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le personnel de l'administration, un effectif de 37,507 hommes (1), sans y comprendre le corps de la marine, non moins remarquable que l'armée de terre par sa discipline et sa belle tenue; et pour assurer d'autant mieux le succès de l'expédition, il fut ordonné qu'il serait formé, après son départ, une division de réserve destinée à réparer les pertes que l'armée pourrait faire.

Il faudrait encore, pour donner une juste idée de l'importance attachée à cette expédition, décrire l'abondance des approvisionne mens et des munitions, le luxe des équipages, et surtout de ce nombreux et brillant état-major auquel on avait adjoint, sous différens grades, des ingénieurs géographes, des interprètes, des peintres dessinateurs, des ouvriers imprimeurs, et jusqu'à des journalistes historiographes chargés de faire d'abord un journal (l'Estafette d'Alger), consacré à donner les détails de l'expédition. Une foule de jeunes gens des plus nobles familles et d'étrangers, un prince de Schwartzemberg, un aide de camp du grand-duc Michel, le colonel Philosophoff, un capitaine de la marine anglaise, M. Mansell, avaient sollicité et obtenu l'honneur de faire cette

(1) Voici un état publié dans le Temps, sinon comme officiel, au moins comme exact, de l'effectif de toutes les armes au moment du départ.

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campagne; et ce qu'on peut regarder comme un acte d'ambition ou de dévouement héroïque, c'est que le général en chef emmenait ses quatre fils engagés avec lui dans la gloire ou les périls de cette expédition.

Au moment où s'opérait l'embarquement, deux bricks, qui faisaient partie de la station navale devant Alger (l'Aventure et le Silene), poussés par un vent de nord-ouest, échouèrent dans la nuit du 14 au 15 mai près du cap Bengut, à 36 milles environ du cap Caxine; et leurs équipages, dans l'impuissance de se défendre et sans espoir d'être secourus, n'eurent d'autre moyen de salut que d'abandonner les bâtimens, et de se jeter désarmés sur cette côte inhospitalière, où tous auraient péri sans l'adresse d'un matelot maltais qui, sachant l'arabe, fit accroire aux Bédouins que les deux équipages étaient anglais. Ce généreux mensonge, soutenu avec le plus intrépide sang-froid, malgré les menaces de ces barbares, sauva les malheureux naufragés d'un massacre immédiat et général, mais n'empêcha point qu'ils ne fussent tous dépouillés, traînés dans les montagnes et traités avec une cruauté féroce. Vingt d'entre eux furent même massacrés au premier signe d'indignation qu'ils laissèrent échapper; leurs têtes envoyées à Alger furent exposées aux murs de la Casaubah : les autres, réclamées par des officiers du dey qui espérait en tirer des renseignemens sur l'expédition, y furent conduits et jetés au bagne jusqu'au moment où la chute de cette monstrueuse puissance brisa les fers des esclaves chrétiens.

25 Mai. Tout était prêt : l'armée entière et son immense matériel étaient embarqués. La flotte, retenue au mouillage depuis dix jours, n'attendait qu'un vent favorable, celui d'ouest, qui commença à se faire sentir. La première escadre, composée des vaisseaux de ligne et des grandes frégates portant l'état-major général, et la première division en profita pour mettre à la voile le même jour à cinq heures du soir; la seconde escadre, celle de convoi, appareilla le lendemain matin; la troisième encore, retardée par la violence des vents, ne put sortir de la rade que le lendemain (27), 45 heures après le départ de la première. Celle-ci n'était encore

qu'à une vingtaine de lieues au large (le 26 ), lorsqu'elle rencontra deux frégates qui se dirigeaient vers les côtes de France: l'une (la Duchesse de Berry, capitaine Kerdrain), faisait partie de la station d'Alger; l'autre était une frégate turque (le Neesind-Jeffet), montée par Tahir-Pacha, grand-amiral de l'empire ottoman, que le grand-seigneur envoyait au dey d'Alger pour le déterminer à donner des satisfactions à la France (1). Mais la croisière française lui ayant interdit l'entrée du port, Tahir-Pacha s'était décidé à se rendre en France sous l'escorte d'un bâtiment de guerre. A la rencontre de la flotte française, il fit demander par le capitaine Kerdrain la permission de communiquer avec les commandans de l'expédition. Le vice-amiral Duperré lui fit rendre les honneurs dus à son rang de grand-amiral, et le présenta au général Bourmont. Ils eurent ensemble un entretien sur l'expédition que Tahir-Pacha avait mission de prévenir; mais il ne pouvait en résulter aucun changement dans les mesures prises. Tahir Pacha continua sa route pour Toulon (2), toujours sous l'escorte du capitaine Kerdrain, pendant que la flotte française se dirigeait en bon ordre sur les côtes d'Alger qu'elle aperçut dès le 29 au soir. Elle n'était plus, le lendemain matin (30), qu'à cinq ou six lieues nord du cap Caxine; les épuipages se préparaient au débarquement lorsqu'elle fut assaillie et dispersée en partie par un vent d'est si violent, que le vice-amiral jugeant impossible d'approcher de la côte, et même de se maintenir sur le méridien d'Alger, se décida à reprendre le large et à chercher un abri et un point de ralliement sous le vent des îles Baléares, dans la baie de Palma. Le gros de la flotte y arriva le 2 juin.

(1) Husseyn-Packa a dit, après sa chute, qu'il savait que le but secret de Ja mission de Tahir était de le faire déposer ou même étrangler pour faciliter l'accommodement, et que lai, dey, ne l'aurait pas reçu dans le port d'Alger, quand même la croisière française l'aurait laissé passer.

(2) La mission de Tahir-Pacha n'a en aucun résultat, et après avoir été retenu quelques jours en quarantaine, il a remis à la voile pour Constantinople, fort mécontent, dit-on, de la réception et des difficultés qu'on lui avait faites,

Les Français y furent accueillis comme en pays ami; mais la Botte mouillée dans la baie ne s'y trouva réunie, avec ses transports, que huit jours après sa dispersion.

Le 10 juin enfin les vents étant redevenus favorables, toute la flotte ralliée et réorganisée remit à la voile dans le même ordre qu'à la sortie de la rade de Toulon, et malgré de nouvelles contrariétés, malgré la force du vent et la grosseur de la mer, qui menaçaient d'une dispersion nouvelle, elle se retrouva le 13, au point du jour, à a ou 3 lieues d'Alger.

D'après les renseignemens pris et les explorations faites, on avait reconnu l'impossibilité d'une attaque à force ouverte sur le port d'Alger, et le danger d'un débarquement dans le voisinage, moins à cause des nombreuses et formidables batteries élevées sur ces côtes, que par la difficulté du mouillage. Mais l'armée était encore dans une incertitude complète sur le plan de ses chefs, lorsque, le 13 juin au matin, le vice-amiral ayant rallié la division du blocus, forma sa ligne de bataille, défila en vue des forts et batteries d'Alger, et fit le signal à toute la flotte qu'il se dirigeait sur le cap de Sidi-Ferruch.

Cette presqu'île, située à cinq lieues ouest d'Alger, et de 8 à 900 toises d'étendue, offrant à l'est et à l'ouest deux baies profondes et découvertes, avait été choisie comme le point le plus favorable au débarquement et à l'établissement provisoire des troupes, ainsi qu'au mouillage de la flotte. Il se trouvait au sommet du cap une tour d'observation et de défense, nommée Torre-Chica, anciennement construite pour repousser les débarquemens espagnols, et à laquelle était adossée une petite mosquée, renfermant le tombeau d'un marabout en grande vénération dans le pays (1), et dont la presqu'ile a reçu son nom. Sa garde était confiée à un derviche, qui prit la fuite à l'approche de la flotte française.

On s'attendait à trouver cette presqu'île, ou du moins la pointe

(1) Les femmes algériennes qui désiraient avoir des enfans se rendaient à Sidi-Ferruch, où elles restaient plusieurs jours dans des cellules isolées, sousl a protection des imans chargés de la garde du tombeau.

du promontoire fortifiée, et, dans l'opinion de plusieurs des officiers, quelques batteries de grosses pièces auraient rendu le débarquement difficile et périlleux. Tous les préparatifs d'attaque avaient été conçus dans cette idée; mais les Algériens s'étaient bornés à placer en arrière, sur des hauteurs parallèles à la côte, quatre batteries composées chacune de deux ou trois canons, de quelques obusiers et d'un mortier.

13 Juin. Au moment où la plus grande partie de la flotte venait de prendre son mouillage dans la baie de l'Ouest, il partit de ces batteries quelques coups de canon et des bombes, dont une seule détonna sur le vaisseau le Breslaw, où elle blessa grièvement un matelot. On n'aperçut d'ailleurs, dans tout le reste de la journée, que des cavaliers arabes couverts de leurs burnous (1), qui couraient à bride abattue sur le rivage, en examinant les vaisseaux, pour aller rendre compte à leurs chefs de ce qu'ils avaient observé quelques décharges des bâtimens à vapeur les firent disparaître.

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La journée était trop avancée pour entreprendre le débarquement, mais toutes les dispositions furent prises pour l'opérer le lendemain. A la pointe du jour, quelques bricks ou corvettes s'embossèrent dans la baie de Torre-Chica, pour prendre en flanc les batteries de l'ennemi, tandis que des bateaux à vapeur protégeraient le débarquement dans la baie de l'Ouest; il était attendu avec une noble impatience par cette jeune armée, avide de gloire et fatiguée d'un long séjour à bord.

14 Juin. A trois heures du matin les embarcations, protégées par les bateaux à vapeur le Sphinx, le Nageur et le Rapide, s'avancent en silence vers la plage, en remorquant les bateaux plats chargés de soldats, et le débarquement commence aux sons d'une musique guerrière, aux cris de vive le Roi, par la première division (général Berthezène). Chaque régiment se range en bataille, à mesure que les compagnies arrivent à terre. L'artillerie monte immédiatement

(1) Grands manteaux blancs dont ils se couvrent même la tête, ce qui les fait ressembler de loin aux anciens prêtres de Memphis.

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