Page images
PDF
EPUB

Supposons que les époux soient mariés sous le régime de la communauté légale. Il va sans dire que, si le mari donne pouvoir à la femme d'agir pour ses biens propres ou pour les biens de la communauté, il y a mandat et non autorisation. De là suit que si le pouvoir concerne l'administration des biens de la femme, il y a encore mandat; car sous le régime de la communauté, c'est le mari qui administre les biens de la femme; il s'agit donc d'un droit du mari, dès lors la femme ne peut l'exercer qu'en vertu d'un mandat. Si, au contraire, le pouvoir concerne la propriété des biens de la femme, ce prétendu pouvoir n'est, en réalité, qu'une autorisation, car il s'agit d'un droit de la femme. Il résulte de là que pour l'administration des biens de la femme, il n'y a jamais lieu à autorisation. Si cette administration appartient au mari, la femme n'y a plus aucun droit, donc elle ne peut agir qu'en vertu d'un mandat. Si le contrat de mariage donne à la femme l'administration de ses biens, elle peut faire tous les actes d'administration sans autorisation maritale; ou, comme le dit l'article 223, la clause du contrat de mariage est considérée comme une autorisation générale.

N° 2. SPÉCIALITÉ DE L'AUTORISATION.

113. L'autorisation doit être spéciale. L'article 223 interdit toute autorisation générale. Que faut-il entendre par autorisation spéciale? La question est controversée. Il nous semble que le texte et l'esprit de la loi la décident bien clairement. L'article 215 dit que la femme ne peut ester en jugement sans l'autorisation de son mari, ce qui implique que la femme doit être autorisée pour chaque procès où elle est demanderesse ou défenderesse. Quand il s'agit d'un acte extrajudiciaire, l'article 216 veut le concours du mari dans l'acte; cette expression nous révèle la pensée du législateur; il faut que, dans chaque acte que la femme passe, le mari intervienne pour l'approuver. La loi ajoute ou son consentement par écrit. » On doit enten

dre ces mots dans le même sens; l'autorisation expresse ne peut pas être régie par d'autres principes que l'autorisation tacite. L'esprit de la loi ne laisse aucun doute sur cette interprétation. Pourquoi le mari est-il appelé à autoriser sa femme? Pour sauvegarder les intérêts de la femme et ceux de la famille; or l'autorisation ne peut atteindre ce but que si le mari prend connaissance de chaque acte avant de l'autoriser. La loi exige encore l'autorisation, parce que la femme doit respect et obéissance au mari; ce qui implique également que la femme consulte son mari pour tout acte juridique qu'elle est dans le cas de passer. Serait-ce maintenir son autorité, si le mari donnait d'avance à la femme l'autorisation de faire tout ce qui lui plairait? Ce serait non pas exercer la puissance maritale, mais l'abdiquer. Or, la puissance maritale est d'ordre public, et partant il n'est pas permis d'y déroger (art. 6). La loi ne permet pas même aux futurs époux d'y déroger par leurs conventions matrimoniales, bien que le contrat de mariage soit le plus favorable de tous les contrats (art. 223, 1388).

Les auteurs du code n'ont fait que reproduire les principes consacrés par nos anciennes coutumes. Il importe de les rappeler puisqu'il y a controverse. Pothier nous apprend qu'il avait été déclaré dans plusieurs actes de notoriété, émanés du Châtelet de Paris, que l'autorisation doit être spéciale, c'est-à-dire mise dans l'acte même, ou par une procuration faite spécialement pour l'acte qui se passe (1). C'était aussi l'opinion unanime des auteurs. Pothier enseigne que l'autorisation du mari doit être spéciale pour tel et tel acte (2). « J'estime, dit Lebrun, que les autorisations doivent être spéciales en chaque affaire et en chaque contrat (3). »

66

Telle est aussi l'opinion généralement suivie sous l'empire du code. Il y a cependant des dissentiments et quelque hésitation dans la jurisprudence. Duranton et Zachariæ entendent le mot spécial dans le sens de déterminé; ils disent que l'autorisation est spéciale quand les biens sur

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 67.

(2) Pothier, Introduction au titre X de la coutume d'Orléans.
(3) Lebrun, De la communauté, livre II, chap. I, sect. IV, no 8.

lesquels elle porte sont déterminés par exemple, l'autorisation d'aliéner les immeubles situés dans tel département. Ce que la loi défend, selon ces auteurs, c'est l'autorisation donnée en termes généraux d'aliéner, d'hypothéquer, de plaider (1). Il a été décidé en ce sens que l'autorisation donnée à une femme “ d'emprunter les sommes qui lui sont et qui lui pourront être nécessaires pour payer ce qu'elle peut devoir, et pour faire des réparations à une de ses propriétés, ou pour en faire tel autre usage qu'elle trouverait bon, » est spéciale; l'arrêt a maintenu en conséquence les hypothèques que la femme avait consenties pour la garantie des emprunts par elle contractés (2).

Cette doctrine n'a pas prévalu dans la jurisprudence, et avec raison; elle s'écarte de la tradition, elle est contraire au texte et à l'esprit de la loi, tels que nous venons de les constater. La cour de cassation a jugé qu'il fallait un consentement spécial du mari pour chaque vente, chaque emprunt, chaque constitution d'hypothèque. Elle invoque l'article 1538, qui déclare nulle l'autorisation générale d'aliéner les immeubles de la femme; ce texte, dit la cour, s'étend, par identité de raison, aux emprunts et aux hypothèques (3). L'article 1538 ne nous paraît pas décisif: il ne dit pas ce qu'il faut entendre par autorisation générale; il faut donc recourir, comme nous l'avons fait, à l'ancien droit et à l'esprit de la loi (4).

114. Par application de ces principes, la cour de cassation a décidé que l'autorisation donnée par contrat de mariage d'aliéner un immeuble indiqué nommément était nulle; il fallait, dit-elle, que le mari intervînt lors de l'aliénation. Dans l'espèce, la vente s'était faite trente ans après le contrat de mariage, pour un prix que l'on prétendait inférieur à la valeur réelle, et sans que l'on sût ce que le prix était devenu. Le conseiller rapporteur remarqua

(1) Duranton, t. II. p. 417, no 449. Zachariæ, t. III, § 472, p. 333, note 42. (2) Arrêt de la cour de cassation du 3 janvier 1822 (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 852 1o).

(3) Arrêt du 18 mars 1840 (Dalloz, au mot Mariage, no 853, 1o).

(4) C'est l'opinion de la plupart des auteurs. Voyez Demolombe, t. IV. p 241, no 207.

avec grande raison qu'une pareille autorisation ne répondait pas du tout au but de la loi. Un consentement vague, donné trente ans d'avance, en vue d'une aliénation éventuelle, sans que le mari connût ni pût connaître l'acquéreur, ni les conditions de la vente, ni le prix, ni l'emploi du prix, est-ce là ce que le législateur a voulu en exigeant une autorisation spéciale? La faculté discrétionnaire, irrévocable, d'aliéner un immeuble, fût-il déterminé, s'accordet-elle avec l'obéissance que la femme doit au mari, à la protection que le mari doit à la femme (1)?

Il s'est présenté, devant la cour de cassation de Berlin, une question dont la solution met le principe dans tout son jour. Un mari autorisa sa femme à cautionner toutes les dettes qu'il pourrait contracter par suite des opérations d'affaires qu'il ferait avec un tiers. La cour de Cologne valida cette autorisation, parce qu'elle était donnée pour un acte spécial, le cautionnement, qu'il se rapportait à des personnes désignées et à un genre d'affaires déterminé. Son arrêt fut cassé par la cour de Berlin (2), parce que le cautionnement pour lequel l'autorisation avait été donnée était général; en effet, il comprenait non pas une seule obligation déterminée, mais l'ensemble de toutes les obligations qui pourraient résulter des relations d'affaires entre le mari et un tiers. Pour être spéciale, l'autorisation aurait dû être donnée pour chaque obligation contractée par le mari; la femme aurait su alors à quoi elle s'obligeait, tandis que, dans l'espèce, elle ne pouvait le savoir. Rien de plus dangereux qu'un cautionnement ainsi contracté. C'est dire que la femme n'avait pas joui de la protection que la loi veut lui assurer. L'autorisation était donc nulle. C'est ce qu'a très-bien décidé la cour de Metz dans une affaire analogue (3). Comme le dit une autre cour, « l'autorisation du mari est exigée nonseulement comme un hommage à la puissance maritale,

(1) Arrêt du 14 décembre 1840 (Dalloz, au mot Mariage, no 853, 2o). (2) Arrêt du 9 novembre 1846 (Dalloz, 1847, 2, 146). Décidé dans le même sens par la cour de Bruxelles (arrêt du 9 mars 1868, dans la Pasicrisie, 1868, 2,406).

(3) Arrêt du 7 juin 1849 (Dalloz, 1851, 2, 156).

III.

10

mais encore comme un acte de tutelle et de protection; il faut donc, pour que le but de la loi soit atteint, que l'autorisation soit donnée en pleine connaissance de cause, c'està-dire en vue d'un acte déterminé par la convenance et sur l'opportunité et les principales conditions duquel le mari puisse éclairer sa femme (1).

"

"

115. La règle que l'autorisation doit être spéciale reçoit des exceptions. Aux termes de l'article 223, « toute autorisation générale, même stipulée par contrat de mariage, n'est valable que quant à l'administration des biens de la femme. La femme peut stipuler par son contrat de mariage qu'elle aura la libre administration de ses biens. C'est ce qu'on appelle le régime de séparation de biens. La femme séparée de biens peut faire les actes d'administration sans y être autorisée par son mari, pour mieux dire, sans autorisation spéciale; la clause du contrat de mariage vaut comme autorisation générale (2). Pourquoi le législateur se relâche-t-il, dans ce cas, de la rigueur des principes? C'est par faveur pour le mariage. Il permet aux époux de convenir que la femme administrera ses biens; or, dès que la femme administre, elle doit avoir le droit de faire les actes d'administration sans une autorisation spéciale, parce que la nécessité d'une autorisation pareille pour chaque acte qu'elle voudrait passer, entraverait à chaque instant sa gestion.

Pothier enseigne que l'autorisation générale d'administrer peut aussi être donnée à la femme en dehors du contrat de mariage (3). L'article 223 semble reproduire cette doctrine. Toute autorisation générale, même stipulée par contrat de mariage, etc. » D'où l'on pourrait conclure que le mari peut donner à la femme une autorisation générale d'administrer, pendant le mariage. Pothier confond le mandat avec l'autorisation. Quand le contrat de mariage ne stipule pas que la femme aura la libre administration de ses biens, les époux sont mariés sous le régime de la communauté, sous le régime exclusif de com

(1) Arrêt de la cour de Caen du 27 janvier 1851 (Dalloz, 1852, 2, 27) (2) Articles 1536, 1449, 1576. Voyez le titre du Contrat de mariage. (3) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 67.

« PreviousContinue »