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adresse à laquelle S. M. répondit par des politesses royales, mais sans fixer l'époque du couronnement.

RUSSIE.

Le gouvernement russe sorti d'une guerre dont la première campagne semblait avoir épuisé ses ressources et ne permettait pas d'espérer les résultats glorieux et utiles de la seconde, c'est-à-dire le traité d'Andrinople, s'occupait, comme un négociant qui établit ses comptes à l'issue d'une grande opération, de faire dans toutes les provinces un nouveau recensement. Il a été reconnu que la population générale de l'empire s'élevait à plus de cinquante-un millions d'âmes (1), sur laquelle on comptait 17,555,089 paysans libres, 18,771,812 individus payant la capitation, et 747,557 assujettis au service militaire.

Les revenus de l'État, bien qu'il n'y ait pas eu à cet égard de publication officielle, peuvent aujourd'hui être estimés à 100,000,000 de roubles (environ 400,000,000 fr, (2), revenus qui

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seraient encore insuffisans pour les divers services d'un si vaste État, si la plupart de ces services n'étaient encore acquittés on rétribués par des moyens que la servitude tient à la disposition du despotisme.

Il arriva au commencement de février, à Pétersbourg, deux envoyés de la Porte ottomane, personnages des plus distingués de l'empire (Mohammed-Halil-Riphat pacha et Suleiman NedjibEffendi), chargés de présenter à l'empereur Nicolas les assurances pacifiques et amicales du sultan, mais dont la mission secrète avait pour objet de négocier un adoucissement aux clauses rigoureuses du traité d'Andrinople. La Porte espérait de la modération et de la générosité de l'empereur, qu'il renoncerait à certaines stipulations qui blessaient plus particulièrement l'orgueil ou les intérêts ottomans. Ainsi elle réclamait contre la cession des districts et des forteresses cédées en Asie, contre la démolition des fortifications de Giurgewo, contre les priviléges accordés aux sujets de la Russie pour la navigation du Bosphore, contre les indemnités stipulées en faveur du commerce russe et surtout contre celle des frais de guerre, dont l'acquittement aux époques convenues était impossible, attendu que le trésor ottoman était épuisé par l'immensité des dépenses faites depuis six ans, et que le grand seigneur ne pouvait demander de nouveaux impôts à ses sujets sans compromettre la paix et la sûreté de ses provinces.

Ces députés furent accueillis avec toutes sortes d'honneurs et de distinctions dans leur voyage et à leur arrivée à Pétersbourg. L'empereur et l'impératrice leur donnèrent des audiences solennelles. Ils offrirent et reçurent des présens magnifiques; ils assistèrent à toutes les fêtes de la cour, et furent même décorés, à leur audience de congé (12 mai), de l'ordre de l'Aigle blanc de Pologne. On a même assuré qu'ils avaient obtenu une remise considérable (300,000 ducats) sur la contribution de guerre. On peut croire, en effet, que l'empereur s'était relâché de la rigueur des clauses. du traité d'Andrinople, puisque le quartier général de l'armée russe de Romélie quittait alors (6 mai) Burgas, sans que le second terme de la contribution eût été acquitté.

POLOGNE.

En même temps que l'ambassade ottomane reprenait la route de Constantinople, l'empereur Nicolas partait pour aller ouvrir la diète de Pologne, qu'après cinq ans d'attente, il avait convoquée pour le 28 mai. L'ordonnance rendue à cet effet, le 6 avril, est remarquable par le style impérieux dans lequel il semble annoncer aux Polonais que la durée de leur constitution tient au bon usage qu'ils feront des bienfaits de l'immortel restaurateur de leur ⚫ patrie.

« Vous avez appris par les trois diètes, leur dit S. M., quel doit «ètre le but de vos efforts, et ce que vous devez éviter. L'expérience « vous a montré les avantages des délibérations calmes et trau«quilles, de même que les suites préjudiciables des dissensions. « Cette expérience ne sera sûrement pas sans fruit pour vous. »

Le 20 mai, l'empereur, arrivé à Varsovie, où sa présence excita moins de joie que d'inquiétudes, préluda à l'ouverture de la diète par des parades, des revues et des manoeuvres, où l'armée polonaise, commandée par le czarevitsch Constantin, se montra digne de sa renommée militaire, et même dévouée au souverain qu'elle devait bientôt combattre.

Au jour marqué pour l'ouverture de la diète, le 28 mai, après le service divin, où assistèrent les ministres, le Conseil d'État et les membres des deux Chambres, tous étant rassemblés dans la salle du sénat, l'empereur-roi s'y rendit entouré d'un pompeux cortège, et prononca du haut du trône, en langue française, le discours. d'ouverture de la diète, qui fut lu ensuite par le ministre secrétaire d'État en langue polonaise.

Il commençait par s'excuser du retard mis à la convocation de la diète, et de ce qu'il n'avait pas appelé l'armée polonaise à prendre une part active aux deux dernières guerres (de Perse et de Turquie) que l'armée russe avait glorieusement terminées. Il annonçait ensuite les améliorations faites ou méditées dans l'administration du pays, et les projets de loi qui devaient être soumis à la délibération de la diète; et finissait par invoquer le calme et

l'union, en rappelant aux représentans du peuple que «c'était à eux « maintenant à affermir l'ouvrage du restaurateur de leur patrie, en « usant avec sagesse et modération des droits qu'il leur avait ac« cordés. >>

Le lendemain, le ministre de l'intérieur (comte de Mostowski) fit sur l'état du royaume un rapport dans lequel, répondant aux reproches qu'on faisait au gouvernement de favoriser exclusivement le rit grec, et d'étouffer l'instruction primaire, il exposait ce qui avait été fait pour la population catholique du royaume, qu'il évaluait à trois millions quatre cent soixante-onze mille deux cent quatre-vingt-deux individus, et pour le clergé, dont les revenus annuels s'élevaient à 4,000,000 de francs, Quant à l'instruction primaire, dont il sentait toute l'importance, le ministre assurait qu'on avait augmenté et amélioré les écoles, au point d'y procurer annuellement le bienfait d'une instruction suffisante à environ vingt-huit mille quatre cents enfans.

́« S'il est vrai, disait S. Exc., que l'extension irrégulière des « connaissances, en augmentant la sûreté des personnes, tend à « diminuer celles des propriétés, par les nouveaux désirs qu'elle excite, le moyen le plus simple d'écarter l'appât des jouissances «< illicites se trouverait en facilitant surtout pour chaque état l'in«struction limitée qui lui convient et qui y attachera davantage.»

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La courte durée de la session, bornée à un mois, ne permettait pas de longues discussions; néanmoins, la plupart des projets présentés par le gouvernement n'y passèrent qu'avec des modifications importantes, dont l'empereur reconnut lui-même la sagesse. Un seul, spécialement annoncé dans le discours de la couronne, qui avait pour objet de rendre le divorce ou la dissolution du mariage plus difficile, fut rejeté par la Chambre des députés, à une forte majorité (de quatre-vingt-treize voix contre vingt-deux), au grand déplaisir du ministère et de l'empereur lui-même, qui s'en exprime avec quelque amertume dans son discours de clôture (du 28 juin), En total, cette session, où les membres les plus influens de la diète s'étaient imposé beaucoup de réserve et de modération, dans la crainte de compromettre les institutions qu'ils étaient menacés de

perdre, offrit peu de mouvement et d'intérêt. Mais, au travers des ménagemens qu'on gardait pour une autorité ombrageuse, il s'échappa pourtant des plaintes vagues contre les violations de la loi fondamentale, des voeux pour le renvoi du ministère, et pour la réunion de la Lithuanie. L'empereur, qui avait assisté à plusieurs séances, ne s'en montra point offensé : il promit, en partant pour Pétersbourg, de faire droit aux propositions dont il reconnaî trait la sagesse et l'utilité; mais d'autres affaires occupèrent sa pensée,

Bientôt arriva la nouvelle de la révolution de juillet, que l'empereur Nicolas apprit avec un déplaisir marqué, malgré les ménagemens que son ambassadeur (M. le comte Pozzo di Borgo) mettait dans les rapports qu'il en fit à son maître. Quoique l'union politique des deux cabinets fût moins intime que sous le ministère La Ferronnays, les relations personnelles de M. le duc de Mortemart entretenaient une liaison fondée d'ailleurs sur des intérêts réciproques. Ainsi le cabinet russe avait reçu les communications relatives à l'expédition d'Alger avec une confiance et une satisfaction sans réserve; il avait même témoigné le désir d'y coopérer avec une flotte considérable, si la France jugeait son concours utile. Il désirait comme elle l'abolition de la piraterie, et l'affranchissement de la navigation dans la Méditerranée. La Russie devait être appelée à profiter des premiers bienfaits de la victoire, de la conquête ou même d'une grande colonisation européenne sur ces côtes inhospitalières ; et on peut croire que son assentiment, hautement manifesté, imposa silence ou réserve à la jalousie d'une autre puissance. Mais la révolution de juillet devait faire disparaître toute idée de rapprochement dans l'esprit d'un prince menacé par une révolte en arrivant au trône, et inquiété par les mécontentemens de la Pologne. Aussi, à la première nouvelle qu'il en reçut, ordonna-t-il une levée de recrues, sous prétexte des vides que la guerre et les maladies avaient faites dans l'armée (manifeste du mois d'août). Le soulèvement de la Belgique aggrava encore ces dispositions manifestement contraires à la France. Les affections de famille étaient blessées autant que les intérêts politiques dans cette révolution

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