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remettre en discussion avec de nouvelles modifications (1) qui donnaient plus de précision à l'art. 3, et au moyen desquelles le projet remis aux voix dans la séance suivante fut adopté, cette fois, à la majorité de 93 contre 12...

A peine est-il besoin de dire que ce projet, non plus que les autres, ne trouva point d'opposition à la première Chambre. Elle ne prit que le temps nécessaire pour accomplir les formalités imposées à ses délibérations.

2 juin. Quelques jours après, M. le ministre de l'intérieur vint faire la clôture de la session par un discours dans lequel il se félicitait de voir cette session, « remarquable par l'étendue de ses « travaux et surtout par la divergence de ses opinions, couronnée « par le plus heureux accord entre le trône et les représentans « de la nation, sur des matières du plus haut intérêt pour tous « deux. »

« Ces résultats, disait le ministre en terminant, sont favorables pour le présent, tranquillisans pour l'avenir; ils resserrerout encore le lieu qui unit à jamais le souverain au peuple des Pays-Bas. La saine opinion qui, au milieu de l'effervescence des passions, domaine chez les hommes éclairés et de bon sens, et qui avec le temps, gague de plus en plus de terrain, et qui deviendra enfin le jugement de la postérité, y métirá son scean.

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Ils ont obtenn la haute approbation d'un prince qui a rétabli la liberté, des citoyens, qui cherche son bonheur dans la prospérité des Belges, et qui trouve dans leur amour sa gloire et sa récompense. »

4 juin. Deux jours après, le gouvernement faisait une concession importante à l'opinion publique, dans les provinces méridionales, Il permettait que tous les actes, soit authentiques, soit sous scing privé, fussent rédigés, pour toute l'étendue du royaume, dans la langue dont les parties intéressées désireraient faire usage; il

(1) On peut juger de l'importance du changement en comparant cette rédaction à la première :

Quiconqué aura méchamment et pobliquement, de quelque manière ou par quelque moyen que ce soit, attaqué la force obligatoire des lois on provoqué à y desobeir, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans. Cependant cette disposition ne préjudiciera pas à la liberté de la demande oa de la défense devant les tribunaux ón toute sufre autorité constituée. »

autorisait les cours et tribunaux des provinces méridionales àpermettre qu'il fût fait usage de la langue française, à la demande des parties, et dans tous les actes et plaidoiries des causes judiciaires, et il maintenait le même usage dans les affaires administratives pour les mêmes provinces.

Cette concession, si vivement sollicitée depuis dix ans, ne suffisait plus à l'opinion publique des provinces méridionales, entretenue dans une irritation plus vive que jamais, après le bannisse~ ment de M. de Potter et de ses coaccusés, autant par les apologies inconsidérées des journaux ministériels que par les attaques répétées tous les jours de la presse catholico-libérale. L'exasperation des esprits, redoublée à la nouvelle de la révolution de Paris, n'attendait que l'occasion d'éclater. Déjà surgissait le désir et l'espérance d'une réunion de la Belgique avec la France, ou du moins d'une séparation avec la Hollande. En vain le gouvernement, plus impopulaire que jamais, s'efforçait de modérer l'effervescence des esprits, en faisant vanter par ses écrivains la paix et le bonheur dont la Belgique avait joni sous le sceptre des Nassau, et les bienfaits nouveaux qu'elle devait en attendre, d'après la publication. des nouveaux Codes civil et criminel, qui devaient être mis en vigueur le 1er janvier 1831. L'idée d'une révolution fermentait partout; on murmurait les refrains de la Parisienne. Il ne fallait qu'une étincelle, tombée sur cet amas de matières inflammables, pour décider l'explosion; et cet état d'angoisse et d'attente dura près d'un mois.

Le 25 août, à la sortie d'une représentation de la Muette, où les allusions révolutionnaires avaient été saisies avec des transports d'enthousiasme, des groupes tumultueux se formèrent sur la place du théâtre ; une multitude d'ouvriers et d'homines du peuple s'y joignit à des jeunes gens encore échauffés des prestiges de la scène révolutionnaire qu'ils venaient d'applaudir. On attaqua d'abord le bureau du National, journal ministériel, établi depuis quelque temps sous la direction d'un nommé Libry-Bagnano, Piémontais d'origine, qu'on disait avoir été flétri publiquement, à Lyon, pour crime de faux, dont la polémique injuricuse et richement salariée par

le gouvernement (1) indignait les patriotes belges Les portes furent enfoncées, les presses brisées, le matériel de l'imprimerie détruit : 'il n'en resta que les quatre murs. De là le peuple se porta au domicile de M. Libry-Bagnano, qui heureusement ne s'y trouvait pas. Tout fut envahi et saccagé dans un instant. Meubles, livres, habil lemens, tout fut enlevé, brisé, lacéré et jeté dans la rue par les fenêtres, à la grande joie du peuple, aux cris : Imitons les Parisiens! On fit des rideaux de l'appartement un drapeau aux trois couleurs françaises. Quelques soldats de police, accourus avec un commissaire, voulaient en vain s'opposer ou mettre un terme à ces excès; la nuit les favorisait. La bourgeoisie et les jeunes gens regardaient et applaudissaient. La haine qu'inspirait Libry-Bagnano semblait tout justifier.

Au même instant on commençait à forcer les boutiques de quelques armuriers, on enlevait les armes qui s'y trouvaient. Le peuple se divisa ensuite en plusieurs bandes pour attaquer le Palais-deJustice, l'hôtel du min tre Van Maanen, celui du directeur de la police Knyff, et les maisons des magistrats qui avaient figuré dans la fameuse affaire Potter... On brisa les vitres de la Cour d'assises. Le général Wauthier, commandant de la place,essaya d'arrêter ces désordres avec un détachement, mais il fut désarmé de son épée dans la bagarre, forcé de crier vive la liberté, et heureux de trouver un asile à l'Hôtel-de-Ville.

Il était environ une heure du matin lorsque les troupes prirent les armes. Mais déjà le soulèvement avait le caractère d'une révolution. Beaucoup de bourgeois s'étaient armés et y prenaient part. Le peuple assiégeait en masses nombreuses: l'hôtel du ministre de la justice, situé sur la place du Petit-Sablon, en face de la prison des Petits-Carmes. En quelques minutes les portes enfoncées livrèrent passage à la multitude, qui s'y jeta aux cris à bas Van Maanen! La faible garde qui le défendait fut désarmée. Tout y fut saccagé comme chez Libry-Bagnano. La foule

(1) On assure qu'il avait reçu plus de 160,000 francs en un an sur le million destiné à encourager l'industrie,

n'en sortit qu'après y avoir mis le feu et se rangea tout autour, en déclarant qu'elle ne se retirerait que quand l'hôtel serait comsumé jusqu'aux fondemens. Les pompiers, accourus avec leurs pompes, furent réduits à regarder, sans pouvoir l'arrêter, cet incendie qui dévora ainsi en quelques heures un des plus beaux édifices de Bruxelles.

Le 26, vers cinq heures du matin, lorsqu'il faisait déjà grand jour, les troupes commencèrent à faire des mouvemens plus décidés; deux bataillons, grenadiers et chasseurs, furent dirigés par compagnies, dans les rues et sur la place du Sablon, ou l'insurrection se montrait plus animée. Des feux de peloton furent dirigés tantôt en l'air, tantôt sur la foule. Plusieurs hommes du peuple tombèrent morts ou blessés aux premières décharges; la lutte devint sanglante et n'en fut que plus acharnée.

Bientôt des fusillades répétées retentirent dans toute la ville et y répandirent la terreur et la rage de la vengeance. Les portes et les boutiques fermées, les fenêtres garnies de femmes, d'enfans et de curieux; les rues, tantôt encombrées de gens armés de fusils, de sabres et de bâtons ferrés, tantôt désertes après le passage des troupes qui les refoulaient dans d'autres quartiers, et n'offraient plus que des décombres et des cadavres, représentaient l'image d'une ville prise d'assaut.

Cependant la répugnance et l'insuffisance de la troupe à réprimer ces désordres étaient évidentes. C'était à chaque instant et dans chaque rue un combat à livrer. Les désordres continuèrent dans la matinée du 26. L'hôtel de la police et celui du gouvernement étaient entièrement dévastés. Déjà quelques machines à vapeur avaient été brisées; les ouvriers menaçaient de détruire également les autres métiers à mécanique. La magistrature et la police ordinaire étaient hors d'état d'arrêter ce mouvement de destruction. Mais la bourgeoisie conçut qu'il n'y avait plus de temps à perdre pour protéger les propriétés et rétablir l'ordre, et il se forma une garde bourgeoise, qu'il ne faut pas confondre avec la garde communale que le gouvernement avait organisée, en autorisant les remplacemens, de manière qu'elle ne se composait, dans certaines

localités, que de prolétaires fort peu intéressés au maintien du bon ordre et au respect des propriétés.

Cette garde bourgeoise, miraculeusement improvisée, et se donnant des officiers au milieu des fusillades, armée de fusils de chasse ou de munition, s'interposant entre la populace et les troupes, ne tarda pas à prendre la direction du mouvement populaire. Aux uhs, elle promettait le 1edressement des griefs; aux autres, c'est-à-dire aux soldats, et surtout à leurs officiers, elle représentait l'horreur d'une guerre civile; elle les suppliait de ne plus faire feu, de ne plus répandre le sang de leurs concitoyens, et de rentrer dans leurs casernes. Ces prières furent entendues ; le feu diminua, et cessa même sur quelques points. Les soldats demandèrent qu'on respectât leur neutralité, et dès lors la lutte devint moins acharnée : on put espérer du moins une trève au combat.

Vers onze heures du matin, la régence, encouragée par la bourgeoisie, fit afficher une proclamation qui annonçait l'abolition immédiate du droit de mouture, encore existant, comme impôt municipal, et invitait les habitans à organiser dans chaque rue une garde provisoire, ainsi qu'à illuminer la façade de leurs maisons pendant la nuit, pour remplacer les réverbères, brisés pour la plupart et mis hors de service. Deux heures après, des patrouilles plus nombreuses parcouraient la ville en tous sens. Les troupes avaient cessé toute attaque dans les rues; elles se repliaient vers le palais du roi, le parc Royal, ou se retiraient dans leurs casernes; on n'entendait plus que quelques coups de fusil isolés, et presque tous tirés en l'air. La régence, par une proclamation nouvelle, garantissait que les troupes ne sortiraient point de leurs casernes. Elle confiait de nouveau la sûreté de la ville et la garde des propriétés aux habitans, et promettait d'appuyer les demandes légitimes qu'ils auraient à faire, ou d'y faire droit, s'il était possible, et de ne quitter son poste que quand le calme serait entièrement rétabli.

Déjà la cocarde orange avait disparu; le vieux drapeau brabancon aux trois couleurs, rouge, jaune et noire, flottait sur l'Hôtelde-Ville, où siégeoit la régence. Des détachemens de la garde bour

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