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des motifs étrangers à cette affaire, quiconque lira avec attention les documens déjà cités, y trouvera sans doute de quoi justifier les dernières résolutions du prince.

Ce refus jetait la conférence de Londres dans des embarras que la révolution de juillet fit bientôt oublier, et donna de nouveaux alimens aux factions de la Grèce. On en verra l'année prochaine les tristes effets.

CHAPITRE VI.

ITALIE.

SUISSE.

Mouvemens populaires.-Changemens faits aux constita. tions des cantons. Convocation extraordinaire et résolution de la diete helvétique. — PIEMONT.-MODÈNE. LOMBARDIE. - Inquiétudes et mesures politiques. ÉTATS ROMAINS. Mort du pape Pie VIII. Ouverture du conclave. DEUX-SICILES.-Mort de François Ier. - Avénement de Ferdinand II.-Actes du nouveau gouvernement.

SUISSE.

LA diète fédérale, assemblée depuis le 5 juillet à Berne, n'avait eu à s'occuper que d'affaires intérieures sans intérêt pour l'histoire générale, lorsque la révolution de juillet vint soulever presque tous les cantons déjà fort agités (on le voit dans le discours d'ouverture du président de la diéte, V. l'Appendice.) par des idées de changemens ou d'innovations. Ceux de Vaud et du Tessin avaient devancé le mouvement par des modifications faites à leur loi fondamentale sans secousse et sans violence; les autres ne les acquirent qu'au prix de l'ordre et de la sécurité... On pouvait craindre que le brusque licenciement des régimens suisses capitulés au service de la France n'amenât quelque collision avec les cantons qui les avait fournis; mais le traitement généreux qu'on leur fit (1) prévint les plaintes et la divergence d'opinions qui existaient d'un canton à l'autre sur les inconvéniens ou les avantages du service étranger, et fit que la diète fédérale vit avec une sorte d'indifférence un licenciement qui n'affectait que des individus ou des localités... Le retour des soldats suisses dans leurs foyers ne fit pas plus d'impression que l'établissement des jésuites également chassés de la

(1) Les vieux militaires ont obtenu leurs pensions de retraite réglées d'après l'art. 30 des capitulations. Les autres ont eu trois mois de solde, les frais de rente et leurs fonds de masse.

France. La reconnaissance que la diète se vit appelée à faire par la notification de l'avénement de Louis-Philippe comme roi des Français y fut arrêtée sur la proposition d'une commission spéciale, à l'unanimité des voix.

Il s'élevait alors dans le sein de la diète des questions plus graves: celle de savoir jusqu'à quel point elle devait ou pouvait intervenir dans les querelles des gouvernemens cantonaux avec leurs sujets; et si les gouvernemens attaqués pouvaient invoquer la garantie armée de leurs voisins. La fermentation générale qui se manifesta, la liberté de la presse qui s'affranchit de ses entraves presque aussitôt qu'en France, les mit heureusement dans l'impuissance de provoquer une collision qui eût amené une guerre civile; et les concessions faites par l'aristocratie bourgeoise ou marchande désarmèrent les mécontens. Les soulèvemens qui eurent lieu à Zurich et dans les cantons de Turgovie, d'Argovie, de Fribourg, Saint-Gall et Lucerne, et qui s'étendirent à presque tous les autres, avaient pour objet de rendre le droit de suffrage A toutes les classes et aux communes rurales qui ne participaient que dans une disproportion choquante à la représentation nationale dans les grands et petits conseils. On manifestait généralement le désir de se rapprocher des principes consacrés par l'acte de médiation de 1803, qui avait concilié des prétentions rivales, ménagé les intérêts de toutes les classes de citoyens et qui promettait à la Suisse une longue période de calme et de prospérité, si les événemens de 1813 et 1814, la violation de la neutralité helvétique et les prétentions de l'oligarchie appuyées par l'influence de l'Autriche, n'eussent détruit partout l'ouvrage de l'immortel médiateur, pour lui substituer les lois mesquines de 1814.

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Zurich fut un des premiers cantons où s'opéra le changement du système représentatif : ou y arrêta dans le grand conseil (séance du novembre) que le conseil du canton serait désormais composé comme autrefois de 212 membres, dont un tiers serait élu par la capitale et deux tiers par la campagne : que tout citoyen ayant vingt-neuf ans d'âge et une fortune de 5,000 fr., pourrait être élu au grand conseil pour six ans. Ce grand conseil ainsi con

stitué devait nommer le petit conseil, le tribunal suprême, et s'oc cuper ensuite de la constitution, dont les bases, fixées d'avance dans l'opinion publique, étaient la souveraineté du peuple, l'extension et l'égalité des droits politiques pour les communes rurales comme pour les villes, la répartition des impôts dans la proportion des fortunes, la liberté de la presse, des cultes et de l'enseignement, la publicité des débats judiciaires, et l'institution du jury en matière criminelle, etc., etc.

Ainsi s'opérait à Zurich, à Lucerne, à Soleure, dans l'Argovie, la Turgovie et Saint-Gall, non sans beaucoup de désordres, le renversement ou la révision des constitutions cantonales que la plupart des autorités eurent la prudence d'accorder ou de promettre pour éviter de plus grands malheurs. Berne elle-même, où l'aristocratie semblait si forte, cut sa révolution. Là, comme dans les autres cantons, de nombreuses pétitions apportées et appuyées par des rassemblemens armés de la classe inférieure des villes et des campagnes sous les anciennes bannières helvétiques, demandaient la révision de la loi fondamentale. Il fut décidé qu'on en délibérerait en grand conseil, le 6 décembre.

Le grand conseil comptait 217 membres présens. Sa session fut ouverte par M. l'avoyer en charge Fischer, dont le discours traça le tableau de la situation actuelle de la Suisse et du canton de Berne en particulier. Il rappela cet immense mouvement qui avait étonné l'Europe, et ces préparatifs militaires qui attiraient aujourd'hui ses regards. Il démontra surtout que, dans le cas où la guerre éclaterait, l'indépendance de la Suisse ne pourrait être maintenue que par un accord parfait, et qu'une fois perdue, elle le serait peut

'être sans retour.

Il est triste pour l'ami de la patrie, ajontait-il, que, dans un moment aussi critique, des intrigues tramées dans l'étranger soient parvenues à opérer des mouvemens populaires qui compromettent la sûreté publique dans plusieurs cantons confederés, et qui ont renversé comûne à l'envi les constitutious exis tantes, tandis que des changemeus et des an éliorations durables et utiles ne peuvent être que le fruit de deliberations màries et dégagees des conseils des passions, ainsi que le prouvé l'histoire à toutes ses epoques. Des inquietudes et des craintes se sont aussi manifestées dans notre canton, et elles out accompagne les vœux tormės dans le cœur de tout brave Bernois, qui desite l'atués lioration progressive do la chose publique.

Le bon sens du peuple garantit cependant, on doit l'espérer, que l'ordre légal ne sera violé nulle part, mais que des délibérations tranquilles et sagement mûries assureront autant que possible le bonheur du pays et de chaque citoyen. L'intention sincère du gouveruement est d'augmenter ce bien-être général, suivant les circonstances, et il regarde comme un devoir d'entendre dans des temps aussi extraordinaires, la voix et les vœux du peuple, et de les prendre en juste considération.

L'honorable avoyer terminait son discours par proposer que toutes les motions ou pétitions faites sur des changemens à la constitution de l'État fussent soumises à une commission de onze membres, qui les examinerait et en ferait son rapport pour être ensuite soumis aux délibérations du conseil souverain; proposition qui fut adoptée à l'unanimité, ainsi que le projet d'une proclamation destinée à faire connaître aux habitans du canton la situation du pays et l'intention de veiller à tout ce qui pouvait contribuer à son but, comme au maintien de la tranquillité et de la sûreté publiques. L'effet de cette proclamation répondit à ce qu'on s'en était promis. Les bourgeois se formèrent en garde civique pour protéger l'ordre; et le peuple attendit paisiblement la réalisation de ces promesses.

Au milieu de ces troubles, où le pouvoir fédéral n'osait intervenir, le directoire était encore inquiété par les notes secrètes de l'Autriche et de la Russie, qui lui demandaient de mettre un terme à ces agitations attribuées à l'influence ou même aux menées de la propagande française, et par des rassemblemens de troupes autrichiennes sur les frontières. Les dangers parurent assez graves, les circonstances assez critiques, pour que le directoire fédéral, siégeant alors à Berne, crût devoir, quelques jours avant l'expiration de ses pouvoirs (il devait être transporté à Lucerne le 1er janvier), convoquer une diète extraordinaire pour aviser aux moyens de rétablir l'ordre et la tranquillité dans l'intérieur; de maintenir les rapports fédéraux comme base de toute existence nationale, et veiller aux intérêts politiques les plus importans à l'égard de l'étranger. La circulaire adressée à ce sujet aux États confédérés mérite d'être méditée pour faire apprécier leur situation. (Voy. l'Appendice.)

La convocation de cette diète agita toute la Suisse. Le parti

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