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thèses? La cour de cassation l'a fait. Un mariage avait été célébré au Brésil, devant le curé, selon la loi du pays. Le curé rédigea un acte de célébration, mais il ne le signa pas et ne l'inscrivit pas sur le registre à ce destiné. Il en fut de même de tous les actes de mariage reçus vers cette époque par ledit ministre du culte. Vint ensuite un nouveau curé; l'évêque lui ordonna de signer tous les actes restés irréguliers, et de les classer à leurs dates en forme de registres. C'est de l'acte ainsi régularisé que l'on produisit une expédition devant la cour de Paris. L'acte fut attaqué, parce qu'il ne portait pas la signature du curé qui, disait-on, avait célébré le mariage; il ne mentionnait pas même son nom. La cour décida qu'il y avait lieu d'appliquer l'article 196, le mariage, réellement célébré, ayant été suivi d'une longue possession d'état. Sur le pourvoi en cassation, il fut jugé que l'article 196 doit recevoir son application dans tous les cas où l'acte est nul, sans qu'il y ait à distinguer entre les vices de forme qui l'entachent, la possession d'état couvrant tous les vices (1).

Il y a une objection contre cette interprétation. On pourrait dire qu'un acte non signé, non inscrit sur un registre, est plus que nul, qu'il est inexistant, et que les actes non existants ne peuvent produire aucun effet (article 1131). L'objection est fondée, dans la rigueur des principes, mais elle ne l'est point sur les textes, ni même sur l'esprit de la loi. En effet, la loi est générale, comme le remarque la cour de cassation; l'article 196 parle de la nullité de l'acte de célébration, sans distinguer entre la nullité proprement dite et la non-existence de l'acte. Cette distinction n'est consacrée par aucun texte en matière d'actes de l'état civil; elle est purement doctrinale. Il résulte de la discussion sur le titre des Actes de l'état civil que les auteurs du code ont supposé qu'il pourrait y avoir des causes de nullité. On peut donc dire avec la cour de cassation que le défaut de signature est un de ces cas, et que cette nullité est couverte par la possession d'état.

(1) Arrêt du 26 juillet 1865 (Dalloz, Recueil périodique, 1865, 1, 493).

§ II. De la possession d'état.

8. La règle établie par l'article 194 reçoit plusieurs exceptions d'abord dans les cas prévus par l'article 46, que nous avons déjà expliqué (1). L'article 197 consacre une seconde exception au profit des enfants. Quand ce sont les enfants qui demandent à prouver la célébration du mariage de leurs père et mère, la loi se montre moins sévère qu'à l'égard des époux. Ceux-ci ne peuvent jamais invoquer la possession d'état, tandis que la loi permet aux enfants de s'en prévaloir, quand leurs père et mère sont décédés. Quelle est la raison de cette faveur?« Les conjoints, dit Portalis, ne peuvent raisonnablement ignorer le lieu où ils ont contracté l'acte le plus important de leur vie; mais, après leur mort, tout change. Des enfants, souvent délaissés, dès leur premier âge, par les auteurs de leurs jours, ou transportés dans des contrées éloignées, ne connaissent et ne peuvent connaître ce qui s'est passé avant leur naissance. Quelle sera leur ressource? La jurisprudence ne les condamne point au désespoir. Ils sont admis à prouver que les auteurs de leurs jours vivaient comme époux et qu'ils avaient la possession de leur état. » Il faut ajouter que la double possession qu'ils invoquent n'est pas leur ouvrage; on ne peut donc pas les soupçonner de s'être créé un titre à eux-mêmes. Ces considérations justifient l'exception que la loi fait en faveur des enfants; toutefois elles ne sont pas décisives, en ce sens que d'autres parents ou des tiers pourraient également invoquer l'impossibilité où ils sont de représenter l'acte de célébration; eux aussi peuvent dire qu'ils ignorent le lieu où le mariage aurait été célébré; et néanmoins la loi ne leur permet pas de se prévaloir de la possession d'état. C'est donc une disposition de faveur établie dans l'intérêt des enfants; elle peut donner lieu à erreur, il se peut que la double possession d'état ne soit point l'expression de la vérité; mais la légitimité des enfants est si favorable que le législateur a

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 62 et suiv., no 43-53.

mieux aimé reconnaître comme légitimes des enfants qui ne le sont pas, que de mettre tous les enfants dans l'impossibilité de prouver leur état dès qu'ils n'ont pas d'actes inscrits sur les registres.

9. A quelles conditions les enfants jouissent-ils de cette faveur? Il faut d'abord que les père et mère soient tous deux décédés, dit l'article 197. Si l'un d'eux vit encore, les enfants peuvent apprendre par lui dans quelle commune le mariage a été célébré; par suite, il n'y a plus de raison pour les dispenser de produire l'acte de célébration. Il se présente cependant un cas dans lequel il y a doute. C'est le survivant qui est le contradicteur de l'enfant. Evidemment, l'enfant est dans la même impossibilité que si ses père et mère étaient décédés tous deux. Faut-il donc faire une exception à la loi, et admettre l'enfant à prouver sa légitimité par la possession d'état, bien que l'un des prétendus époux vive encore? Non, il n'appartient pas à l'interprète de créer des exceptions; la loi accorde une faveur à l'enfant, mais sous les conditions qu'elle détermine; dès que ces conditions ne sont pas remplies, l'enfant ne peut pas invoquer le bénéfice de la loi. Il y a un arrêt en ce sens de la cour de Toulouse (1). On a objecté que c'était mettre l'enfant à la merci d'un père dénaturé. La cour répond que l'objection s'adresse au législateur; que de deux maux, la loi a choisi le moindre. Sans doute, il peut arriver qu'un père soit assez dénaturé pour répudier son enfant; mais il pourrait arriver aussi qu'un aventurier invoquât la possession d'état pour réclamer un état auquel il n'a aucun droit; et la preuve se faisant par témoins, il y aurait danger de surprise. Voilà pourquoi le législateur veut qu'en règle générale l'enfant représente l'acte de mariage; il serait aussi dangereux que peu juridique d'étendre l'exception de faveur que la loi admet, quand il n'y a pas impossibilité légale de se procurer cet acte.

10. Que faut-il décider si les père et mère ou le survivant sont absents, ou en état de démence? Merlin fait, en ce cas, le même raisonnement que nous venons de faire.

(1) Arrêt du 24 juillet 1826 (Dalloz, au mot Mariage, no 422),

L'article 197 porte: « Si néanmoins il existe des enfants issus de deux individus qui ont vécu publiquement comme mari et femme, et qui soient tous deux décédés. » Que signifie le mot néanmoins? Il signale clairement une exception qui va modifier, en faveur des enfants, la règle en vertu de laquelle le mariage doit se prouver par la représentation de l'acte de célébration. Cette exception dépend de plusieurs conditions spécifiées avec soin, et l'une de ces conditions est que les père et mère soient tous deux décédés. Donc, si le père ou la mère vit encore au moment où il s'élève des contestations sur la légitimité des enfants, l'exception cesse, et les enfants rentrent dans la règle générale; par conséquent, ils ne peuvent prouver le mariage que par l'acte de célébration (1). Il y a deux arrêts en ce sens (2).

La question est douteuse. Nous préférons l'opinion contraire, enseignée par Duranton et suivie par M. Demolombe (3). On peut dire d'abord que la loi prévoit le cas qui se présente d'ordinaire, le décès des père et mère, mais sans entendre exclure les autres cas où il y aurait impossibilité pour l'enfant d'apprendre par ses père et mère le lieu où leur mariage a été célébré; mais cette raison ne répond pas suffisamment à l'argument de Merlin. Nous sommes dans une matière exceptionnelle, donc tout est de la plus rigoureuse interprétation. Cet adage est vrai, mais il ne faut pas l'outrer : il y a des cas où l'exception ellemême forme une espèce de règle, en ce sens qu'elle découle d'un principe général (4). Quel est le principe dont l'article 197 fait l'application au cas de décès? Quand l'enfant a ses père et mère, il doit produire l'acte de célébration de leur mariage, parce qu'il peut apprendre par eux où leur union a été célébrée. Cela suppose que les père et mère peuvent manifester leur volonté; mais s'ils sont

(1) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, question II (t. XVII, p. 357).

(2) Arrêts de Toulouse du 24 juin 1820 et de Paris du 23 février 1822 (Dalloz, au mot Paternité, nos 333 2°, et 312).

(3) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 211, no 255. Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 576, no 396.

(4) Voyez le tome ler de mes Principes, no 277, p. 353.

absents ou aliénés, comment l'enfant apprendra-t-il par eux le lieu où ils se sont mariés? Il y a ici une impossibilité légale, aussi grande que celle qui résulte du décès. Donc l'enfant doit avoir le droit d'invoquer le bénéfice de la loi, en cas d'absence ou de démence aussi bien qu'en cas de décès. Ce n'est pas étendre l'exception, c'est l'appliquer. Au premier abord, on pourrait croire qu'il y a contradiction entre cette décision et celle que nous avons admise dans le cas où le survivant des père et mère est l'adversaire de l'enfant. Non, les deux cas diffèrent. Quand le père vit et qu'il est capable de manifester sa volonté, l'enfant ne peut plus dire qu'il est dans l'impossibilité légale de s'adresser à lui; tandis qu'il est dans cette impossibilité, quand le père est absent ou aliéné aussi bien que lorsque le père est décédé.

11. La seconde condition exigée par l'article 197, c'est que l'enfant soit issu de deux individus qui ont vécu publiquement comme mari et femme; c'est-à-dire que ceux dont il se prétend l'enfant légitime avaient la possession d'état d'époux. C'est précisément en cela que consiste la faveur que la loi lui accorde. Quand y a-t-il possession d'état d'époux? C'est une question de fait que les tribunaux décideront d'après les circonstances de la cause (1). Il faut de plus que l'enfant prouve que lui aussi a la possession d'état d'enfant légitime. Sur ce dernier point, il y a une légère difficulté de texte. Toutes les fois, dit l'article 197, que cette légitimité est prouvée par une possession d'état qui n'est point contredite par l'acte de naissance. La loi ne dit pas formellement qu'il s'agit de la possession d'état de l'enfant; les termes une possession d'état pourraient à la rigueur recevoir leur application aux père et mère. Toutefois, il n'y a pas de doute que la loi n'exige une double possession d'état, d'abord celle des père et mère, ce qui est dit au commencement de l'article 197, puis celle de l'enfant, dont il est question à la fin de l'article. Merlin établit ce point avec un vrai luxe de science (2).

(1) Voyez les arrêts cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 252.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, question VIII (t. XVII, p. 375).

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