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nouvelle. Le général Athalin, envoyé pour notifier l'avénement du roi Philippe, fut reçu froidement de l'empereur, et plus mal encore de sa cour. La réponse qu'il obtint était une reconnaissance de nécessité, reconnaissance d'un fait qui, dans la pensée du cabinet russe, n'emportait aucune adhésion au principe auquel le gouvernement actuel de la France devait son origine. On y regardait comme à jamais déplorables les événemens qui avaient placé le roi Louis-Philippe dans une cruelle alternative. On recevait avec satisfaction le désir qu'il exprimait d'entretenir des relations de paix et d'amitié avec tous les États européens. On ne doutait point de ses intentions pacifiques, mais on se défiait de la faiblesse de ces moyens contre la turbulence des factions. D'ailleurs, comme ces relations devaient être fondées sur les traités existans, on y faisait entendre que la paix ne pouvait être garantie que par la ferme volonté de maintenir les droits reconnus, et les obligations fondées sur ces traités, réserves relatives aux affaires de la Belgique, qui venaient compliquer celles du cabinet français...

De là cette défiance et ces embarras réciproques, universels, ces négociations hostiles, ces armées l'arme au bras, n'attendant qu'un signal pour se heurter, et cet état de paix plus ruineux que la guerre, et les alarmes générales de l'Europe.

La Russie, dont les notes et les courriers diplomatiques poussaient l'Autriche et la Prusse à la conclusion d'une sainte-alliance nouvelle, paraissait décidée à prendre l'initiative de la guerre, lorsqu'elle fut elle-même arrêtée par deux fléaux qui suspendirent ou dérangèrent l'exécution de ses desseins.

Le premier était le choléra-morbus, qu'on croyait endémique au climat de l'Inde, et qui a fait en quelques années irruption dans les contrées de l'Europe les plus renommées pour la salubrité du climat et la douceur de la température. Il s'était montré, pendant l'automne de 1825, dans quelques parties de la Perse. Mais on espérait avoir été débarrassé de cette maladie par la rigueur de l'hiver suivant; lorsqu'au commencement du printemps de 1830, el'e se déclara de nouveau à Tauris et dans la province du Ghilau, d'où, côtoyant la côte occidentale de la mer Caspienne, elle se

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prolongea le long du Kour jusqu'à Tiflis, où elle parut au mois d'août. Elle y fit des progrès rapides par la pauvreté des habitans, qui se nourrissaient de mauvais alimens, par la chaleur du climat, par la situation défavorable de la ville, assise entre le fleuve et deux chaînes de montagnes resserrées, et par le petit nombre et l'inexpérience des médecins, qui succombèrent presque tous aux premières atteintes de l'épidémie. La terreur qui s'empara bientôt de la multitude fut telle, que les bazars, les caravansérails et tous les lieux publics furent abandonnés. Les malheureux qui mouraient sans secours étaient jetés dans des fosses communes tout habillés, dans l'état où la maladie les avait pris. En moins de quelques jours enfin, la population, qui était de trente mille âmes, y fut réduite, par l'émigration, à moins d'un tiers; et en un mois il en périt plus de cinq mille, tant dans la ville que dans les campagnes voisines.

De ces provinces, le fléau passa le Caucase, ou s'étendit par la mer Caspienne, suivit les bords du Volga, ravagea Saratov, Simbirk, Nisni - Nowogorod, et parut dès la fin de septembre à Moscou.

Ici, comme en Perse, et dans les autres pays qu'elle a parcourus, la maladie se manifestait par les mêmes symptômes, la diarrhée, les vomissemens, les crampes et les refroidissemens. Eile attaquait d'abord et avec plus de violence les pauvres, les vieillards, les débauchés, qu'elle emportait en peu de jours, et souvent en quelques heures. Les premiers médecins la traitaient par les remèdes employés dans l'Inde, les infusions calmantes, les frictions, les purgatifs, rarement la saignée, et la diversité des accidens et des guérisons n'a fait alors, comme depuis, que prouver l'incertitude de l'art et des remèdes.

Comme on ne mettait pas en doute que l'épidémie ne fût contagieuse, on établissait partout, du côté des pays infectés, des quarantaiues et des cordons sanitaires, précautions plus nuisibles et plus dangereuses que le mal. La police de Moscou, déjà éclairée par les terribles effets du mal et des remèdes, prit des mesures sanitaires mieux conçues. L'empereur s'y transportą au commen

cement du mois d'octobre, y resta quelques jours, et n'en partit qu'après s'être assuré de l'efficacité des mesures, et y avoir laissé des secours abondans pour la classe indigente.

En résultat, sur une population de 300,000 individus, il y èut dans le mois d'octobre environ 4,000 malades dont plus de 2,000 ont succombé; mais la maladie a toujours été s'affaiblissant jusqu'à la fin de décembre où elle a tout-à-fait disparu, après avoir fait 3 à 4 mille victimes... D'autres provinces et d'autres villes ont été frappées quelquefois à de grandes distances, mais le fléau n'a sévi cette année nulle part avec plus de fureur que dans les armées ou dans leur voisinage. C'est à cette première cause qu'on a attribué la suspension de la guerre dont la Russie semblait menacer la France. Il s'y en joignit bientôt une autre moins douteuse, l'insurrection de Pologne.

INSURRECTION DE POLOGNE.

Ce grand projet fermentait depuis trois mois dans les sociétés secrètes qui avaient échappé à la vigilance, ou à la sévérité de la police. L'octroi d'une charte libérale, par l'empereur Alexandre, n'était depuis long-temps aux yeux des patriotes polonais qu'un bienfait illusoire. La résistance opiniâtre du cabinet russé à l'incorporation des anciennes provinces polonaises (la Lithuanie, la Volhynie, etc.), les violations multipliées de cette charte, la sup pression de la publicité des séances de la diète polonaise et leur longue interruption, l'enchaînement absolu de la presse, la préfé rence donnée à l'Église grecque, au préjudice du culte catholique, professé par les sept huitièmes de la nation, le despotisme brutal du grand duc Constantin, qui ne l'exerçait pas seulement sur l'armée, mais qui sévissait sur les bourgeois comme sur des serfs du moyen âge; et la police oppressive, exercée sous ses yeux par d'indignes Polonais, avaient rendu la domination russe odieuse. Le dernier voyage de Nicolas, la sécheresse de ses discours à la diète, la contrainte visible des orateurs dans les discussions, la brusque clôture de leurs travaux, et le peu d'égards que montra

l'empereur aux représentations que des membres de la diète eurent encore le courage de lui faire pour la réunion des provinces, et pour le renvoi ou la réforme de l'administration polonaise, aigrirent le mécontentement... La nouvelle de la révolution de juillet, jetée au milieu de ces fermens de révolte, y fut reçue comme l'aurore de la libération polonaise. Le drapeau tricolore, arboré au consulat de France, drapeau dont la Pologne avait regardé si long-temps les couleurs comme les siennes, semblait être comme le signal de son réveil à l'indépendance. Les mouvemens de concentration de l'armée russe, le bruit qu'elle allait traverser la Pologne pour se porter sur l'Allemagne, et qu'un corps d'armée russe occuperait militairement le royaume, tandis que les troupes polonaises seraient traînées à une guerre contre la France, exaspérèrent encore les ressentimens, surtout dans la jeunesse de l'école militaire (dite des Enseignes), école presque toute composée de nobles polonais, et prompte, comme celles de Paris, à la sédition. Quelques-uns d'entre eux, réunis dans un banquet, n'avaient pu retenir l'élan de leur patriotisme; ils avaient chanté les vieux airs nationaux, et avaient porté un toast à la mémoire de Kosciusko. Le grand duc les avait fait arrêter, et voulait, dans sa justice expéditive, leur faire administrer le knout. Une noble indignation saisit tous leurs camarades... c'est ce qui détermina et fit éclater le

mouvement.

Le 29 novembre, vers sept à huit heures du soir, une troupe de ces jeunes gens, armés de fusils, de pistolets ou d'épées, forçant la consigne de l'école, se porta précipitamment sur le palais du Belvéder, où résidait alors le grand duc Constantin, en surprirent le poste, forcèrent l'entrée et pénétrèrent dans les appartemens en faisant main-basse sur tout ce qui leur opposait de la résistance. Le lieutenant général Gendre, et le sous-directeur de la police, Lubowicki, alors au palais, en furent les premières victimes. Quant au grand duc, le but des insurgés était de s'emparer ou de se défaire de sa personne; il n'eut que le temps de s'échapper par une issue secrète, et d'aller se mettre au milieu de ses gardes,

Le reste de l'école, bientôt suivi d'une foule de peuple, s'était aussi porté sur le quartier des hulans de la garde, qui résistèrent à leurs provocations; puis à celui du 4e régiment d'infanterie polonaise, qui se souleva immédiatement contre ses officiers supérieurs, dont plusieurs furent massacrés. Ce mouvement fut suivi par un bataillon de sapeurs, par la plus grande partie du régiment des grenadiers, et par l'artillerie à cheval, aux cris de vive la liberté! vive la patrie!

En quelques instans l'insurrection se développe d'une manière effrayante: les troupes qui venaient de se déclarer et le peuple qui les suivait se portèrent sur l'arsenal dont les armes (il s'y trouvait trente à quarante mille fusils) furent distribuées et pillées; les troupes qui s'y trouvaient firent peu de résistance. Celles que le grand duc Constantin put rassembler et retenir dans le devoir étaient au nombre de huit à dix mille hommes russes ou polonais, entre lesquels se fit remarquer par son courage et sa fidélité le régiment des chasseurs à cheval polonais. Mais ces troupes ne suffisaient plus pour arrêter le mouvement. Elles avaient ordre de se réunir sur la Grande-Place et de se borner à repousser vigoureusement ceux qui voudraient s'opposer à leur marche. Plusieurs de ces corps et entre autres le régiment des gardes de Volhynie, furent en effet attaqués par le 4o régiment d'infanterie polonaise, qui lui tua une trentaine d'hommes, mais sans pouvoir l'empêcher de se rendre au point de réunion. Toute la nuit se passa, du côté des insurgés, dans les désordres inséparables d'un mouvement qui n'avait pas encore d'autres chefs que des jeunes gens de l'école militaire, ou des officiers d'un grade inférieur; plusieurs généraux et officiers supérieurs avaient d'abord été massacrés ou furent tués dans les divers combats qui s'engagèrent ensuite (1); des excès plus

(1) On a cité dans les troupes polonaises le général d'artillerie comte Haacke, ministre de la guerre; le général d'infanterie comte Stanislas Potocki, chef de toute l'iufauterie polonaise; les généraux de brigade Trzembicki, attaché à l'état-major général de S. A. I.; Sémeutkowski, qui faisait les fonctions de chef d'état-major de l'armée polonaise, et Blumer, commandant de la 2o bri

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