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Il nous semble que le texte ne laisse aucun doute sérieux : une possession d'état qui peut être contredite par l'acte de naissance ne peut être que la possession d'état de l'enfant. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes. Si Merlin n'avait agité la question, elle ne mériterait pas même d'être posée. On conçoit facilement pourquoi la loi se montre si rigoureuse. Elle se défie de la possession d'état des époux, parce qu'il arrive si souvent qu'elle est l'œuvre de la fraude; elle veut donc qu'elle soit confirmée par la possession d'état de l'enfant; si cette double preuve n'écarte pas le danger, elle le diminue du moins.

12. On demande comment l'enfant prouvera sa possession d'état. Au point de vue des principes, la question n'en est pas une. La possession d'état d'enfant légitime est définie par l'article 321; elle se compose d'un ensemble de faits dont la preuve doit être administrée par l'enfant : comme il s'agit de faits purs et simples, la preuve pourra se faire par témoins. A en croire Portalis, il suffirait que l'enfant produisît son acte de naissance, s'il y est qualifié d'enfant légitime. C'est une erreur évidente, mais il importe d'y insister, ne fût-ce que pour montrer que les travaux préparatoires du code ne sont pas un Evangile.

Il suffit, dit Portalis, que la possession d'état des père et mère soit énoncée dans l'acte de naissance des enfants; cet acte est leur titre. C'est dans le moment de cet acte que la patrie les a marqués du sceau de ses promesses; c'est sous la foi de cet acte qu'ils ont toujours existé dans le monde; c'est avec cet acte qu'ils peuvent se produire et se faire reconnaître; c'est cet acte qui constate leur nom, leur origine, leur famille; c'est cet acte qui leur donne une cité et qui les met sous la protection des lois de leur pays... Leur destinée est irrévocablement fixée par l'acte inscrit dans des registres que la loi elle-même a établis pour constater l'état des citoyens, et pour devenir, pour ainsi dire, dans l'ordre civil, le livre des destinées (2). Merlin dit qu'il a de la peine à croire que Portalis ait

(1) Dalloz. Répertoire, au mot Mariage, no 423.
(2) Exposé des motifs, no 55 (Locré, t. II, p. 394).

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professé cette doctrine à la tribune du Corps législatif; il suppose qu'il y a une erreur qui s'expliquerait par la cécité presque complète de l'auteur. Mais la pensée est si développée, qu'il est difficile de l'attribuer à quelque méprise. Toujours est-il que l'opinion exprimée dans l'exposé des motifs est en opposition avec le texte de l'article 197 et avec les principes les plus élémentaires de droit. Le code exige impérieusement la preuve d'une double possession d'état, alors même qu'il y aurait un acte de naissance. Sans doute, l'acte de naissance est la preuve par excellence de la filiation des enfants légitimes; mais il faut pour cela que le mariage de leurs père et mère soit prouvé, et quand il ne l'est pas par l'acte de célébration, la loi veut qu'il le soit par une double possession d'état. La jurisprudence et la doctrine sont unanimes (1).

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13. L'article 197 exige encore une troisième condition. Il faut que la possession d'état ne soit point contredite par l'acte de naissance. » On demande si l'enfant doit produire un acte de naissance. Le texte ne l'exige pas, et l'interprète ne peut pas établir, pour l'exercice d'un droit, des conditions que la loi ne prescrit point. Dans l'espèce, cela ne peut pas faire le moindre doute. Le projet portait : Toutes les fois qu'un acte de naissance, appuyé de la possession d'état, prouve la légitimité. » Ainsi les auteurs du code voulaient que l'enfant eût un acte de naissance, appuyé de la possession d'état; mais cette rédaction ne fut pas admise, elle fut remplacée par une rédaction qui veut seulement que la possession d'état ne soit pas contredite par l'acte de naissance. Le changement est radical. Il ne faut donc plus d'acte de naissance; il faut que l'acte, s'il y en a un, ne contredise pas la possession d'état. Cela est en harmonie avec l'esprit de la loi. Pourquoi dispenset-elle l'enfant de la représentation de l'acte de mariage? Parce qu'il peut ignorer le lieu où ses père et mère se sont mariés. Sait-il davantage le lieu où il est venu au monde? L'enfant n'est donc pas tenu de représenter son acte de

(1) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, question VI (t. XVII. p. 369). La jurisprudence est conforme. Voyez les arrêts cités dans Dalloz, au mot Paternité, u" 320.

naissance, il en est dispensé par cela seul que ses père et mère sont morts. Si l'adversaire de l'enfant soutient que la possession d'état est contredite par l'acte de naissance, c'est à lui à le produire. Il y aurait contradiction si l'acte de naissance portait que l'enfant est un enfant naturel. Il n'y aurait pas contradiction si l'acte se bornait à dire que l'enfant est né de père et mère inconnus (1).

14. Quel sera l'effet de la preuve que l'enfant fera de la double possession d'état prescrite par l'article 197? La loi dit que sa légitimité ne pourra être contestée sous le seul prétexte du défaut de l'acte de célébration. » Merlin induit de là que l'enfant a pour lui une présomption de légitimité. Le mot est répété par M. Demolombe et par la jurisprudence (2). Est-il exact? La loi ne le prononce pas, et à vrai dire il ne peut pas s'agir d'une véritable présomption. Il y a présomption quand d'un fait connu la loi tire une conséquence à un fait inconnu (art. 1349). Dans l'espèce, le législateur ne procède pas par voie de raisonnement. Il admet l'enfant à faire preuve de sa légitimité par la possession d'état. Le résultat de la preuve est naturellement que la légitimité de l'enfant est établie. Serat-elle à l'abri de toute contestation? L'article 197 dit qu'elle peut être contestée, mais qu'elle ne peut l'être sous le seul prétexte du défaut de représentation de l'acte de célébration. C'est dire que la preuve par possession d'état tiendra lieu à l'enfant d'acte de mariage. Or, l'acte de mariage peut être combattu par toute preuve contraire; on peut soutenir que le mariage est nul ou inexistant.

Ön demande quelle preuve sera admise? Puisque la loi ne contient aucune disposition spéciale, il faut décider que la preuve se fera d'après les principes généraux. La possession d'état se prouve par témoins. D'après le droit commun, les présomptions sont admises quand la preuve testimoniale est admise. Il suit de là que l'adversaire de l'enfant sera reçu à proposer des présomptions graves,

(1) Valette sur Proudhon, Traité de l'état des personnes, t. II, p. 72, note. Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 187, note 12, et les auteurs cités par Dalloz, au mot Paternité, no 330.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section II, § 2, question IX (t. XVII, p. 380). Demolombe, t. III, p. 586, n" 406.

précises et concordantes pour combattre la possession d'état (art. 1353). Les principes généraux reçoivent ici leur application, puisqu'il s'agit de prouver des faits. M. Demolombe repousse les présomptions, mais sans donner de motifs à l'appui de son avis, puis il ajoute qu'il est facile de comprendre qu'il appartient aux magistrats, en fait, d'apprécier le caractère et la force des différentes preuves qui peuvent être produites (1). C'est dire oui et non. La science du droit demande plus de précision et de rigueur. S'il est vrai que la loi repousse les présomptions, il faut maintenir la règle qu'elle établit, et dire que les tribunaux n'ont pas le droit de les admettre. Sans doute, ils ont un certain pouvoir d'appréciation en matière de preuves. Mais ce pouvoir ne va pas jusqu'à recevoir une preuve que la loi repousse.

l'on

15. La jurisprudence a consacré une doctrine beaucoup plus favorable à l'enfant (2). Elle part du principe formulé par Merlin, que l'article 197 établit une présomption. de légitimité au profit de l'enfant; que la présomption peut, à la vérité, être combattue par une preuve contraire, mais que cette preuve doit être directe et décisive, qu'elle ne peut pas consister dans d'autres présomptions que opposerait à celles de la loi. Merlin appuie cette doctrine sur l'autorité de d'Aguesseau et de Voet (3). Mais pour que l'on puisse recourir aux anciens principes, il faut prouver que le code les a maintenus. En supposant, ce que nous n'admettons pas, que l'article 197 crée une vraie présomption, il y aurait lieu d'appliquer la règle qui admet la preuve contraire. Or, l'article 1352, qui autorise la preuve contre les présomptions légales, ne limite pas ces preuves; par cela même il les admet toutes, sous les conditions. déterminées par la loi ce qui exclut la doctrine enseignée par Merlin. Après tout, la présomption n'est qu'un simple raisonnement. Pourquoi ne pourrait-on pas combattre par des preuves légales un raisonnement fondé sur des probabilités? Dans l'espèce, la présomption est, dit-on,

(1) Demolombe. Cours de code Napoléon, t. III, p. 585, no 405. (2) Arrêt de Paris du 18 décembre 1837 (Dalloz, au mot Mariage, no 590 1". (3) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, no 9.

qu'il y a mariage. Qu'est-ce à dire? Il est probable qu'il y a mariage, mais il est possible aussi, et il est arrivé plus d'une fois que, malgré la double possession d'état, il n'y avait pas de mariage. Pourquoi n'en pas permettre la preuve? La jurisprudence admet cette preuve, mais elle exige qu'elle soit directe; par exemple, dit la cour de Paris, la preuve de la célébration d'un autre mariage de chacun des père et mère, ou de l'un d'eux, avec une autre personne. Certes, quand une pareille preuve existe, l'enfant ne peut plus se prévaloir de l'article 197; la probabilité cède devant la certitude résultant d'un acte authentique (1). Mais faut-il nécessairement cette preuve directe et authentique? Ce serait dépasser la loi; et à force de favoriser la légitimité, on aboutirait à favoriser le concubinage (2).

La cour de Lyon et la cour de cassation ont appliqué l'article 197 dans une espèce où il y avait un contrat de mariage devant notaire et possession d'état. Tous les parents déclaraient que la promesse de mariage n'avait pas été suivie de mariage (3). Ces cas se présentent tous les jours, dit-on, dans les grandes villes; voilà pourquoi l'on a bien fait de rejeter la possession d'état comme preuve du mariage. La loi l'admet en faveur des enfants, mais il ne faut pas pousser l'indulgence à l'excès; sinon, le concubinage deviendra la preuve du mariage, si l'on a soin de donner une apparence de légitimité à des relations coupables.

Dans une autre espèce, il y avait eu un mariage religieux célébré par le ministre protestant, en vertu d'une lettre du ministre de la justice portant que les étrangers qui se marient en France peuvent se marier suivant les lois de leurs pays. Cet acte de célébration était représenté; néanmoins la cour de Paris et la cour de cassation décidèrent qu'il y avait lieu d'appliquer l'article 197. Le mariage était évidemment nul; il était donc démontré que les

(1) Le cas s'est présenté. Voyez arrêt de Douai du 8 mars 1845 (Dalloz, 1845, 2, 163).

(2) C'est l'opinion de Toullier (t. II, no 878).

(3) Arrêt de la cour de cassation du 8 mai 1810 (Dalloz, au mot Paternité, no 322").

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