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munauté ou sous le régime dotal. Or, sous tous ces régimes, le mari a l'administration des biens de la femme; c'est un droit à lui. Il peut en déléguer l'exercice à sa femme, mais s'il le fait, c'est par voie de mandat et non par voie d'autorisation. Pothier lui-même le reconnaît implicitement; il parle, en effet, d'une procuration que le mari donne à sa femme; or, une procuration est un mandat; et il y a de grandes différences, comme nous l'avons dit plus haut, entre le mandat et l'autorisation. Pothier ne les distingue pas suffisamment, et cette inexactitude a passé dans l'article 223.

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116. La règle que la femme ne peut faire aucun acte juridique sans une autorisation spéciale de son mari, reçoit une seconde exception. D'après l'article 220, femme, si elle est marchande publique, peut, sans l'autorisation de son mari, s'obliger pour ce qui concerne son négoce. La loi s'exprime mal en disant que la femme commerçante peut s'obliger sans autorisation maritale; en effet, aux termes de l'article 4 du code de commerce, la femme ne peut être marchande publique sans le consentement de son mari; il lui faut donc une autorisation, mais une autorisation générale suffit. Ainsi l'article 220 consacre une exception au principe de l'autorisation spéciale. Pothier nous en dit la raison, c'est l'utilité, la nécessité du commerce s'il fallait à la femme une autorisation spéciale, elle devrait toujours avoir son mari à ses côtés, car les actes de commerce sont de tous les instants et ne souffrent aucun retardement (1).

Quand la femme est-elle marchande publique? L'article 220 porte: « Elle n'est pas réputée marchande publique, si elle ne fait que détailler les marchandises du commerce de son mari, mais seulement quand elle fait un commerce séparé. Quand la femme débite dans la boutique de son mari, elle fait office de facteur ou de fille de boutique. Lui faut-il, en ce cas, une autorisation? Non, car elle n'agit pas en son nom ni pour l'exercice de ses droits, elle agit au nom et dans l'intérêt du mari. C'est

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 20 et 21.

dire qu'elle est mandataire; le mari doit donc non l'autoriser, mais lui donner un mandat. La différence est grande entre la femme marchande et la femme mandataire : la première est personnellement obligée, tandis que l'autre ne s'oblige pas (art. 1420); c'est le mari seul qui contracte par l'intermédiaire de la femme mandataire. Quand la femme est marchande publique, le mari n'est pas, en principe, obligé par l'autorisation générale qu'il lui a donnée, car celui qui autorise ne s'oblige pas. Il y a exception si les époux sont mariés sous le régime de la communauté; en ce cas, dit l'article 220, la femme oblige aussi son mari. C'est l'application des principes qui régissent la communauté; toute dette contractée par la femme avec autorisation du mari devient dette de communauté, et toute dette de communauté est une dette du mari (art. 1419). Quand donc il y a communauté, le mari est obligé par l'autorisation aussi bien que par le mandat qu'il donne à la femme, mais il y a toujours cette différence que la femme mandataire n'est pas obligée personnellement.

Quand la femme est-elle commerçante? Il faut appliquer l'article 1er du code de commerce: Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle. Nous renvoyons au droit commercial pour les difficultés qui se présentent dans l'application du principe. Il en est de même pour les actes que la femme peut faire comme marchande publique. L'article 220 dit qu'elle peut s'obliger pour ce qui concerne son négoce; l'article 7 du code de commerce a expliqué et étendu cette disposition; il porte que les femmes marchandes publiques peuvent engager, hypothéquer et aliéner leurs immeubles. Il va sans dire que ces termes, quoique généraux, doivent être entendus en ce sens, que la femme marchande ne peut disposer de ses immeubles que dans l'intérêt de son commerce. La capacité de la femme marchande est une exception à un principe général; elle doit donc être restreinte dans les limites qui résultent de l'utilité du commerce. Le code lui-même applique cette règle d'interprétation. Aux termes de l'article 215, la femme ne peut ester en jugement sans l'autorisation de

son mari, quand même elle serait marchande publique. La nécessité qui a fait établir une exception pour les actes de commerce n'existe pas pour les procès; les uns, comme dit Pothier, ne souffrent pas de retardement, tandis que les autres se poursuivent, au contraire, avec une sage lenteur.

No 3. DE L'AUTORISATION EXPRESSE ET TACITE.

117. Il résulte de l'article 217 que l'autorisation maritale peut être expresse ou tacite. Dans ces termes généraux, la règle posée par le code n'est que l'application d'un principe élémentaire. L'autorisation est un consentement, et le consentement peut se manifester soit par une déclaration expresse, soit par des faits qui impliquent la volonté de consentir. Mais l'article 217 déroge aux principes généraux en ce qui concerne les caractères du consentement exprès et du consentement tacite. Le consentement exprès peut se donner, en général, verbalement aussi bien que par écrit, tandis que l'article 217 semble exiger un consentement par écrit. De même le consentement tacite résulte de toute espèce de faits qui manifestent la volonté de consentir; tandis que l'article 217 semble limiter le consentement tacite à un seul fait, le concours du mari dans l'acte. Y a-t-il réellement dérogation aux principes généraux? ou faut-il interpréter l'article 217 d'après ces principes? Il y a controverse et, à notre avis, inconséquence dans la doctrine sur ces questions élémentaires.

Le code définit l'autorisation tacite : c'est le concours du mari dans l'acte. Il définit aussi l'autorisation expresse : c'est le consentement par écrit. Ces définitions dérogent au droit commun. Ce sont donc des exceptions. L'interprète peut-il ne tenir aucun compte de ces exceptions et dire que, malgré les termes exceptionnels de la loi, c'est le droit commun qui doit recevoir son application? Cela nous paraît inadmissible. Nous demanderons à quoi bon des définitions qui, au fond, sont des exceptions, si le législateur

avait eu l'intention de maintenir le droit commun? On dit que ce que nous appelons définitions sont en réalité des exemples; qu'il faut interpréter en ce sens le texte de l'article 217, parce qu'il n'y a pas de raison pour déroger aux principes généraux. C'est ce que nous contestons. Il n'y a peut-être pas d'acte juridique aussi fréquent que l'autorisation maritale, et c'est un acte aussi important qu'usuel. Il fallait donc prévenir les contestations auxquelles il peut donner lieu. Čes contestations se seraient multipliées à l'infini, si le législateur avait admis toute espèce de manifestation de la volonté du mari. Cela est vrai surtout de l'autorisation tacite; rien de plus vague et par conséquent de plus difficile à déterminer. Cela est vrai aussi de l'autorisation expresse; si l'on admet un consentement verbal, une parole prononcée à la légère, ou extorquée par l'importunité, sera invoquée comme autorisation. Un pareil consentement serait en opposition avec le but de l'autorisation. Le mari doit examiner la nature et les conséquences de l'acte que la femme se propose de passer, il faut qu'il y réfléchisse sérieusement; il faut donc qu'il y ait une garantie que son approbation est donnée en connaissance de cause. Cette garantie on l'a, si l'on s'en tient au texte de l'article 217: quand le mari concourt dans l'acte, c'est la preuve d'une volonté sérieuse et raisonnée : quand il donne son consentement par écrit, il pèse ses paroles comme il calcule sa résolution. L'esprit de la loi est donc en harmonie avec le texte; l'un et l'autre demandent que l'article 217 soit interprété restrictivement. Tel est, suivant nous, le principe. En entrant dans les détails, nous verrons quelles sont les opinions divergentes.

118. L'autorisation expresse, dit l'article 217, est le consentement donné par écrit. Est-ce à dire que l'autorisation soit un acte solennel? Non, car la loi admet l'autorisation tacite; or, le consentement tacite exclut toute idée de solennité. De là, la plupart des auteurs concluent que l'autorisation peut se donner verbalement; tout ce qui, d'après eux, résulte de l'article 217, c'est que l'autorisation verbale ne peut se prouver par témoins. Encore Zachariæ enseigne-t-il que la preuve testimoniale serait admissible

dans les cas prévus par les articles 1347 et 1348 (1). Nous -rejetons cette doctrine parce qu'elle nous paraît contraire au texte et à l'esprit de la loi. Sans doute, l'autorisation n'est pas un acte solennel; mais, pour les motifs que nous venons de dire, la loi veut qu'elle soit constatée par écrit, ou prouvée d'une manière évidente par le concours du mari à l'acte. M. Demolombe est d'accord avec nous, en principe, mais, comme d'habitude, il fléchit dans l'application. Il repousse la preuve testimoniale, même quand il y aurait un commencement de preuve par écrit, et il admet le serment. C'est une inconséquence; il faut ou s'en tenir strictement à la lettre de la loi, ou admettre toute espèce de preuve, sauf la preuve testimoniale pure et simple (2). Notons encore l'inconséquence de ceux qui interprètent restrictivement la définition de l'autorisation tacite donnée par l'article 217, et qui s'écartent du texte, pour étendre, au delà de ses termes, l'autorisation expresse (3). Comment, dans une seule et même disposition, deux définitions du même fait juridique seraient-elles, l'une une définition restrictive, l'autre une espèce d'explication, et une explication très-obscure? Pourquoi, si le législateur voulait seulement repousser la preuve testimoniale, ne l'a-t-il pas dit en termes clairs et nets? Notre conclusion est que l'autorisation expresse ne peut se prouver que par écrit.

119. L'écrit doit-il être authentique? Le texte de la loi répond à la question; il exige seulement un écrit, donc tout écrit suffit. Il n'y avait pas de raison pour exiger un acte authentique; il y a, au contraire, un motif pour se contenter d'un acte sous seing privé, quel que soit cet acte, fût-ce une simple lettre; ces autorisations sont si fréquentes, que c'eût été entraver les relations civiles que d'exiger l'authenticité. Cela est de toute évidence quand l'acte passé par la femme est sous seing privé. Mais alors même que l'acte principal serait authentique, il y a plus, alors même que ce serait un acte solennel, tel qu'une do

(1) Demante, t. Ier, p. 424, n° 300 bis VII. Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, § 472, p. 336 et note 50.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 228, no 193. (3) Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 396.

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