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plir leur destinée; dès lors l'époux lésé doit avoir le droit de demander la dissolution du mariage. Qu'est-ce donc que le divorce? C'est la rupture légale du mariage, mais cette rupture légale ne fait que constater la rupture morale; c'est celle-ci qui est le vrai fondement du divorce.

Si nous approuvons le divorce, nous n'entendons pas justifier toutes les dispositions du code Napoléon sur cette matière. Nous faisons nos réserves en ce qui concerne le divorce par consentement mutuel, et le divorce qui peut être la suite de la séparation de corps. Ces réserves, cela va sans dire, s'adressent au législateur. L'interprète doit accepter la loi telle qu'elle est faite, et l'appliquer d'après l'esprit qui a inspiré ses auteurs.

CHAPITRE II.

DES CAUSES DU DIVORCE.

SECTION I. Principes généraux.

177. Le divorce a lieu pour causes déterminées et par consentement mutuel. On entend par causes déterminées des faits qui constituent une infraction grave aux obligations qui naissent du mariage. Ce sont l'adultère, les excès, sévices et injures graves, la condamnation à une peine infamante. On peut rattacher à ce premier cas de divorce celui qui est la conséquence de la séparation de corps (art. 310), car la séparation de corps ne peut être prononcée que pour les causes déterminées qui autorisent le divorce (art. 306, 229-232).

Le divorce a aussi lieu par consentement mutuel. Cette expression ne rend pas la pensée du législateur. Il n'a pas

entendu (1) autoriser la dissolution du mariage par un consentement contraire à celui qui l'a formé. Il en est ainsi dans les contrats ordinaires qui concernent des affaires d'argent et où les parties seules sont intéressées. Le mariage, bien qu'il se forme par le concours de consentement, diffère essentiellement des contrats pécuniaires; il est le fondement de la société, et ce serait une base bien frêle que celle qui serait à la merci des passions changeantes de l'homme. De là suit qu'il est impossible d'admettre que la volonté seule des époux dissolve le mariage; ils peuvent bien stipuler dans leur intérêt, mais il ne leur est pas permis de renoncer à ce qui est d'intérêt social (2). Si la loi admet le divorce par consentement mutuel, c'est pour que les époux ne soient pas obligés de déshonorer leur famille, en révélant des faits qui peuvent entraîner contre le conjoint coupable des condamnations criminelles. Le législateur a organisé les conditions et la procédure de manière qu'il soit prouvé suffisamment qu'il existe une cause péremptoire de divorce (art. 233).

178. Il va sans dire qu'il ne peut y avoir de divorce. hors des cas prévus par la loi, et il est tout aussi évident que ces cas sont de stricte interprétation. L'indissolubilité du mariage est la règle; ce n'est qu'à regret, et forcé par la faiblesse humaine, que le législateur admet des exceptions. La cour de Colmar a fait une singulière application de ce principe. Un époux demanda le divorce pour cause d'injure grave; le jugement l'admit en faisant résulter l'injure grave de l'adultère. La cour réforma cette décision, en décidant qu'il n'y avait pas lieu à prononcer le divorce, parce que l'injure grave est une cause distincte de celle qui se fonde sur l'adultère, d'où elle conclut que l'adultère ne pouvait pas être considéré comme une injure grave (3). Les traducteurs de Zachariæ. disent que cette décision ne doit pas être suivie, du moins

(1) Cela se lit cependant dans le rapport fait au Tribunat, par Savoye Rollin, no 16 (Locré, t. II. p. 580) : « On a trouvé naturel que le même consentement qui avait tissu le lien pût le défaire.

(2) Portalis, Discours au sein du conseil d'Etat, séance du 14 vendé miaire an x, no 15 (Locré, t. 11. p. 468).

(3) Arrêt du 8 décembre 1807 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 438).

en matière de séparation de corps, où les tribunaux peuvent se montrer moins formalistes parce que les conséquences sont moins graves (1). Il nous semble qu'on ne peut pas la suivre davantage en matière de divorce. Sans doute, les effets du divorce sont plus considérables. Mais qu'importe? L'époux lésé n'en a pas moins le droit de demander le divorce; et tout droit est placé sous la sauvegarde de la loi et de la justice. Or, qu'arriverait-il si l'on interprétait le code dans l'esprit formaliste qui a dicté l'arrêt de Colmar? On reviendrait au bon vieux temps de la chicane, où le défaut d'une virgule faisait perdre les procès. Quoi! voilà un époux qui prouve l'adultère de son conjoint, et vous lui refusez le divorce parce qu'il a appelé l'adultère une injure grave! Ne dirait-on pas que c'est le demandeur, c'est-à-dire le conjoint innocent, qui est coupable et qu'il faut le traiter en criminel? Il est vrai que, dans la procédure du divorce par consentement mutuel, le législateur se montre formaliste; mais là sa sévérité a une raison d'être; il accumule les formalités, parce que c'est le seul moyen de s'assurer qu'il existe une cause péremptoire de divorce. Il n'en est plus de même du divorce pour cause déterminée. Dès qu'une cause légale est établie, il en résulte un droit pour l'époux innocent, et ce serait compromettre ce droit que de se prévaloir de la moindre irrégularité pour l'entraver et l'anéantir.

SECTION II.

Du divorce pour cause déterminée.

§ Ier. Des causes.

No 1. DE L'ADULTÈRE.

179. La loi établit une différence entre l'adultère du mari et celui de la femme. Aux termes de l'article 229, le simple adultère de la femme autorise le mari à demander le divorce; tandis que la femme ne peut pas demander le

(1) Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, § 137, note 3, p. 248.

divorce pour le simple adultère du mari; il faut de plus cette circonstance aggravante que le mari a tenu sa concubine dans la maison commune. Nous nous sommes déjà élevé contre l'inégalité que le code Napoléon établit entre l'homme et la femme (n° 84). Vainement dit-on que les mœurs et les lois demandent à la femme une pudeur qu'elles n'exigent pas de l'homme (1). Si les mœurs sont ainsi faites, elles ont tort, et les lois aussi. Mais cela fûtil aussi vrai que cela est faux, qu'est-ce que cela prouverait pour les causes de divorce? L'homme n'est plus libre, il a engagé sa foi; y a-t-il un autre devoir de fidélité pour lui que pour sa femme? La fidélité qu'il promet à sa femme veut-elle dire qu'il lui sera permis d'être infidèle tant qu'il voudra? Ce serait un singulier engagement que celui qui impliquerait la faculté d'y manquer à plaisir? Il est trèsvrai que l'infidélité de la femme a ou peut avoir des conséquences plus graves que l'adultère du mari (2). C'est une raison pour lui infliger une peine plus forte. Mais en matière de divorce, il ne s'agit pas de peine; il s'agit uniquement de la violation d'un engagement réciproque, et sous ce rapport les torts des deux époux sont certes les mêmes; donc le droit qui en résulte pour la partie lésée devrait aussi être le même.

Au conseil d'Etat, Boulay avoua qu'en réalité le crime d'adultère était le même des deux côtés, que partant il ne devait pas y avoir de différence dans le droit de poursuivre l'action qui en résulte. Lacuée dit que punir l'adultère du mari dans le cas seulement où il tient sa concubine dans la maison commune, c'est l'autoriser dans les autres. N'est-ce pas là une immoralité? Regnier ajouta que l'adultère en matière de divorce ne doit être considéré que dans les effets qu'il produit entre les époux; que, sous ce rapport, le tort est le même, soit que le crime appartienne au mari, soit qu'il appartienne à la femme. Tronchet finit par adopter cet avis. Quand il s'agit d'établir une peine contre l'adultère, dit-il, il est juste de faire une distinction qui

(1) Demolombe, t. IV, p. 470, no 369.

(2) Tronchet, dans la discussion du conseil d'Etat, séance du 24 vendé miaire an x, no 14 (Locré, t. II, p. 494).

sert à graduer la peine d'après les conséquences; mais lorsque l'adultère n'est considéré que par rapport au divorce, tout doit être égal entre les époux. Voilà la vraie doctrine. Elle fut admise par le conseil d'Etat au premier vote (1). C'était celle du droit canon, et elle a été consacrée par le code hollandais (art. 264, 1o).

180. Quoique la disposition de l'article 230 soit con. traire aux principes, il faut l'interpréter dans l'esprit qui l'a dictée. L'adultère est un crime, il n'y a pas de crime. sans texte; voyons donc quelles sont les conditions requises par le code Napoléon pour que l'adultère du mari soit une cause de divorce. Il faut qu'il ait tenu sa concubine dans la maison commune. Qu'entend-on par concubine? Faut-il la continuité d'un commerce illégitime pour qu'il y ait concubinage dans le sens de la loi? Zachariæ dit que cela n'est pas nécessaire (2). Nous voudrions admettre cette opinion, parce qu'elle est en harmonie avec les vrais principes, mais le texte et l'esprit de la loi ne le permettent pas. Qu'est-ce qu'une concubine, d'après le Dictionnaire de Î'Académie? C'est celle qui, n'étant pas mariée avec un homme, vit avec lui comme si elle était sa femme. » Il faut donc qu'il y ait une vie commune pendant un temps plus ou moins long. Il résulte de là une nouvelle inégalité entre l'homme et la femme un seul fait d'adultère suffit pour que le mari puisse demander le divorce; il en devrait être de même pour l'adultère du mari. Mais il y a dans notre texte une seconde expression qui nous empêche d'admettre cette interprétation. L'article 230 dit : lorsqu'il aura tenu sa concubine dans la maison commune. Le code pénal dit (art. 339): qui aura entretenu une concubine dans la maison conjugale. Les mots tenir et entretenir expriment l'un et l'autre l'idée d'une continuité de rapports entre l'homme et la femme. L'inégalité, d'ailleurs, ne l'oublions pas, est dans l'esprit de la loi; nous devons

(1) Séance du 24 vendémiaire an x, no 2 et 14 (Locré, t. II, p. 487 et 494), et les observations de Regnier au second vote (séance du 4 brumaire an x, n° 4 (Locré, t. II. p. 513).

(2) Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 249, note 3. L'opinion contraire est généralement enseignée (Demolombe, t. IV, p. 471. n 370).

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