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sera condamnée à un emprisonnement de trois mois à deux ans ; tandis que le mari adultère n'est passible d'aucune peine, à moins qu'il n'ait tenu sa concubine dans la maison conjugale, et dans ce cas même, malgré la circonstance aggravante de l'insulte, il ne sera puni que d'un emprisonnement d'un mois à un an (art. 387-389). Le code de 1810 ne le punissait que d'une amende (art. 339).

Telles sont les leçons de morale que la loi de l'inégalité donne à l'homme! Montesquieu a essayé de justifier cette révoltante inégalité. « Les lois, dit-il, demandent des femmes un degré de retenue et de continence qu'elles n'exigent pas des hommes, parce que la violation de la pudeur suppose dans les femmes un renoncement à toutes les vertus (1). » Si les lois font cela, les lois ont tort; car le législateur ne doit jamais donner des leçons d'immoralité, et il en donne quand il permet à l'homme de violer impunément le devoir de fidélité, tandis qu'il punit cette violation chez la femme. Vainement dit-on que l'adultère de la femme a des conséquences plus graves, puisqu'il introduit dans la famille et met à la charge du mari des enfants qui lui sont étrangers. C'est là une circonstance aggravante qui justifierait une peine plus forte, ce n'est certes pas une raison d'excuser l'adultère du mari. Bien moins encore est-ce une raison pour donner au mari le droit de divorcer, alors qu'on le refuse à la femme. L'inégalité conduit à l'injustice en même temps qu'à l'immoralité.

85. Les époux se doivent secours et assistance », dit encore l'article 212. Ces deux obligations se rapportent à ce qu'on appelle le poids de la vie. Notre existence a ses misères, besoins physiques et tourments de l'âme. L'époux doit à son conjoint les nécessités matérielles, c'est ce qu'on appelle l'obligation alimentaire; nous en avons parlé. Quant aux consolations, quant au dévouement qui allége les malheurs inévitables attachés à la condition. humaine, ces devoirs ressortissent au sentiment plus qu'au droit. C'est le domaine de l'affection conjugale, la plus

(1) Montesquieu, de l'Esprit des lois, XXVI, 8.

vive, la plus intense des affections. L'assistance dérivant de la morale plus que du droit, il n'en peut résulter d'action judiciaire. Il n'en est pas de même de l'obligation de se secourir. Toutefois les deux devoirs ont une sanction civile leur violation peut constituer une injure grave, ce qui est une cause de divorce ou de séparation de corps (art. 231, 306).

No 2. DE LA VIE COMMUNE.

86. « La femme, dit l'article 214, est obligée d'habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge à propos de résider le mari est obligé de la recevoir et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état. » Cette obligation dérive de l'essence même du mariage, puisqu'il implique nécessairement une vie commune. La communauté de vie suppose une seule et même habitation pour les deux époux; cette habitation est celle du mari; c'est la conséquence la plus naturelle, la plus légitime de la puissance maritale. De là le principe établi par l'article 108 que la femme n'a point d'autre domicile que celui de son mari. La loi comprend le domicile de fait aussi bien que le domicile de droit.

Le code Napoléon n'a fait que formuler les principes admis dans l'ancien droit. Pothier dit, presque dans les mêmes termes, que la femme est obligée de suivre son mari partout où il juge à propos d'aller demeurer ou résider; mais il ajoute, pourvu que ce ne soit pas hors du royaume et en pays étranger. Si le mari, dit-il, abjurant sa patrie, voulait s'y établir, la femme, qui doit encore plus à sa patrie qu'à son mari, ne serait pas obligée de l'y suivre (1). Le projet de code reproduisait cette exception; il portait : « Si le mari voulait quitter le sol de la république, il ne pourrait contraindre sa femme à le suivre, si ce n'est dans le cas où il serait chargé par le gouvernement d'une mission à l'étranger exigeant résidence. » Cette

(1) Pothier, De la puissance du mari, no 1.

disposition fut retranchée par le conseil d'État sur la demande réitérée du premier consul: il remarqua, avec raison, que l'obligation de la femme de suivre son mari étant générale et absolue, ne devait recevoir aucune modification (1). Rompre la vie commune, c'eût été rompre le mariage. On ne pouvait pas permettre à la femme de rompre le mariage par sa seule volonté, alors que, dans le système de la puissance maritale, elle n'a point de volonté, puisqu'elle doit obéir à son mari. Quant aux motifs donnés par Pothier, ils tiennent aux idées du vieux régime qui attachait l'homme à la terre où il avait vu le jour; l'abjuration de la patrie n'est plus un crime d'après notre droit public, c'est un droit qui découle de la liberté individuelle.

87. En principe, le devoir de cohabitation ne souffre donc pas d'exception. Est-ce à dire qu'il soit absolu? Tout le monde admet que l'obligation de la femme d'habiter avec son mari est subordonnée à l'obligation qui incombe au mari de la recevoir selon ses facultés et son état. Il a été jugé que lorsque la maison conjugale est dépourvue des premiers objets de nécessité, la femme n'est pas tenue de l'habiter; le bon sens suffit pour décider que la femme ne peut être obligée d'habiter une maison qui n'est pas habitable, et le droit ajoute que si la femme doit habiter avec le mari, c'est à charge par le mari de la recevoir (2). Les auteurs s'accordent encore à enseigner que si le mari cherchait son existence dans des moyens honteux, ou s'il tenait une concubine dans la maison commune, la femme ne serait pas obligée d'habiter avec lui (3). En effet, l'obligation que la loi impose au mari de recevoir sa femme n'est pas remplie, si le mari offre à la femme les quatre murs et les meubles, ainsi que les nécessités de la vie; cela n'est que l'élément matériel de la vie commune, mais la vie commune est avant tout une vie morale; si la femme ne trouve au domicile conjugal que le déshonneur et l'infamie, il n'y a plus de vie commune, partant pas d'obligation de la femme de la partager. Il a été très-bien jugé

(1) Séance du 5 vendémiaire an XI, nos 30 et 32 (Locré, t. II, p. 343 et s.), (2) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Mariage, no 749, 3°-7° (3) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 408, no 437.

que si le mari, tout en mettant un logement à la disposition de la femme, ne veut pas de vie commune, se tient dans un quartier à part où il refuse de recevoir sa femme, il dispense par cela même sa femme d'habiter la maison conjugale (1). Nous croyons qu'il faut décider, par les mêmes motifs, que si la femme subit de mauvais traitements au domicile du mari, elle ne sera pas tenue d'habiter avec lui. Vainement dit-on que la loi l'oblige à la cohabitation dès que le mari lui fournit les nécessités de la vie selon ses facultés et son état, Non, elle demande plus, elle prescrit la vie commune; et est-ce une vie commune que celle qui consiste en mauvais traitements? On dit que ces excès ou ces injures seront pour la femme une cause de divorce ou de séparation de corps, mais qu'ils ne la dispensent pas du devoir de cohabitation (2). Nous avons déjà rencontré cette objection et nous y avons répondu, avec la jurisprudence, que le divorce est un droit dont la femme peut ne pas user, et qu'il serait immoral de l'y obliger indirectement. Mieux vaut une séparation de fait qui peut venir à cesser, qu'une rupture définitive qui est toujours un grand mal alors même qu'elle est une nécessité (3),

88. L'obligation du mari de recevoir sa femme est-elle absolue? Il a été jugé que le mari n'était pas tenu de recevoir sa femme ni de lui fournir les aliments, quand celle-ci avait déserté le domicile conjugal pour se livrer à l'inconduite (4). Cela est douteux. Sans doute, la femme viole ses devoirs, et aussi longtemps qu'elle ne demande pas à rentrer dans le domicile conjugal, il ne peut être question de lui payer une pension alimentaire. Mais du moment qu'elle veut rétablir la vie commune, il n'y a pas de motif juridique pour le mari de s'y refuser, sauf le moyen extrême du divorce ou de la séparation de corps. Il y a, sous ce rapport, une différence entre le devoir de cohabitation de la femme et le devoir de cohabitation du mari.

(1) Arrêt de cassation du 20 janvier 1830 (Dalloz, au mot Mariage, n° 748, 3°).

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 117, no 97. (3) La jurisprudence est en ce sens (Dalloz, au mot Mariage, no 749, 8°. (4) Arrêt de Paris du 29 août 1857 (Dalloz, Recueil périodique, 1858, 2, 27).

Le premier est subordonné à un devoir corrélatif du mari, celui de recevoir sa femme; le second n'a point de corrélatif; il est donc absolu, et ne peut cesser que par la rupture légale de la vie commune.

89. L'obligation de la vie commune a-t-elle une sanction? C'est une des questions les plus controversées du code civil. Elle se présente d'ordinaire pour la femme. Si elle quitte le domicile conjugal, le mari peut-il la forcer d'y rentrer? Et quelles sont les voies de contrainte qu'il peut employer? L'opinion assez généralement suivie est que les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire en cette matière (1). Il y a des arrêts qui fondent ce prétendu pouvoir sur le silence de la loi. Le code établit un devoir, pour mieux dire une obligation civile; il ne dit rien de la sanction de ce devoir en faut-il conclure qu'il s'en rapporte aux tribunaux (2)? Ce raisonnement nous paraît trèspeu juridique. En principe, les tribunaux n'ont point de pouvoir discrétionnaire pour ce qui regarde l'exécution forcée des obligations légales ou conventionnelles; le code de procédure trace ces voies, et le juge n'en peut pas prescrire d'autres. Cela se conçoit les voies d'exécution sont de droit public; or, rien de ce qui touche le droit public n'est abandonné à l'arbitraire des tribunaux. Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait une volonté clairement manifestée du législateur. On prétend que les auteurs du code ont voulu, dans le cas de l'article 214, laisser plein pouvoir au juge (3). Mais la discussion qui a eu lieu au conseil d'Etat ne dit pas cela. La question qui y fut débattue n'était pas même la nôtre. On demandait si la femme serait obligée de suivre son mari à l'étranger. C'était l'avis du premier consul. Réal objecta qu'il ne voyait pas de moyen de forcer la femme; Regnauld répondit que le mari sommerait la femme de le suivre, et que si elle persistait dans son refus, elle serait censée l'avoir abandonné. Ce n'était pas répondre à l'objection; Réal répliqua qu'il fallait un ugement qui commandât à la femme de suivre son mari;

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(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 119, no 100. (2) Arrêt de Bruxelles du 1er avril 1824 (Dalloz, au mot Mariage, no 759). (3) Arrêt d'Aix du 23 mars 1840 (Dalloz, au mot Mariage, no 762, 4o).

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