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une batterie de campagne, et quelques matelots ou soldats de marine, qui furent bientôt suivis d'une compagnie de mineurs, courent s'emparer de la tour (Torre-Chica), où ils arborent le pavillon blanc.

La première division était déjà débarquée, et en ordre de bataille, à cinq heures du matin, lorsque les Arabes commencèrent à tirer de leurs redoutes, et des broussailles où ils s'étaient embusqués. Les corvettes ou bricks embossés à l'est du cap, deux bateaux à vapeur qui croisaient leurs feux en rasant le rivage, et l'artillerie de campagne ripostèrent avec une supériorité marquée, mais sans beaucoup d'effet, sur les retranchemens et les batteries ennemies.

Le général en chef descendit à terre avec la seconde division (Loverdo), et tandis que la troisième division opérait son débarquement, il ordonna à la première de tourner, par la gauche, les redoutes qu'occupaient les batteries arabes. Ce mouvement, exécuté par la première brigade (général Poret de Morvan), avec la plus grande résolution, sous le feu de l'ennemi, eut le résultat qu'on en attendait. Les redoutes furent tournées, attaquées et enlevées dans un instant. Les Arabes abordés à la baïonnette se retirèrent précipitamment et dans le plus grand désordre, abandonnant leurs batteries et cette position, d'où ils pouvaient inquiéter le reste du débarquement, qui continua sans opposition.

Pendant que la première division culbutait les douze à quinze mille Arabes qu'elle avait devant elle, de nombreuses embarcations se croisaient en tous sens, et mettaient à terre de nouveaux soldats impatiens de prendre part à la gloire de leurs camarades. Toute l'infanterie et l'artillerie de campagne étaient débarquées à midi; et ce beau fait d'armes n'avait coûté qu'une cinquantaine d'hommes tués ou grièvement blessés.

Le combat durait encore que déjà les troupes du génie traçaient, sous la direction du général Valazé, une ligne de retranchemens qui devaient fermer et garantir, du côté de la campagne, la presqu'ile de Sidi-Ferruch, dont on voulait faire le dépôt général de l'armée, pendant les opérations du siége d'Alger. Ces immenses

travaux furent terminés et armés de vingt-six pièces d'artillerie de marine en moins de cinq à six jours.

Dans la soirée du débarquement, le général en chef alla s'établir avec tout son état-major dans les bâtimens dépendans de la chapelle du saint marabout, dont il fit soigneusement respecter les cendres, ainsi que les ex voto encore suspendus aux murailles.

Les deux premières divisions furent échelonnées en avant de la presqu'île sur les collines d'où les Arabes avaient été débusqués. La troisième (duc d'Escars) campa, les premiers jours, avec l'artillerie et le génie, dans l'intérieur de la presqu'île. On y avait découvert trois fontaines; mais leur eau, peu abondante, était loin de suffire aux besoins de l'armée. Des soldats du 34° imaginèrent de chercher de l'eau douce à cinquante pas du bord de la mer, et en trouvèrent à quelques pieds du sol. Les différens corps suivirent cet exemple. Plusieurs puits et un abreuvoir pour les chevaux furent ainsi creusés au milieu du sable.

L'aspect du pays donnait déjà un démenti aux sinistres présages répandus sur l'expédition. Le rivage de la mer, s'exhaussant par couches parallèles, n'offrait d'abord que des broussailles ou buissons de cactus, d'aloès, de lauriers roses et de grenadiers; mais la végétation semblait se fortifier à mesure qu'on s'avançait, et plusieurs belles maisons de campagne, des jardins délicieux, répandus aux environs d'Alger, annonçaient une population qui n'était pas étrangère aux jouissances de la civilisation.

La presqu'île même où le quartier général s'établit offrait des traces de culture. Des troupes de différentes armes y dressèrent en arrivant des tentes ou des baraques ornées de feuillages, dont les quartiers, disposés au cordeau, semblaient autant de petites villes pleines de vie et de mouvement, où se trouvèrent bientôt des boutiques, des guinguettes, et même un restaurant avec des mets et des vins de France.

Le succès du débarquement avait électrisé l'esprit des soldats : ils ne doutaient plus de celui de la campagne. Jamais nuit ne leur parut plus longue que celle du 14 au 15. Ils étaient impatiens de revoir l'ennemi.

Le 15, à la pointe du jour, un feu de tirailleurs s'engagea sur toute la ligne d'avant-postes, où l'on éprouva ce que la guerre d'Afrique avait de plus dangereux. Des masses d'Arabes se montraient de tous côtés, mais le plus souvent à de longues distances, hors de la portée des fusils d'Europe. Les leurs, d'une longueur prodigieuse (il y en avait de sept pieds), portaient très loin et très juste; et ils s'en servaient avec une adresse meurtrière. Abrités derrière des broussailles ou montés sur des chevaux rapides, et changeant continuellement de place, ils échappaient à toute attaque régulière et mutilaient d'une manière atroce les soldats qui tombaient entre leurs mains. Comme ils enlevaient avec le plus grand soin leurs blessés et leurs morts, on n'a jamais pu apprécier exactement leurs pertes; mais il y a lieu de croire que, dans toutes les affaires d'a~ vant-postes, celles des Français durent être plus considérables.

Le 16, au moment où les tirailleurs venaient de recommencer le feu, et tandis que les troupes du génie poussaient avec activité les travaux de retranchement de la presqu'île, un coup de vent du nord-ouest fit naître les plus vives inquiétudes pour le salut de la flotte et de l'armée. Plusieurs grands navires étaient menacés d'être jetés sur la côte, et chassaient déjà sur leurs ancres: mais le viceamiral Duperré leur ordonna de prendre le large, et grâce à cette précaution, la perte se réduisit à quelques transports ou chaloupes de débarquement, que le vent poussa sur les récifs. L'armée de terre souffrit aussi de l'ouragan: la pluie qui tomba par torrens, durant six heures, inonda bientôt les tentes, les baraques et les retranchemens, et jeta la terreur dans l'âme des soldats; mais leur résolution et leur gaîté ordinaires revinrent aux premiers rayons du soleil. Ils n'aspiraient qu'à trouver l'occasion de se mesurer en ligne avec un ennemi plus difficile à rencontrer qu'à vaincre.

Du côté des Algériens tout se disposait aussi pour une bataille. La régence d'Alger, composée des trois provinces ou beylics de Constantine, de Tittery et d'Oran, était bien déchue de son ancienne puissance. La population de ces trois provinces, qui nourrissaient dix millions d'habitans sous la domination romaine, n'était plus guère que de huit cent mille individus, Turcs, Juifs, Maures, Ann, hist. pour 1830.

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ou reste des anciens habitans du pays (1). Ses revenus, diminués en raison des produits de la piraterie, ne s'élevaient plus guère au-dessus de deux millions de francs (2). Mais il est à croire que le dey puisait largement dans le trésor accumulé par trois siècles de brigandages, pour suffire aux dépenses des dernières années, et surtout aux armemens qu'exigea l'expédition française.

A la nouvelle du rassemblement des vaisseaux et des troupes, Husseyn avait demandé des secours aux deys de Tunis et de Tripoli, comme intéressés à la cause de l'islamisme, ou plutôt au maintien de la piraterie. Il les prévenait en outre du dessein qu'on supposait au pacha d'Égypte d'attaquer les trois régences de concert avec la France. Ils lui répondirent par des protestations vagues de leur zèle pour la cause musulmane, sans rien faire pour sa querelle. Réduit à ses propres forces, qui se composaient de cinq mille janissaires, de sept mille Koul-Oglous, en état de porter les armes, et d'environ dix mille Maures algériens, il publia, d'après l'avis de son divan, des proclamations qui appelaient les fidèles musulmans de ces trois provinces à la défense de l'islamisme et de la glorieuse Algezaïr. Ces proclamations n'auraient produit qu'un faible effet s'il n'avait trouvé dans son trésor de quoi stimuler le zèle de ses vassaux. Mais ses sacrifices pécuniaires mirent

(1) M. le baron Juchereau de Saint-Denis les classe ainsi qu'il suit: Türes ou janissaires. . . .

Koul-Oglous (nés de Turcs et de femmes arabes ou maures.
Maures habitans des villes ou cultivateurs).

Arabes nomades. . .

8,000

32,000

400,000

120,000

Koubayles ou Berbères (anciens Gétules, tribus de l'Atlas ). 200,000
Juifs....

20,000

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(Considérations statistiques histor., etc., sur la régence d'Alger, etc.)

(2) Ces revenus, évalués dans le 17e siècle à 8 millions, avaient été successivement réduits, suivant le même auteur, à 2,273,500 fr., où les tributs annuels on présens consulaires entraient pour 560,000 fr., tandis que les dépenses accrues par les dernières expéditions s'étaient élevées à 2,947,000 fr., ce qui offrait un déficit annuel de 673,000 fr., commencé en 1816, après le bombardement de la ville et de la destruction de la flotte.

les trois beys en état d'amener ou d'envoyer leurs contingens, évas lués ensemble à quarante mille hommes, auxquels se joignirent dix mille Kabyles ou Koubayles, des tribus guerrières de l'Atlas, au¬ ciens Gétules, excellens cavaliers, attirés par des présens et par l'espoir du pillage, au moyen de quoi le dey put réunir un effectif d'environ soixante-douze mille hommes.

On a vu que les Algériens n'avaient opposé que peu de résistance sur le point du débarquement, soit qu'ils regardassent la position comme dangereuse à défendre par la facilité qu'elle dannait à la flotte de l'attaque des deux côtés de la presqu'île, soit que le dey eût voulu attendre l'arrivée des contingens de Tittery, de Constantine et d'Oran, ou bien encore que toute l'armée française fût à terre pour la détruire d'un seul coup....

Tandis que les Arabes, se montrant chaque jour plus audacieux, harcelaient les avant-postes et inquiétaient les travaux de la presqu'ile par des escarmouches et des tiraillades meurtrières, le gros de leur armée se concentrait à une lieue et demie en arrière des premières lignes de l'armée française, sur le plateau de Staouëli, fortifié de quelques redoutes.

Le général français, espérant détacher de la cause du dey la population indigène, avait fait jeter dans le pays, au moment du débarquement, des proclamations en langue arabe, dans lesquelles on invitait les Maures, les Arabes et même les Koul Oglous, à recevoir en amie l'armée française, qui venait les délivrer du joug de leurs

ans. Il ne paraît pas que les proclamations aient produit le moindre effet sur des barbares jaloux de leur indépendance et détestant les Turcs, mais réunis sincèrement pour la défense de leurs pays et de l'islamisme, et prévenus d'avance contre le but de l'expédition. Aussi n'y trouva-t-elle d'abord que des ennemis. Il fallut que le temps et la conduite des Français, après la victoire, affaiblissent les préventions répandues dans toutes les classes de la population.

Le terrain s'élève insensiblement depuis Sidi-Ferruch jusqu'au plateau de Staouëli, espèce de village ou site temporaire de campement, que les Arabes appellent Adonar, et où ils ont coutume

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