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rien de commun avec la lésion. Il va sans dire que lans les cas où la femme n'a pas besoin d'autorisation, il ne peut être question de nullité.

No 2. QUI PEUT OPPOSER LA NULLITÉ.

I. Du mari.

158. L'action en nullité appartient au mari, d'après l'article 225. Tant que dure le mariage, son droit est incontestable; il peut attaquer l'acte fait par la femme sans y être autorisée, en se fondant sur le seul défaut d'autorisation. L'intérêt du mari est moral dans ce cas; il venge son autorité que la femme a méprisée. Notre texte le dit : "La nullité fondée sur le défaut d'autorisation. » Le mari peut-il encore attaquer l'acte après la dissolution du mariage? Il ne le peut plus au nom de la puissance maritale violée, puisqu'il n'y a plus de puissance à sauvegarder. Le peut-il s'il y a un intérêt pécuniaire? Oui; l'article 225 le prouve, puisqu'il donne l'action en nullité aux héritiers du mari; à plus forte raison, le mari doit-il l'avoir; mais comme il ne peut plus agir en vertu d'un intérêt moral, et qu'il n'y a pas d'action sans intérêt, il faut dire qu'il devra fonder son action sur un intérêt pécuniaire. Cela arrivera rarement, mais cela peut arriver. La femme a renoncé à une succession mobilière qui devait entrer en communauté; ses cohéritiers se sont emparés du mobilier héréditaire. Dans ce cas, le mari a certes intérêt à demander la nullité de la renonciation s'il ne l'a pas fait pendant le mariage, il pourra le faire après la dissolution du mariage. Ses créanciers mêmes le pourraient, parce que le droit du mari est purement pécuniaire; tandis qu'ils ne pourraient pas agir pendant le mariage, parce qu'alors le droit du mari est purement moral (1).

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 567, article 225, no III. La cour de cassation a décidé que les créanciers peuvent agir même pendant le mariage, si le mari a un intérêt pécuniaire à l'annulation (arrét du 14 août 1822, dans Dalloz, au mot Mariage, no 939). Nous reviendrons sur la question, au titre des Obligations.

II. De la femme.

159. La femme peut demander la nullité en se fondant sur le défaut d'autorisation. Elle le peut sans qu'elle soit tenue de prouver qu'elle a été lésée. La loi ne l'exige pas, et avec raison. Il n'y a pas à distinguer s'il s'agit d'un acte d'administration ou d'un acte de disposition. On fait cette distinction pour le mineur; on ne la fait pas pour la femme mariée, et il n'y avait pas lieu de la faire. La loi veut que la femme soit autorisée, pour sauvegarder nonseulement ses intérêts, mais ceux de toute la famille. Puisque l'autorisation est considérée comme nécessaire pour protéger la famille, la conséquence en doit être que par cela seul que la femme a agi sans être autorisée, ces intérêts sont présumés lésés. Donc la femme doit avoir le droit d'agir en nullité, par cela seul qu'elle n'a pas été autorisée.

160. La femme peut-elle demander la nullité si elle n'a pas déclaré, dans l'acte, qu'elle était mariée? ou si elle s'est déclarée fille ou veuve? ou si elle a employé des manoeuvres frauduleuses pour faire croire qu'elle n'était pas mariée? Nous croyons qu'il faut distinguer. Si la femme figure dans une instance judiciaire, ou dans un acte, comme fille, sans qu'elle ait fait de déclaration à cet égard, elle peut agir en nullité. Dans ce cas, il n'y a aucun doute et tout le monde est d'accord (1). On ne peut rien reprocher à la femme que son silence, mais ce n'est pas à elle à faire connaître sa qualité; c'est à celui qui traite avec elle à s'en informer. La question devient plus douteuse quand la femme s'est déclarée fille ou veuve. Si elle n'a pas employé de manoeuvres frauduleuses, il faut appliquer par analogie l'article 1307, qui porte: « La simple déclaration de majorité, faite par le mineur, ne fait point obstacle à sa restitution. » Pourquoi la loi permet-elle au mineur d'agir en nullité, quoiqu'il se soit dé

(1) Marcadé, t. Ier, p. 567, article 225, no II. Arrêt de la cour de cassation du 15 novembre 1836 (Dalloz, au mot Mariage, no 959, 3o).

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claré majeur? Si la simple déclaration de majorité suffisait pour valider l'acte fait par un mineur, la protection que la loi a voulu lui assurer serait le plus souvent illusoire; la déclaration de majorité deviendrait de style, et le mineur serait sans garantie. Ces motifs s'appliquent aussi à la femme mariée (1); il faut donc dire avec l'adage que là où il y a même raison de décider, il doit y avoir même décision. Les tiers diront-ils qu'ils ont été trompés? Cette considération n'a pas arrêté le législateur quand il s'agit des mineurs elle ne doit pas davantage nous arrêter quand il s'agit d'une femme mariée. C'est aux tiers à s'informer, et rien n'est plus facile, puisque les registres de l'état civil sont publics. Le principe est généralement admis par la doctrine et par la jurisprudence. Marcadé objecte qu'il y a une différence entre le mineur et la femme mariée; que l'on peut, au seul aspect de la figure d'un mineur, deviner ou soupçonner son âge; tandis que l'on ne peut pas lire, sur le visage d'une femme de trente ans, si elle est mariée, veuve ou fille. Singulier argument! Que faudrait-il donc décider si la femme avait vingt et un ans? Ce n'est pas la figure que les tiers doivent consulter, ce sont les actes de l'état civil.

La jurisprudence est, en général, en ce sens (2). Il y a cependant un arrêt contraire de la cour de cassation. Elle a jugé que si la femme se dit autorisée par son mari dans un acte d'appel, et si elle paraît sous le même titre dans les qualités de l'arrêt, elle ne peut pas agir en nullité; la cour se fonde sur l'authenticité des actes dans lesquels la femme a été dite autorisée; ces actes, dit-elle, font foi en justice, jusqu'à inscription de faux (3). Il y a là une singulière confusion d'idées. Qu'est-ce qui est prouvé jusqu'à inscription de faux par l'acte où la femme se déclare autorisée? C'est le fait matériel que la femme a fait cette déclaration; mais il ne prouve pas que cette déclaration soit vraie, il ne prouve pas que la femme est réellement auto

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 54.

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 959, et arrêt de Dijon du 1er juin 1854 (Dalloz, 1856. 2, 230).

(3) Arrêt du 24 février 1820 (Dalloz, au mot Mariage, no 959, p. 445).

risée. Si elle ne l'a pas été, elle peut demander la nullité, sans qu'on puisse lui opposer la déclaration mensongère qu'elle a faite.

161. Reste la dernière hypothèse. La femme a employé des manœuvres frauduleuses, elle a produit un faux acte de décès pour faire croire qu'elle est veuve. Peut-elle, en ce cas, agir en nullité? Il est certain qu'elle est responsable de son dol, et qu'elle doit réparer le dommage qu'elle cause. La difficulté est de savoir en quoi consistera cette réparation? L'opinion la plus générale et la plus juridique, à notre avis, est que dans ce cas l'acte reste valable, et que la femme n'en peut demander la nullité. On le décide ainsi par analogie de l'article 1310, qui porte : « Le mineur n'est point restituable contre les obligations résultant de son délit ou de son quasi-délit. » Il résulte de là que le mineur ne peut pas demander la nullité des actes dans lesquels il a employé des manoeuvres frauduleuses pour tromper les tiers, car ce fait est plus qu'un quasi-délit, c'est un délit civil et parfois un délit criminel. Ici l'analogie entre le mineur et la femme mariée est complète; il faut donc admettre la même décision. Zachariæ objecte l'article 216, aux termes duquel l'autorisation du mari n'est pas nécessaire lorsque la femme est poursuivie en matière criminelle. La réponse à l'objection est très-facile : la femme n'est pas poursuivie criminellement; il s'agit d'intérêts purement civils; de là suit que l'obligation qu'elle contracte est nulle; seulement la femme n'en peut demander la nullité à raison de son délit. Telle est l'opinion commune (1). Elle est fondée en raison aussi bien que sur les textes. La partie trompée a droit à une réparation; la plus naturelle est de maintenir à son profit l'acte nul, en lui permettant d'opposer l'exception de nullité à la femme qui invoquerait le défaut d'autorisation.

Les tiers peuvent être induits en erreur sans qu'il y ait dol de la part de la femme. Pothier suppose qu'une femme n'est pas avec son mari; on ignore son mariage dans le

(1) Voyez les auteurs et les arrêts cités dans Dalloz, au mot Mariage, n° 960.

lieu où elle demeure; elle passe dans le public pour fille. Si elle contracte sans autorisation maritale, pourra-t-elle demander la nullité? Pothier décide qu'elle sera valablement engagée. Comme il n'était guère possible, dit-il, en ce cas, aux personnes qui ont contracté avec cette femme, de s'informer si elle était mariée, on ne peut leur imputer de ne l'avoir pas fait. C'est le cas d'appliquer la vieille maxime que l'erreur commune fait droit (1). Cette opinion est généralement suivie, et elle a été consacrée par la jurisprudence (2). Elle est sans doute fondée en équité; mais l'interprète peut-il admettre une exception fondée sur l'équité, alors que cette exception déroge à un texte de loi? Pothier le pouvait, et il lui arrive bien souvent de décider en équité; mais Pothier n'était pas lié par un code; il lui était donc permis, en un certain sens, de faire le droit. Il n'en est pas de même sous l'empire de notre législation, comme nous en avons déjà fait la remarque (3). Il faut laisser là l'équité, et consulter les principes. La maxime que l'erreur commune fait droit est fausse, car jamais l'erreur ne peut faire droit. Mais il faut voir qui a produit cette erreur. Si c'est la femme, ne peut-on pas dire qu'elle s'est rendue coupable d'un quasi-délit? Pour qu'il y ait quasidélit, il suffit que l'on cause un dommage par son fait, par sa négligence, par son imprudence. La femme, pas plus que le mineur, n'est restituable contre ses quasi-délits (art. 1310). En ce sens, nous admettons qu'elle ne peut pas demander la nullité des engagements qu'elle a contractés, alors que c'est par son fait que les tiers ont ignoré son mariage. A plus forte raison en serait-il ainsi si les époux avaient tenu leur mariage secret (4).

162. L'article 1312 modifie les principes que nous venons d'exposer, en ce sens que si la femme a obtenu l'annulation d'un acte passé sans autorisation, elle est tenue de rembourser ce qu'elle a reçu en vertu de cet en

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 54.

(2) Demolombe, t. IV, p. 429, no 332. Arrêt d'Agen du 18 novembre 1822 (Dalloz, au mot Mariage, no 385).

(3) Voyez le tome Ier de mes Principes, p. 41, no 29.

(4) Arrêt de la cour de cassation du 1er septembre 1808 (Dalloz, au mot Mariage, no 962, 1o). Comparez Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 403.

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