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212. La réconciliation éteint l'action; toutefois, dit l'article 273, le demandeur pourra en intenter une nouvelle pour cause survenue depuis la réconciliation, et alors faire usage des anciennes causes pour appuyer sa nouvelle demande. Toute réconciliation est conditionnelle par sa nature; l'époux qui pardonne les offenses, le fait parce que son conjoint lui promet d'être à l'avenir fidèle à son devoir. S'il manque à cette promesse, le pardon doit être considéré comme non avenu; les nouveaux torts dont le conjoint se rend coupable font revivre les anciens et les aggravent. Peu importe que l'époux lésé ait ou non intenté une action en divorce. L'article 273 suppose, il est vrai, qu'une première action a été intentée, mais il ne fait que prévoir une hypothèse, il ne prescrit pas de condition. L'époux qui pardonne sans agir en justice témoigne d'autant plus d'indulgence; et si son conjoint, au lieu de repentir et de reconnaissance, montre par sa conduite qu'il est indigne du pardon qui lui a été accordé, certes il ne pourra pas s'en prévaloir. Peu importe encore que les anciens faits aient été allégués dans le premier procès, peu importe qu'ils aient été admis ou rejetés; c'est une nouvelle instance qui s'engage, et la loi elle-même fait revivre les anciens faits (1).

On demande quel doit être le caractère des faits nouveaux. Doivent-ils être assez graves pour autoriser par eux-mêmes le divorce? On comprend à peine que la question soit posée. Il y a cependant des arrêts qui exigent cette condition (2); mais s'il en est ainsi, à quoi bon la disposition de l'article 273? Elle devient un non-sens; pour qu'elle ait une signification, il faut admettre les nouveaux torts comme autorisant la demande en divorce, quoiqu'ils n'aient point, par eux seuls, la gravité requise par la loi, et qu'ils ne l'acquièrent qu'en y ajoutant les faits anciens. Cette interprétation est aussi conforme aux principes. A vrai dire, l'article 273 n'accorde pas une faveur à l'époux lésé, il ne fait qu'appliquer les principes qui régissent les

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 532, nes 423 et 425. (2) Arrêts de Rouen et de Nîmes dans Dalloz, au mot Séparation de corps,

n° 216.

contrats; car le pardon implique un concours de volontés. Dès que l'époux coupable ne tient pas ses engagements, le pardon cesse et les anciens torts revivent. Telle est la doctrine des auteurs, ainsi que de la plupart des arrêts (1). Il n'est pas nécessaire que les faits nouveaux soient de même nature que les anciens; la loi ne l'exige pas, et il n'y avait pas de raison pour l'exiger; tous les faits se réduisent, en définitive, à un seul, violation des devoirs qu'impose le mariage; peu importe, au point de vue du divorce, en quoi consiste la violation (2).

No 2. DE LA COMPENSATION.

213. On dit qu'il y a compensation, en matière de divorce, en ce sens que les torts du demandeur affaiblissent ceux de l'époux coupable, à ce point que la faute de celuici n'a plus assez de gravité pour que le tribunal admette le divorce. Il est évident qu'il ne peut pas s'agir d'une vraie compensation. On ne paye pas une offense avec une autre offense. N'y aurait-il plus de vol, si le voleur était volé à son tour? Dirait-on que les deux vols se compensent? Il serait tout aussi absurde, tout aussi immoral de dire que les torts des deux époux se compensent réciproquement et qu'il n'en naît plus aucune action. Logiquement, au contraire, il faut dire qu'il en naîtra deux actions, puisqu'il y a deux époux offensés; loin donc qu'il n'y ait plus de cause de divorce, il y a double cause.

Cependant l'idée de compensation s'est fait jour en matière de divorce. La cour d'Agen avait proposé d'inscrire cette fin de non-recevoir dans le code, pour le cas où le demandeur qui imputerait à son conjoint de mauvais procédés, et surtout l'adultère, serait lui-même coupable de la même faute. Les auteurs du code civil n'admirent pas cette singulière théorie. Cela suffit pour la rejeter. Elle a été reproduite par Duranton, et d'autres auteurs l'enseignent. On la fonde sur l'article 336 du code pénal, aux

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, nos 217 et 433, 2o. (2) Arrêt de la cour de cassation du 6 juin 1853 (Dalloz, 1853, 1, 244). (3) Merlin, Questions de droit, au mot Adultère, §§ VIII et IX.

termes duquel le mari qui a tenu une concubine dans la maison commune n'est pas admis à dénoncer l'adultère de sa femme. Si, en matière criminelle, où certes un délit ne compense pas l'autre, la loi oppose au mari une fin de non-recevoir quand lui-même est coupable du crime qu'il impute à sa femme, à plus forte raison, dit-on, faut-il admettre cette fin de non-recevoir en matière civile, alors que, se fondant sur l'adultère de son conjoint pour demander le divorce, il se trouve que le demandeur est coupable du même crime. Et s'il en est ainsi en cas d'adultère, pourquoi n'en serait-il pas de même des excès, sévices et injures graves? La raison est identique, et là où il y a même raison de décider, il doit y avoir même décision (1).

Cette opinion n'a pas trouvé faveur. Nous croyons, avec M. Demolombe (2) et avec la jurisprudence, qu'il n'y a aucune analogie entre la dénonciation de l'adultère devant les tribunaux correctionnels et l'action en divorce. La première tend à l'application d'une peine, et c'est le mari seul qui peut dénoncer le délit. Pouvait-on admettre le mari à demander la punition de sa femme adultère, alors qu'il tient une concubine dans la maison conjugale? La demande en divorce est fondée sur la violation d'un devoir, et dès que ce fait est constaté, il doit y avoir dissolution du mariage. Vainement dira-t-on que celui qui viole lui-même ses devoirs ne peut pas se plaindre de ce que le conjoint viole les siens. S'il y a, de part et d'autre, violation du contrat, en inférera-t-on qu'il n'y a pas de violation, et qu'il faut maintenir un mariage où chacun des époux souille le lit conjugal? Il faut, au contraire, donner à chacun des époux le droit de demander le divorce, soit par voie d'action, soit par voie d'exception.

Le droit accordé aux deux époux de demander le divorce, quand tous les deux sont coupables, est la vraie solution de la difficulté. Elle se fonde sur les principes de droit, car là où il y a une cause de divorce, il doit y avoir

(1) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 521, nos 574-576. (2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 522 et suiv., no 415.

dissolution du mariage (1). Elle est en harmonie avec le sentiment moral, car la conscience se révolte à l'idée que le mariage devienne indissoluble, par la raison que les deux époux comblent la mesure du scandale. Il reste, il est vrai, une certaine anomalie entre le droit criminel et le droit civil, L'anomalie vient de ce que le code pénal de 1810 donne au mari seul le droit de dénoncer l'adultère de la femme, et il le déclare non recevable s'il est luimême adultère; le code ne dit pas la même chose de la femme. Le code pénal belge (art. 390) met les deux époux sur la même ligne et ne reproduit plus la fin de non-recevoir consacrée par la législation française. Cela rétablit l'harmonie entre le droit civil et le droit criminel.

En citant un arrêt de la cour d'Orléans contraire à son opinion, Duranton dit qu'il est à croire qu'il ne fera pas jurisprudence. Les tribunaux se sont, au contraire, prononcés pour l'opinion de Merlin; la cour d'Orléans dit qu'on ne peut admettre d'autres fins de non-recevoir que celles qui sont établies par la loi. Cette raison suffit pour décider la question (2). Il résulte de là que la condamnation de l'un des époux pour adultère ne le rend pas non recevable à demander le divorce pour sévices ou injures graves (3).

214. S'il n'y a jamais de compensation proprement dite, en matière de divorce, néanmoins les torts du demandeur peuvent parfois être invoqués par le défendeur, sinon pour se justifier, du moins pour s'excuser. Ce point est très-délicat et demande une grande réserve dans l'application. Nous allons d'abord citer des arrêts qui ont rejeté la demande en divorce ou en séparation de corps, en se fondant sur les torts de l'époux demandeur. Il a été jugé que les sévices ou injures graves ne pouvaient servir de fondement à la demande en divorce, lorsque l'époux qui s'en plaignait les avait provoqués par son inconduite; que

(1) Arrêts de Bruxelles du 16 janvier 1860 (Pasicrisie, 1860, 2, 37) et de Douai du 4 février 1851 (Dalloz, 1853, 2, 152).

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, n° 194. Arrêt de Bruxelles du 27 juin 1832 (Pasicrisie, 1832, 2, 191).

(3) Arrêt de Bruxelles du 8 mai 1850 (Pasicrisie, 1850, 2, 328). Arrêt de la cour de cassation du 10 juin 1824 (Dalloz, au mot Séparation de corps, n° 194, 7°).

des coups portés par un mari à sa femme, alors qu'ils trouvaient leur excuse dans des dépenses excessives, dans des défauts de caractère et des courses au dehors, n'étaient pas une cause suffisante de divorce; qu'une demande en divorce pour cause d'adultère n'était pas recevable de la part du mari qui avait laissé sa femme dans une habitation isolée, loin de lui et dans une société notoirement dangereuse pour les mœurs de celle-ci (1). Il a été jugé que des sévices et des injures provoqués par la conduite légère et inconvenante de la femme, ainsi que par ses procédés vexatoires, n'avaient plus la gravité suffisante pour légitimer le divorce; que les torts du demandeur, bien que ne formant pas une fin de non-recevoir formelle, diminuaient la gravité des injures dont se plaignait le défendeur, en sorte qu'il n'y avait plus de cause de divorce (2). Les cours de France ont rendu des arrêts analogues en matière de séparation de corps; leurs arrêts sont d'ordinaire motivés sur ce que les torts de l'un des époux sont une espèce de provocation qui atténue les torts du défendeur, et leur enlève la gravité requise par la loi pour qu'ils deviennent une cause de divorce. La doctrine est d'accord avec la jurisprudence (3).

Est-ce bien par la provocation que se justifient les arrêts que nous venons de rapporter? La provocation implique que l'injure ou les mauvais traitements suivent immédiatement le fait qui constitue la provocation. Ce n'est pas ainsi que les cours ont apprécié les torts réciproques des époux. Elles se considèrent comme une espèce de jury appelé à décider si les causes alléguées par le demandeur ont la gravité que la loi requiert pour la dissolution du mariage; si la conduite de l'un des époux est telle, qu'elle produit chez l'autre une irritation en quelque sorte permanente, les torts de celui-ci sont par là atté

(1) Arrêts d'Angers du 3 juin 1813, de Turin du 25 messidor an XII, de Paris du 6 avril 1811 (Dalloz, au mot Séparation de corps, nos 466, 468). (2) Arrêts de Bruxelles du 15 mars 1854, du 19 décembre 1857 et de Gand du 2 août 1861 (Pasicrisie, 1855, 2, 353; 1858, 2, 357; 1862, 2, 176).

(3) Voyez les auteurs et les arrêts cités dans Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, nos 198 et 195, et arrêt de la cour de cassation du 30 mars 1859 (Dalloz, 1859, 1, 466).

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