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A ces griefs, dont toutes les nations chrétiennes pouvaient demander vengeance ou réparation, se joignait pour la France une querelle dont l'origine remonte à des fournitures de grains faites. par des sujets algériens, depuis 1793 jusqu'en 1798, pour la subsistance des départemens du midi de la France ou de l'arinée française en Italie. Cette créance, où le dey d'Alger était personnellement intéressé, avait donné lieu à mille difficultés sur le prix des fournitures faites, à raison du discrédit des assignats. D'ailleurs, l'expédition d'Égypte, la rupture qui s'ensuivit avec la Turquie, et, par suite, avec les Barbaresques, les guerres continuelles que la république et l'empire eurent à soutenir, firent ajourner la liquidation et le remboursement de cette dette pendant près de vingt ans, et la France y avait perdu les petits établissemens et le privilége de la pêche du corail qu'elle possédait sur les côtes d'Afrique.

La négociation, reprise quelque temps après la restauration, amena enfin une convention signée à Paris le 28 octobre 1819, qui fixait à sept millions de francs la créance algérienne réclamée au nom de deux juifs sujets du dey (Jacob Coen Backri et Michel Busnachi), dont le paiement devait être opéré par douzièmes, à compter du 1er mars 1820, sauf réserve des droits des sujets français qui se trouveraient avoir eux-mêmes des réclamations à faire valoir contre les Algériens. Au moyen de cet arrangement, la France devait rentrer dans les établissemens et priviléges dont elle avait joui précédemment, ce qu'elle n'obtint néanmoins qu'en portant à 200,000 fr. une redevance annuelle, originairement de 17,000 fr.

Cette convention semblait mettre fin à la querelle. Mais l'article des réserves amena de nouvelles difficultés. Des négocians français de Marseille, créanciers des sujets algériens, firent opposition au paiement en question, et adressèrent aux deux Chambres (dans la session de 1820) des pétitions par lesquelles ils réclamaient contre la délivrance des fonds destinés au remboursement de la créance algérienne jusqu'à reconnaissance de leurs titres, pétitions vivement appuyées par les orateurs de l'opposition, sur la proposition desquels il fut introduit dans la loi du 14 juillet, relative à l'exécution

de la convention du 28 octobre, une clause spéciale en faveur des créanciers français.

En résultat, les réclamations de ceux-ci s'élevant à 2,500,000 fr., le trésor royal paya aux Juifs algériens, Backri et Busnachi, 4,500,000 fr. qui restaient sur le total reconnu de la dette, et il versa l'autre partie, les 2,500,000 fr. réclamés, à la caisse des dépôts et consignations.

Cependant le dey d'Alger (Husseyn, successeur d'Ali Khodgea en 1818), qui ne s'était pas attendu à des réclamations si considérables, et qui voyait le trésor algérien privé de la part qu'il devait avoir dans la créance par la disparition des Juifs Backri et Busnachi qui s'étaient retirés à Livourne, réclamait plus vivement que jamais le paiement des 2,500,000 fr. retenus par la France; il se plaignait amèrement du consul général (M. Deval), qu'il accusait des retards et des obstacles apportés à la remise des fonds et à la reconnaissance de la validité des réclamations, dont lui (dey d'Alger) prétendait d'ailleurs être le seul arbitre.

Au fond, les plaintes et la mauvaise humeur du dey contre le consul général de France n'étaient pas sans quelque fondement (1). L'historien impartial est forcé de le reconnaître; mais il y joignit des outrages que la dignité d'un souverain, que l'honneur nationak ne pouvaient pas laisser impunis.

Ainsi M. Deval s'étant présenté (27 avril 1827) pour le complimenter, suivant l'usage, à l'occasion des fêtes du Beyram, HusseynPacha lui avait demandé s'il avait une réponse de son gouvernement aux réclamations qu'il ne cessait de faire; et sur la réponse négative du consul, il l'avait accablé d'injures et frappé d'un coup d'éventail ou chasse-mouche au visage, en lui ordonnant de sortir de sa présence.

(1) D'après ce que M. Shaler, consul général des États-Unis près de la régence d'Alger, dit dans un ouvrage publié en 1825 ; « La politique suivie par la France depuis 1815 relativement à la régence d'Alger avait un tel caractère de faiblesse, et était conduite d'une manière si scandalense, qu'elle ne pouvait inspirer ancun iutérêt, et encore moins de la confiance»: opinion que semble adopter M. le baron Juchereau de Saint-Denis, dans son ouvrage inti tulé: Considérations sur la régence d'Alger,

Ann, hist.

pour 1830,

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Une insulte si grossière, faite en présence des consuls étrangers, exigeait une réparation éclatante. Elle fut immédiatement demandée, mais inutilement, de même que celle des avanies faites au pavillon pontifical que le roi de France avait pris sous sa protection. Le consul eut ordre de cesser tout rapport officiel avec la régence, et s'embarqua, quelque temps après (11 juin 1827) sur des bâtimens envoyés pour le prendre avec tous les Français établis à Alger ; et le dey, loin de faire aucune démarche conciliatrice pour les retenir, envoya l'ordre aussitôt après d'arrêter tous les Français qui se trouvaient encore dans la régence, et de détruire de fond en comble les établissemens appartenant à la France, actes d'hostilité qui furent suivis d'une déclaration de guerre (15 juin 1827), à laquelle le gouvernement français répondit en envoyant une escadre devant Alger, sous les ordres du contre-amiral Collet, pour y établir d'abord un blocus rigoureux.

On espérait que ce blocus, en restreignant le commerce ou les pirateries d'Alger, y exciterait des mécontentemens ou même un mouvement populaire, qui forceraient le dey à donner quelque satisfaction dont le ministère français se serait aisément contenté; mais Husseyn-Pacha, retiré dans son fort de la Casaubah qui domine Alger, avait considérablement augmenté sa garde personnelle, commandée par son gendre Ibrahim-Aga, et mis sa capitale à l'abri dé toute attaque maritime par les travaux ajoutés depuis 1816 à la défense du port. Ainsi le blocus entretenu durant trois années fut moins nuisible aux Algériens qu'à la France, à laquelle il coûta plus de vingt millions, plusieurs bâtimens perdus sur ces parages où ils n'avaient aucun abri, un grand nombre de marins, et entre autres le brave commandant de cette escadre, le contre-amiral Collet, qui succomba aux fatigues d'un blocus difficile et dangereux.

L'insuffisance de ce moyen reconnue, le gouvernement français se trouvait réduit à l'alternative, ou de s'humilier devant un chef de pirates qui refusait obstinément toute réparation, ou de l'obte nir par des moyens plus efficaces. Le ministère de 1829 y était décidé, des troupes étaient déjà réunies à cet effet dans le midi; mais, avant d'entreprendre une expédition si considérable, il avait

tenté un dernier effort de conciliation, et le capitaine de La Bretonnière fut chargé d'aller porter au dey d'Alger des paroles de paix, à des conditions modérées et honorables pour les deux parties. Ou a dit le résultat de cette négociation (1). M. de La Bretonnière employa inutilement, dans une dernière audience tenue en présence du divan (2 août 1829), tous les moyens de persuasion pour amener Husseyn-Pacha aux satisfactions qu'il était chargé de lui demander, et surtout la délivrance des prisonniers français, en déclarant que désormais le roi de France, après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, emploierait les forces que le ToutPuissant avait mises entre ses mains pour défendre ses droits et la dignité de sa couronne.

« J'ai de la poudre et des canons, avait répliqué Husseyn-Pacha, et puisqu'il n'y a pas moyen de s'entendre, vous êtes libre de « vous retirer. Vous êtes venu sous le sauf-conduit (aman-itle), je vous permets de sortir sous la même garantie (2). »

Le lendemain, comme le vaisseau la Provence sortait de la baie, couvert du pavillon parlementaire, forcé par le vent de passer sous les batteries de la ville et à portée du canon, il fut assailli d'une canonnade à boulets qui dura plus d'une demi-heure, jusqu'à ce que le vaisseau fût hors de portée, sans qu'aucun homme en fût atteint, mais non sans dommage pour le bâtiment.

Après cette violation atroce du droit des gens, dont le dey ne donna qu'une réparation insuffisante en destituant son ministre de la marine et le commandant des batteries, une guerre plus efficace que le blocus devenait inévitable. Le ministère Polignac venait d'arriver au pouvoir, et déjà les feuilles de l'opposition lui reprochaient amèrement l'injure faite au pavillon français, s'indignaient de sa patience à la souffrir, et provoquaient une expédition dont elles ont ensuite contesté la justice et l'opportunité.

On en délibéra dans le conseil. Mais il se passa plusieurs mois sans

(1) Voy. l' Ann, histor. p. 1829, p. 283.

(2) Relation publiée par M. X. Bianchi, secrétaire interprète du Roi pour les affaires étrangères, adjoint à la mission de M. de La Bretonnière.

qu'il parût avoir pris de résolution à cet égard, tout occupé qu'il était des embarras, des difficultés, des préventions qu'il avait à surmonter dans l'intérieur. Le ministre de la guerre, M. de Bourmont, avait donné la première idée de cette expédition dont le résultat infaillible à ses yeux était de venger l'honneur de la France de détruire une association barbare élevée et entretenue, à la honte des puissances chrétiennes, par des brigandages et des attentats impunément renouvelés depuis trois siècles; de porter la liberté, les lumières et les bienfaits de la civilisation dans cette contrée jadis si florissante et d'ouvrir une vaste colonie à l'exubérance d'une population dont l'industrie cherchait inutilement des débouchés, intentions plausibles auxquelles se joignaient sans doute des espérances moins généreuses.

Cependant la grandeur des moyens à déployer, les difficultés et les dépenses de l'entreprise, exagérées par les militaires ou les marins qui furent d'abord consultés, avaient arrêté la détermination du Conseil. Le ministre de la guerre scul (on en devine déjà les motifs) paraît avoir lutté long-temps contre la répuguance du monarque, l'opposition du dauphin et la timidité de ses collègues, qui ne voyaient dans cette entreprise qu'un embarras de plus au moment où ils allaient se trouver en présence d'une Chambre décidée d'avance à repousser toutes les propositions du gouvernement. Cependant l'opiniâtreté de M. de Bourmont finit par l'emporter (1).

Cette résolution prise, on consulta de nouveau quelques marins habiles pour avoir leur avis sur les moyens d'exécution; l'opinion de M. le vice-amiral Duperré prévoyait encore tant d'obsta

(1) Un des ouvrages publiés sur l'expédition d'Alger (Anecdotes historiquées et politiques pour servir à l'Histoire de la conquête d'Alger en 1830; par J. T. MERLE, Secrétaire de M. le comte de Bourmont, commandant en chef l'expédition d'Afrique) donne à ce sujet des renseignemens curieux, et dont la certitude nous est garantie par la position de l'auteur, et par l'intérêt personnel que M. de Bourmont devait prendre au succès de l'expédition. M. Merle n'hésite pas à lui' attribuer tout l'honneur de la première idée, comme de J'exécution.

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