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qu'il regardait comme un acte humiliant, et il en profita pour se rendre plus odieux qu'il n'était déjà à ses sujets. L'exemple et la chute de deux dynasties royales furent des leçons impuissantes. Il se flattait de conjurer l'orage qui grondait sur sa tête, ou d'en profiter pour affermir et augmenter son pouvoir.

Le 6 septembre, il avait fait braquer quelques pièces de canon dans différentes parties de la capitale; cette mesure acheva d'exaspérer des sujets déjà si mécontens. Dans la soirée même, à la sortie du théâtre, il se vit entouré d'un peuple irrité qui s'était assemblé pour l'attendre, et il n'échappa à sa fureur que par la vitesse de ses chevaux. Mais la multitude plus animée le suivit, et arriva bientôt en foule devant le palais. Le duc effrayé lui ayant fait alors demander par l'officier commandant ce qu'elle voulait : C'était, répondit-on, que les pièces de canon braquées sur la ville fussent enlevées ; que les états, institués sous la tutelle du roi d'Angleterre, fussent reconnus; que le duc restât dans son duché, au lieu d'aller courir le monde, pour échapper aux sentences de la diète, et qu'il n'allât point ainsi prodiguer à l'étranger l'argent du pays. Sur l'assurance donnée que le prince acquiescerait à ces demandes, la foule se dispersa.

Le lendemain matin (7 septembre), la magistrature de la ville, alarmée de l'état des choses, fit assembler les citoyens qui formaient des députations pour aviser aux moyens d'obtenir sans troubles nouveaux l'exécution des promesses faites. Mais le duc, qui avait repris confiance, était résolu de répondre avec du canon. Les bourgeois, alarmés de la lutte sanglante qui ne pouvait manquer d'avoir lieu entre la populace et les soldats, demandaient à prendre les armes et à se joindre à ceux-ci pour maintenir l'ordre public. Mais le duc n'y voulait consentir qu'à la condition que les bourgeois ne seraient armés que de piques et de sabres, et qu'ils ne s'approcheraient pas du palais.

Cependant la populace devenait de moment en moment plus menaçante, et le duc en reprit de l'effroi. Informé par l'officier, commandant ses troupes, qu'il ne pouvait plus compter sur elles, il envoya demander aux magistrats de prendre des mesures pour

la défense de son palais. Mais il était trop tard : il s'e ait opposé à ce que les bourgeois eussent des armes à feu; ils s'étaient armés de ce qui leur était tombé sous la main; mais ils ne purent tenir devant cette multitude. Les troupes rangées en avant et entre les deux ailes du palais étaient d'environ huit cents fantassins et centvingt cavaliers, avec plusieurs pièces de canon. Mais, comme le commandant l'avait prévu, elles refusèrent de faire feu. La foule commença par briser les fenêtres des ailes, et pénétra bientôt dans l'intérieur du palais, d'où le duc n'eut que le temps de s'échapper pour sauver sa vie. Un peloton de hussards postés sur les derrières le reçut dans ses rangs et l'escorta jusqu'à la frontière, d'où le prince les congédia. Cependant le peuple avait mis le feu au château du côté par où il avait pénétré, mais le vent donnant du côté opposé, il eut le temps de le piller et de briser ou jeter par les fenêtres tout ce qu'il ne pouvait enlever. La troupe s'étant retirée, il arriva une foule de curieux qui vinrent pareillement regarder cette scène de destruction, le pillage et les progrès du feu qui dura quarantehait heures, et réduisit le palais en cendres, sans qu'on fît le moin dre effort pour l'arrêter. Dès qu'on apprit le départ du duc, les bourgeois et les militaires prirent de concert la garde de la ville. L'ordre y fut immédiatement rétabli; et nul autre que le prince n'eut à souffrir pour sa personne ou sa propriété. Le prince Guillaume, frère puîné du duc, qui se trouvait au château de Richmond, s'étant immédiatement rendu à Brunswick, prit sans opposition la direction des affaires publiques.

Quant au duc, qui s'était sauvé d'abord à Londres, où le nouveau monarque (Guillaume IV) refusa de le recevoir, il envoya à son frère une commission bien inutile alors, qui l'autorisait à prendre la régence. Les états s'assemblèrent et votèrent au prince Guillaume une adresse dans laquelle, après lui avoir exposé les calamités occasionées par la folle et atroce conduite de son frère, ils demandaient comme une nécessité des circonstances qu'il fût pris des arrangemens qui l'empêchassent de reparaître jamais au milieu des Brunswickois comme leur souverain. Le prince les assura, dans sa réponse, qu'ils pouvaient compter sur la franchise et le zèle qu'il

mettrait à concourir avec les états à toutes les mesures constitutionnelles nécessaires pour rétablir et assurer la prospérité du pays; qu'il s'emploierait lui-même, en négociant avec son frère, pour atteindre au but de leurs désirs; que si, contre son attente, ses efforts étaient trompés, il ne pouvait s'engager à prendre de luimême les résolutions en question; mais qu'il ne s'opposerait pas à ce que les états demandassent l'intervention du roi de la GrandeBretagne et d'Hanovre, et il ne doutait pas que leurs vœux ne fussent écoutés par ce sage et généreux monarque.

Quant aux négociations entamées par le duc, elles furent bientôt rompues : il se montrait intraitable.

Retourné en Allemagne du côté de Fulde, il fit demander une entrevue à son frère, qui la refusa non sans raison. Il dépêcha ensuite un officier démissionnaire du service de Bavière chargé de proclamations, à l'effet de prendre le gouvernement du duché qu'il déclarait retirer à son frère; mais le prétendu gouverneur eut à peine mis le pied sur le territoire de Brunswick qu'il fut arrêté; et comme l'existence d'un gouvernement légal était indispensable, le prince Guillaume continua de le garder du consentement des cours de Londres, de Berlin et de Vienne. Une proclamation apprit au peuple que, sur les instances réitérées du roi d'Angleterre et de Hanovre, il avait gardé la régence, qu'il avait été prié de ne pas abandonner dans de pareilles circonstances jusqu'à ce que S. M. eût pris un arrangement relatif aux affaires du duché.

SAXE-ROYALE.

La Saxe, que la diète germanique chargeait naguère de faire exécuter ses arrêts contre le rebelle duc de Brunswick, allait être elleméme un théâtre de commotions populaires. Les états assemblés depuis plusieurs mois n'offraient que l'ombre d'une représentation nationale, un instrument utile au gouvernement pour faire voter les propositions qu'il voulait couvrir d'un vernis de popularité; mais quoique cette institution fût loin de répondre à l'esprit du siècle, aux besoins politiques du temps, il en était sorti des vues

utiles et des représentations énergiques. On y avait hautement réclamé le droit de voter les impôts, de contrôler les dépenses et de signaler une foule d'anciens abus. La réponse du gouvernement à ces réclamations avait été négative sur tous les points. Il avait surtout repoussé la demande du budget, sous prétexte que les états ne seraient pas à même de porter un jugement convenable sur les dépenses indispensables, sans se mettre en rapport avec divers fonctionnaires publics, rapports qui relâcheraient les liens de la subordination ou de la hiérarchie administrative. Le roi lui-même, à qui l'on avait porté des représentations, paraissait peu disposé à faire des concessions... D'ailleurs quoiqu'on rendît justice aux qualités personnelles du souverain, vieillard de 75 ans, que son âgé et sa piété rendaient antipathique à l'esprit du siècle, sa position comme zélé catholique, au milieu d'un peuple fervent luthérien, était difficile; la grande influence dont les jésuites jouissaient à sa cour, les traitemens énormes des prêtres, le monopole du pouvoir et des places exercé presque exclusivement au profit des catholiques, entretenaient une fermentation sourde et des méconten-, temens qui s'étaient déjà manifestés à l'occasion de la fète jubilaire (le 25 juin) de la confession d'Augsbourg, d'une manière assez. grave pour exiger l'intervention de la force armée. Les révolutions de Paris et de Bruxelles qu'on apprit bientôt, la facilité avec laquelle était tombée la puissance militaire devant le courage du peuple, était d'un exemple séduisant pour ceux qui se croyaient blessés dans leurs droits; et la Saxe y1 céda.

Des troubles éclatèrent à Leipsick dès le 2 septembre, sous prétexte de s'opposer à l'exécution de quelques mesures de police jugées trop rigoureuses. La populace attaqua la maison du chef de la police. Leipsick n'étant pas une ville de garnison, on fit venir quelques troupes du voisinage; mais elles étaient en trop petit nombre pour faire tète à cette multitude furieuse qui commença par démolir et saccager toutes les maisons des personnes qu'on supposait tenir à la police. Ensuite les ouvriers imprimeurs dirigèrent leur furie contre l'établissement du célèbre imprimeur et libraire Brockhaus, parce qu'il employait une machine à vapeur

pour quelques-unes de ses presses, et il ne put sauver ce bel établissement qu'en promettant aux mutins qu'il n'en ferait plus usage. Enfin les habitans, forcés de prendre les armes pour la défense de leurs propriétés, s'organisèrent eux-mêmes en garde bourgeoise, en administration municipale, et le corps entier des étudians se joignit à eux. On réussit à rétablir un peu de tranquillité après trois jours de confusion, de désordres et d'alarmes... Mais ce n'était que le prélude des scènes de Dresde.

Ici, depuis qu'on y avait connaissance des événemens politiques de Paris, les couleurs françaises étaient étalées dans tous les magasins; la jeunesse les portait en cravates et en écharpes. On chantait aux théâtres et dans les lieux publics la Marseillaise et la Parisienne, aux oreilles et sous les yeux de la police qui n'osait s'y opposer. Dans la nuit du 9 au 1o, après qu'on eut bien excité le peuple par des chants de liberté, il se forma en dehors des barrières des rassemblemens composés de la dernière classe, qui rentrèrent tumultueusement dans la ville en brisant les réverbères et saccageant les bureaux de douanes et de police, aux cris de vive la liberté! à bas la police!... Ils arrivèrent ainsi jusqu'à l'Hôtel-de-Ville, dont ils jetèrent par les fenêtres ou livrèrent aux flammes les meubles et les papiers. Quelques compagnies de chasseurs voulurent charger; le sang coula des deux côtés; mais l'artillerie refusa son service. Heureusement encore ici un grand nombre de bourgeois se joignirent aux troupes et purent ainsi mettre un terme ou imposer de certaines formes à l'insurrection.

Cependant, à la première nouvelle de ces désordres, le prince Frédérick, neveu du roi, héritier du trône, et chéri du peuple comme partisan des réformes réclamées par la majorité des Saxons, était accouru de la campagne; il avait été conduit par des acclamations unanimes jusqu'au palais, où le roi, qui était à Pilnitz, devait, disait-on, arriver bientôt lui-même. Déjà la réunion des bourgeois en armes, avec la troupe, était une garantie du retour à l'ordre. Mais il circulait dans la ville une liste de griefs contre l'autorité, et leur redressement servait de prétexte et d'aliment à l'agitation

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