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victoire populaire, ni rapporter en détail les actes du gouvernement provisoire, pour l'amélioration de l'administration et pour la convocation du congrès. On ne peut qu'indiquer ici les plus importans. De ce nombre est l'arrêté du 8 octobre, qui maintient les autorités et agences de l'administration inférieure et rurale existantes, jusqu'à leur remplacement par des magistrats élus dans des assemblées de notables, dont la capacité électorale était basée sur le cens de leurs contributions directes gradué en proportion de la population des villes et communes. Il devait être d'au moins 100 florins dans les communes de vingt-cinq mille habitans, et de 10 dans celle de cinq mille et au-dessous; mais on admettait comme notables ceux qui exercent des professions dites libérales. D'autres ordonnaient la publicité entière des audiences en matière criminelle et correctionnelle, l'augmentation du nombre des juges en attendant le rétablissement du jury, la levée des trois bans de la garde communale; ajoutons-y celui qui permettait les associations politiques (16 octobre), celui qui déliait les officiers belges de tout serment de fidélité à l'ancien gouvernement, et surtout celui rendu le 10 octobre pour la convocation du congrès national, qui devait être composé de deux cents députés nommés par des électeurs payant la quotité de contributions que les règlemens des villes et des campagnes avaient précédemment fixée, d'après les diverses localités pour l'admission aux colléges électoraux. Des arrêtés postérieurs ont déterminé l'organisation des opérations électorales, la fixation du nombre des députés à élire par chaque district admi nistratif, et réduit le cens électoral de moitié dans les campagnes. On s'étonne de voir la province de Luxembourg figurer au nombre de celles qui devaient envoyer des députés au congrès ; la plupart de ses communes avaient donné leur adhésion au gouvernement provisoire de Bruxelles. En vain le conseiller d'État Wilmar, gouverneur du grand duché qui occupait la ville, sous la protection d'une garnison fédérale, avait essayé de retenir la population des environs sous la domination du roi Guillaume, et soutenait que le grand duché n'avait jamais fait partie de la Belgique; que c'était une propriété particulière de la maison de Nas

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mise sous le même régime d'administration que les Pays-Bas, non comme fraction de ce royaume, mais comme État indépendant spécialement délimité (art. 4 du traité du 31 mai 1815), faisant partie intégrante de la confédération germanique, sous la garantie des États qui la composent, comme des puissances qui avaient signé ou adhéré à l'acte du congrès de Vienne... Mais ces protestations n'arrêtèrent point le gouvernement provisoire de la Belgique. Il répondit aux adhésions des habitans par un arrêté qui, considérant que la province de Luxembourg forme une partie intégrante de la Belgique, nonobstant ses relations avec la confédération germanique, et l'occupation de la forteresse de Luxembourg par une garnison fédérale, et qu'il pouvait être pris des mesures, temporairement du moins, pour prévenir tout conflit entre l'administration du pays et les autorités militaires de la garnison fédérale, ordonnait que le siége du gouvernement provincial, le tribunal de premiere instance et toutes les administrations publiques, seraient provisoirement transférés à Arlon, et nommait M. Thorn, avocat à Luxembourg, gouverneur de cette province (1).

D'autres difficultés s'élevaient sur la possession du Limbourg, de Maëstricht, qui resta, comme la forteresse de Luxembourg et celle d'Anvers, au pouvoir des Hollandais, difficultés qui devaient être soumises à la conférence de Londres, mais que le gouvernement belge voulait alors résoudre par la force des armes...

Une grande partie du pays était cependant en proie aux fureurs de la guerre civile, ou aux désordres et aux excès de l'anarchie... Un corps sous les ordres du général Duvivier, secondé par une légion de volontaires belges, amenés de Paris par le vicomte de Pontécoulant, marchait du côté de Gand, dont ils forcèrent la citadelle à capituler. Un autre, formé de volontaires de Bruxelles et de Liége, commandé par un général français, banni de 1815 (général Mellinet), sous les ordres du général en chef Nypels, s'était porté à la suite de l'armée hollandaise, sur Malines, qui fut abandonnée après un engagement très-vif au pont de Walhen (18 oct.).

(1) C'est ce même M. Thorn dont l'arrestation a fait tant de bruit en 1832.

L'entrée des Belges y fut signalée, comme à Bruges, par la dévastation de plusieurs maisons et même de fabriques appartenant à des citoyens suspects d'attachement à la maison de Nassau. Une autre action livrée à Lierre et à Berghem, où le comte Frédéric de Mérode reçut une blessure des suites de laquelle il est mort quinze jours après, fut également à l'avantage des Belges (19 oct.), et amena la reddition de Termonde. Un troisième corps, dit l'armée de la Meuse, mis sous les ordres du général Daine, devait s'emparer du Limbourg, mais il y fit peu de progrès. Sur les frontières de France il n'y avait plus de résistance possible de la part des Hollandais; mais les passions populaires, excitées, dit-on, par des agens orangistes, s'y montraient plus féroces. La populace des villes, les ouvriers des mineurs ou manufacturiers pillèrent des grains, incendièrent et s'accagèrent plusieurs maisons et riches fabriques, dans lesquelles ils avaient long-temps trouvé leur existence, et s'attaquant indistinctement à toutes les opinions, comme s'ils n'eussent eu d'autres ennemis que les riches: excès qui se prolongèrent surtout dans le Hainaut, au point d'y faire craindre la subversion de l'ordre social, de nécessiter l'envoi de commissaires extraordinaires du gouvernement provisoire, et de faire amèrement regretter à des amis de la révolution le temps où ils agitaient les provinces pour le redressement des griefs (1). C'est au

(1) On peut juger de ces excès et de la situation du pays par la proclamation publiée ( à Mons, le 22 octobre) au nom du commissaire envoyé par le gouvernement provisoire ( Ch. Rogier ) pour y mettre un terme, et surtout par ce qu'en disait alors le journal officiel du gouvernement révolutionnaire, le Courrier des Pays-Bas :

Les nouvelles du Hainaut sont affligeantes, et elles le sont d'autant plus, que ces symptômes d'anarchie et de désorganisation paraissent tenir à un sourd complot et à des machinations criminelles. Là ce ne sont plus des ennemis qu'on défait, ce sont des citoyens qu'on dépouille, des frères qu'on massacre ou qu'on ruine ; là de respectables négocians, des industriels qui répandaieut dans le pays l'abondance et la civilisation, sont dévalisés saus pudeur ni pitié par une populace égarée; de vastes fabriques qui feraient la gloire et la prospérité de notre beau pays sont saccagées et dévastées par des bordes de malfaiteurs, et nous en sommes réduits à mettre nous-mêmes nos propres villes en état de siége pour nous protéger contre les ennemis intérieurs, aussi barbares que les soldats hollandais!

milieu de ces désordres où les passions révolutionnaires déchaînées ne connaissent plus de frein, où le peuple passe en un moment d'une affection aveugle à une haine féroce, et brise au soir l'idole du matin, que le général Juan Van Halen, le héros des quatre journées de Bruxelles, fut arrêté à Mons, suspect, aux yeux des uns, de vouloir une république purement démocratique, à ceux des autres, d'être l'agent d'un parti étranger, ou même de travailler à ramener, par la terreur de l'anarchie, au joug de la maison d'Orange: conjectures peut-être aussi mal fondées les unes que les autres, car le général fut mis en liberté peu de jours après, mais tenu à l'écart et sans influence dans les affaires.

Quelles que fussent d'ailleurs les menées secrètes des orangistes, elles n'eurent pas plus de succès que les proclamations et les mesures populaires que le prince d'Orange publiait journe.lement de son quartier général d'Anvers. Il choisissait des conseillers et des fonctionnaires qui ne tenaient aucun compte de son choix. Il avait essayé d'entrer en négociation avec le gouvernement provisoire, qui renvoyait dédaigneusement ses propositions au congrès général; il ordonnait la séparation des troupes belges et hollandaises qui s'opérait par des défections journalières; il faisait des instructions et des circulaires pour l'élection des députés des provinces où l'on ne portait que ses ennemis : rôle singulier, dont il se lassa bientôt.

18 octobre. Le moment vint que cessa toute dissimulation sur cette grande querelle; l'ouverture de la session législative du royaume des Pays-Bas, qui eut lieu à l'époque ordinaire, révéla des vérités et des ressentimens qui ne pouvaient plus se contraindre. Il ne s'y trouvait cette fois que des députés hollandais.

• Les révolutions sont belles et nobles quand elles se font au profit de la liberté, de la civilisation et du bon ordre. Ces mêmes révolutions seraient des calamités épouvantables, si par une progression fatale elles amenaient à leur snite la ruine du commerce et de l'industrie, la suspension de toutes les affaires et de tous les liens sociaux, si la guerre civile et l'anarchie devaient être le dernier résultat des commotions populaires, et si un régime de terreur devait s'organiser au nom de la liberté..

Le roi commençait son discours d'ouverture par annoncer que, malgré les dispositions bienveillantes qu'il avait prises pour opérer une conciliation dans les affaires de la Belgique, son attente avait été trompée; que les passions impétueuses d'une multitude aveugle et animée avaient excité une violente rébellion malgré les efforts de l'armée pour seconder les espérances des hommes bien intentionnés. Dans ces événemens déplorables, S. M. avait eu à se féliciter du zèle et de l'enthousiasme que ses sujets hollandais avaient mis à répondre à son appel aux armes, et de la bravoure que ses soldats avaient montrée. Elle ne désespérait pas encore du succès des mesures qu'elle avait prises pour effectuer la séparation des provinces du nord et du midi, sans les détacher de la couronne. Elle attendait avec calme le résultat de ces mesures et celui des délibérations des hautes puissances, ses alliées, sur les événemens de la Belgique, bien assurée qu'elle pourrait toujours compter sur le concours des états, sur celui des provinces du nord ainsi que sur l'appui de ses alliés, pour maintenir a le système politique de l'Europe. »

Peu de jours après, les dernières espérances de conciliation avaient disparu. Le prince d'Orange, à l'approche de l'armée belge qui menaçait Anvers au bruit du canon de la guerre civile, avait inutilement demandé un armistice, que le gouvernement provisoire ne voulait accorder qu'à condition d'évacuer la province d'Anvers, les villes de Maëstricht et Venloo, et de se retirer au-delà du Moërdyk... Le roi, considérant que la reconnaissance du pouvoir légal avait entièrement cessé dans les provinces méridionales, jugea convenable de révoquer la mission et les pouvoirs qu'il avait donnés à son fils (arrêté du 20 oct.), annonçant aux états-généranx que, dans cet état de choses, leurs soins devaient dorénavant se fixer sans partage sur les fidèles provinces du nord, dont LL. NN. PP. devaient se considérer dès actuellement comme les représentans, en attendant ce qui a serait jugé d'accord avec les « alliés de S. M. (1), concernant les provinces méridionales; » mes

(1) Le congrès de Londres allait ouvrir ses conferences le 4 novembre.

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