàmables, mais le ramener dans la voie légale et constitutionnelle par notre exemple et notre conduite.

« Oui, messieurs, croyez à la sincérité et surtout au désintéressement de mes paroles, comme à celles d'un homme qui serait prêt à descendre dans la tombe, qui n'a nul intérêt à déguiser la vérité. Je vous le dis, c'est sans passion, c'est sans flatterie, il n'est pas permis de faire hair le gouvernement, parce qu'il est de l'intérêt de tous qu'il dure et qu'il s'affermisse; mais un ministère peut changer..... et, grâce au ciel, j'espère qu'il changera ; et lorsque nous avons la conviction qu'il est menaçant pour la liberté et nos institutions constitutionnelles, nous pouvons appeler sur lui la juste défiance du mouarque c'est notre droit, je dis même plus, c'est notre devoir.»

Quant au fond du projet, les orateurs de l'opposition se récriaient principalement sur le vague de la rédaction de l'article 3. Le gouvernement y proposa successivement des modifications qui ne satisfaisaient pas l'opposition; elle insistait sur le sens qu'on entendait donner à l'excitation au trouble et à la désunion entre les citoyens. Et telle était la divergence des opinions à cet égard, que le premier scrutin ouvert sur l'ensemble du projet (21 mai), offrit 52 boules blanches et 52 boules noires, parité de voix d'où résultait en réalité le rejet du projet, ce qui força le ministère à le

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