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révolte commençait à se manifester, et les batteries françaises se montraient à deux cents toises de la place. Le dey comprit qu'il était temps de fléchir, et il fit demander la cessation des hostilités par terre et par mer aux deux commandans de l'expédition.

Il était deux heures de l'après-midi lorsqu'un parlementaire (Sidi-Moustapha, son secrétaire intime) se présenta aux avantpostes. Il fut reçu sur les ruines du château par le général en chef environné de son état-major. Sidi Moustapha offrait au nom de son maître d'abandonner toutes ses créances sur la France, de se soumettre à toutes les réparations qu'on avait exigées de lui avant sa rupturé; de rendre au commerce français tous ses priviléges, et même de les augmenter, et de payer tous les frais de la guerre si les Français consentaient à quitter le pays.... Ces propositions farent rejetées on exigeait que le dey, ses troupes et la ville, se rendissent à discrétion. Le consul général de la Grande-Bretagne offrit en vain sa médiation; M. de Bourmont la déclina, en disant que c'était une affaire qu'il voulait arranger lui-même avec le dey.

Tout était encore en suspens; les travaux de siége se poussaient avec activité lorsque arrivèrent deux nouveaux parlementaires, un Turc nommé Sidi-Mahmoud, et un Maure nommé Bouderba, qui, ayant habité long-temps Marseille, parlait parfaitement la langue française. Celui-ci représenta au comte de Bourmont que ces mots se rendre à discrétion seraient mal compris par les Turcs, qu'ils les considéreraient comme un sacrifice volontaire qu'on exigeait de leurs personnes, de leurs familles et de leurs propriétés; que, dans cette opinion, ils aimeraient mieux périr que de se soumettre, et que la ruine d'Alger et des richesses qui s'y trouvaient en seraient la suite inévitable.

Ces considérations déterminèrent le général français à se relacher un peu de la rigueur de ses conditions. Il se borna à demander la remise d'Alger et de tous ses forts, en s'engageant à laisser au dey la vie, la liberté et la possession de ce qui lui appartenait personnellement, en lui permettant de se retirer avec sa famille et ses propriétés mobilières dans le lieu qu'il voudrait fixer. La même assurance était donnée à tous les soldats de la milice turque. L'exer

cice de la religion mahométane devait rester libré, et le général en chef garantissait aux habitans de toutes classes que leurs familles, leurs propriétés, leur commerce, leur industrie, seraient inviolablement respectés.

Ces conventions, acceptées par les parlementaires et portées au dey pour avoir sa ratification, furent soumises à la délibération du divan, représen tant de cette milice souveraine, sans laquelle le dey ne pouvait decider de la cession de la ville et des propriétés publiques.

La délibération fit orageuse: quelques jeunes officiers qui n'avaient pas eu le temps de s'enrichir voulaient s'emparer de la Casaubah, tuer Husseyn, ses ministres et sa garde, se partager le trésor national', et se retirer dans les montagnes après avoir mis le feu à la ville. Mais les plus vieux, ceux qui avaient le plus à perdre, firent voir le danger de ces résolutions désespérées, et lá majorité, encore sous la terreur de la canonnade du matin, se résigna à subir les conditions imposées ainsi l'échange des ratifications eut lieu dans la même soirée. Les hostilités cessèrent sur terre et sur mer, et il fut convenu, après de nouveaux pour parlers, que la remise de la ville et de tous ses forts auraient lieu le lendemain 5 juillet, à dix heures du matin.

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A l'heure indiquée, toutes les troupes françaises qui devaient entrer dans Alger descendirent des hauteurs, leur artillerie en téte, et se rangèrent en bataille, drapeaux déployés, sous les murs de la ville et de la Casaub.ah. Les portes de Bab-Azoun et de Bab-Elwed furent remises à midi, et les soldats français reçurent tout en entrant la plus douce récompense de leur courage, en voyant venir au-devant d'eux les naufragés des bricks le Silène et l'Aventure, et une foule d'autres esclaves chrétiens, dont le dey avait fait briser les fers en apprenant la prise du château de l'Empereur.

La remise de la Casau bah éprouva des lenteurs. Le dey, qui avait des craintes pour son ha rem, venait d'en sortir avec ses femmes, sa famille, son trésor pa rticulier et ce qu'il avait de plus précieux,pour se retirer dans une maison qu'il avait jadis habitée dans la basse ville; mais ses effets n'étaient pas entièrement enlevés de la

Casaubah, lorsqu'un détachement français se présenta pour en prendre possession: la fuite précipitée des gens du dey employés au transport de ses effets occasiona quelque confusion, durant laquelle disparurent des armes, des étoffes, des meubles curieux et quelques bijoux précieux, ramassés par des soldats et même par des officiers. Ce fut le seul désordre, assurément bien pardonnable, qui eut lieu dans la prise de possession de la Casaubah, et même de la ville, où toutes les maisons, les mosquées, furent religieusement respectées, où il n'y eut pas un seul individu d'insulté: exemple de discipline et de modération d'autant plus admirable, qu'il ne se présentait aucune autorité civile ou militaire pour guider les soldats vers les maisons ou postes qu'ils devaient occuper, qu'ils y entraient enfin comme dans une ville prise d'assaut; jamais troupes n'avaient montré plus de courage dans le combat et tant de générosité dans la victoire.

Ainsi tombait la superbe Algezaïr, cette puissance monstrueuse fondée sur la piraterie, après trois siècles de brigandages impunément exercés sur les nations chrétiennes; ainsi l'épée de la France venait de briser le joug honteux qu'elles subissaient et consacraient par des tributs, ou des présens consulaires, non moins humilians que les tributs. La navigation de la Méditerranée était rendue libre, et l'aurore de la civilisation recommençait pour l'Afrique.

Le premier soin du général en chef, en entrant dans ce palais, fut de faire reconnaître l'existence du trésor algérien contenu dans une suite de cinq à six pièces soigneusement fermées et voûtées, où l'or et l'argent entassés, à la hauteur de plusieurs pieds, offraient des monnaies de toutes les nations. Ce trésor, accumulé depuis trois siècles, était composé en grande partie de la part réservée pour l'État dans les bénéfices de la piraterie. L'or dre du jour publié sur la prise d'Alger (6 juillet), annonça qu'une commission composée de M. l'intendant en chef de l'armée, le baron Denniée, de M. le général Tholosé, et de M. le payeur général Férino, était chargée d'en faire l'inventaire; et que ce trésor conquis sur la régence serait immédiatement envoyé en France. M. de Bourmont ne voulait pas qu'il en fût distrait un écu. Il se contenta de faire une

distribution des armes les plus riches entre les généraux et officiers supérieurs de l'armée, et de réserver quelques bijoux ou meubles précieux pour les offrir à la famille royale.

Des bruits ou des rapports bien opposés circulaient en Europe sur la valeur de ce fameux trésor. Estimée par quelques-uns à plus de deux cents millions (1) en espèces métalliques ou pierres précieuses, tandis que des voyageurs, qui avaient été témoins d'émeutes occasionées par les délais apportés au paiement de la solde des janissaires, le regardaient comme une chimère.

La vérité est que les Algériens eux-mêmes n'en savaient rien. Ils se faisaient un scrupule religieux de constater par des recensemens exacts la population du pays et la valeur précise du trésor de l'État; on y versait tous les produits des contributions et de la piraterie, et on en retirait les sommes nécessaires aux dépenses courantes ou imprévues, sans jamais chercher à régler la comptabilité générale et à en vérifier les résultats. On n'avait eu qu'une seule occasion d'apprécier ce trésor, à l'époque (1818) où il fut transporté, à dos de mulet, de l'ancien palais du dey dans la basse ville, dans les caveaux de la Casaubah; et cette appréciation, faite d'après la charge et le nombre des voyages des mulets (2), était d'environ 60 millions de francs. Mais le déficit des recettes depuis long-temps reconnu, la diminution des produits de la piraterie et l'énormité des dépenses occasionées par les dernières expéditions dont Alger avait été menacée, et surtout par celle-ci, avait dû réduire de beaucoup le trésor.

En résultat, les pièces dans lesquelles étaient amoncelés ces espèces ou lingots et autres objets.précieux ayant été ouvertes par le hasnedgy, ministre des finances, aux membres de la commission chargée d'en dresser l'inventaire, il s'y est trouvé, en espèces d'or,

(i) M. Shaler le porte à 52 millions de piastres fortes, ou 271,000,000 fr. (2) On avait employé 76 voyages de mulets pour le transport de l'or, et 1040 pour le transport de l'argent. En estimant à 3 quintaux la charge de chaque mulet, ce qui donnait 228 quintaux d'or et 3120 quintaux d'argent, on pouvait évaluer le total à 56,500,000 fr. en monnaies et lingots d'or ou d'argent, et en y joignant les bijoux à 60 millions,

Ann. hist. pour 1830.

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d'argent, ou en bijoux, une valeur de 48,684,527 francs 94 cent., premier aperçu constaté, qui montre l'exagération des calculs et la fausseté des accusations odieuses dirigées contre l'armée d'Afrique, fausseté prouvée par une enquête postérieure à l'autorité du général en chef. (Voy. chap. XV.)

En ajoutant à ce trésor la valeur des laines et des denrées trouvées dans les magasins de la régence, portée à 3,000,000 de fr., et celle de sept cents bouches à feu en bronze, estimées comme métal brut à 4,000,000 de fr., il résultait un total de 55,684,527 fr., pour premiers fruits de cette glorieuse conquête, somme supérieure d'environ 7,000,000 aux dépenses qu'elle avait occasionées (1). A quoi l'on pouvait ajouter le prix estimatif de huit cents autres pièces de canon en fonte (2), celui d'une immense quantité de projectiles, de poudre de guerre et de munitions, ainsi que la valeur des propriétés publiques qui, dans la capitale, comprenaient la moitié des maisons, moitié estimée à plus de 50,000,000 de francs. La plus grande partie du trésor à peine inventorié fut expédié pour la France (3), presque aussitôt que la nouvelle de la conquête portée au gouvernement par l'un des fils qui restaient au chef de l'expédition.

D'après les rapports officiels adressés à cette époque au gouver

(1) Le montant total des dépenses de tout genre au compte du ministère de la guerre pour cette expédition, arrêté le 20 octobre par l'intendant en chef, s'élevait à.

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...

Celui des dépenses d'occupation jusqu'au 1 janvier 1831 était estimé à. Les dépenses de la marine pour cette expédition avaient été, suivant un rapport officiel du 18 septembre, de.

Total.

20,000,000 fr.

5,000,000

23,500,000

48,500,000 fr.

(2) D'après des rapports postérieurs, 1542 pièces à feu, dont 677 canons mortiers et obusiers en bronze, ont été prises dans Alger et dans les forts qui en dépendent.

(3) Il est arrivé à Toulon, dans le premier mois de la conquête 1830, savoir : II millions envoyés sur le Duquesne, 10 par le Nestor, 6 par le Scipion, 13 par le Marengo, et 3 par la Vénus. En total, 43 millions, dont 2 millions.pro venaient de la caisse de l'armée, et 41 du trésor d'Alger,

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