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Cela ne décide-t-il pas la question? Non, l'action intentée est l'action en divorce, et celle-là s'éteint par la mort de l'un des époux. Dès cet instant, l'action tombe, le tribunal est dessaisi. Il s'agit donc non pas de continuer une action, mais d'en intenter une nouvelle. Or, il est impossible que les héritiers du demandeur intentent une action en divorce, et tout aussi impossible que le demandeur agisse en divorce contre les héritiers du défendeur. La raison ne le conçoit pas et les principes de droit s'y opposent. Il n'y a pas deux actions en divorce, l'une tendant à la dissolution du mariage, l'autre ayant pour objet de priver l'époux coupable des avantages qui lui ont été faits par son conjoint; il n'y en a qu'une, et son but essentiel est de rompre le mariage. Quant à la perte des avantages, c'est un effet du divorce prononcé conçoit-on qu'il y ait un effet du divorce, alors qu'il n'y a pas de divorce? Sans doute, la justice et la morale demanderaient que la mort ne profitât pas à l'époux coupable et à ses héritiers. Mais pour qu'ils pussent être privés des avantages matrimoniaux, il faudrait que le législateur organisât une action spéciale et principale, en dérogeant à l'article 959, aux termes duquel les donations en faveur de mariage ne sont pas révocables pour cause d'ingratitude. Quant aux donations faites pendant le mariage, il n'est pas besoin d'une action en révocation, puisqu'elles sont toujours révocables (article 1096) (1). Nous reviendrons sur la révocation pour cause d'ingratitude, en traitant de la séparation de corps.

N° 2. COMPÉTENCE.

218. L'action en divorce, étant une action civile, doit naturellement être portée devant les tribunaux civils. Mais que faut-il décider quand les faits sur lesquels elle se fonde constituent un délit? L'article 234 répond à notre question : « Quelle que soit la nature des faits ou des dé lits qui donneront lieu à la demande en divorce pour cause

(1) C'est l'opinion assez généralement suivie (Demolombe, t. IV, p. 536, nos 429-431).

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déterminée, cette demande ne pourra être formée qu'au tribunal de l'arrondissement dans lequel les époux auront leur domicile. Est-ce que cette disposition déroge aux principes qui régisssent l'action civile naissant d'un délit? On sait que cette action peut être portée devant le tribunal qui connaît du délit; et, à première vue, on pourrait croire que l'action en divorce fondée sur un délit est une action civile naissant du délit. Non, l'action civile qui naît d'un délit est une action en dommages et intérêts, par conséquent essentiellement pécuniaire; rien ne s'oppose à ce que les tribunaux criminels la décident. Tandis que l'action en divorce n'a pas pour objet de réparer le dommage que le délit cause à l'époux offensé; elle tend à la dissolution du mariage; cette dissolution, loin d'être favorable aux intérêts pécuniaires du demandeur, peut lui être défavorable. Il y a un plus grand intérêt en cause qu'un intérêt d'argent, l'union conjugale. C'est donc une question d'état que le juge est appelé à décider; dès lors elle doit être portée devant les tribunaux civils. En réalité, l'action en divorce, quoique fondée sur un fait qui constitue un délit, ne dérive pas du délit comme tel, elle dérive de la violation d'un devoir conjugal; voilà pourquoi les tribunaux civils seuls en peuvent connaître.

219. Quel est le tribunal compétent? C'est, d'après l'article 234, le tribunal de l'arrondissement dans lequel les époux ont leur domicile. La femme ayant pour domicile légal celui de son mari, c'est devant le tribunal de ce domicile qu'elle doit porter son action. Peu importe que le mari ait changé depuis peu de domicile. Il en a le droit, et quand le changement est constant, la femme ne peut plus intenter son action à l'ancien domicile (1). Si le mari change de domicile après que l'instance est engagée, il va sans dire que ce fait ne changera pas la compétence. Reste seulement à déterminer le moment précis où le procès commence. Il a été jugé, et avec raison, que la requête présentée au président du tribunal est le premier

(1) Arrêt de Colmar du 12 décembre 1816 (Dalloz, au mot Séparation d3 corps, no 229).

acte de procédure, et que cette requête répondue par une ordonnance lie l'instance; dès lors elle doit continuer devant le tribunal dont le président est membre (1).

La règle établie par l'article 234 souffre exception dans le cas prévu par l'article 310. Quand les époux sont séparés de corps, ils n'ont plus de domicile commun, puisqu'il n'y a plus de vie commune (2). On rentre donc dans les principes généraux, d'après lesquels le domicile du défendeur détermine la compétence. C'est l'opinion de Proudhon (3).

220. Si le fait pour lequel le divorce est demandé constitue un crime ou un délit, le ministère public peut certes poursuivre l'époux coupable; son action est absolument indépendante de la demande en divorce; il agit dans l'intérêt social, son droit ne peut être limité par une action civile fondée sur le crime ou le délit. L'article 235 suppose que le ministère public intente une poursuite criminelle contre l'époux coupable, et il décide que, dans ce cas, l'action en divorce restera suspendue jusqu'après l'arrêt de la cour de justice criminelle. C'est une application du principe que le criminel tient le civil en état. A la rigueur, l'action en divorce aurait pu continuer, puisqu'elle ne naît réellement pas du délit, mais il en serait résulté une contrariété de décisions judiciaires, si le tribunal civil avait rejeté la demande en divorce à raison d'un fait que le tribunal criminel aurait admis comme constant.

Quelle sera l'influence du jugement criminel sur l'instance en divorce? Si l'époux est acquitté, l'influence est nulle; il peut ne pas y avoir délit et néanmoins cause déterminée de divorce; le procès civil reprendra alors son cours. Si l'époux est condamné, le jugement de condamnation servira de preuve au demandeur en divorce. Décidé par la cour de Liége que le jugement correctionnel qui condamne l'époux pour injures et coups envers son conjoint, est une justification suffisante de la cause déter

(1) Voyez les arrêts dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 91. (2) Voyez le tome II de mes Principes, p. 115, no 85.

(3) Proudhon. Traité sur l'état des personnes, Ier, p. 489.

minée du divorce demandé par l'époux lésé (1). La différence que nous établissons entre l'acquittement de l'époux en matière criminelle et sa condamnation résulte de l'article 235; il porte que l'on ne peut inférer du jugement rendu par le tribunal criminel aucune fin de non-recevoir ou exception préjudicielle contre l'époux demandeur en divorce. Cela suppose l'acquittement de l'époux. Il est jugé, à la vérité, que l'époux n'est pas coupable du délit pour lequel il a été poursuivi, mais cela ne prouve pas que le fait qui lui est imputé ne soit une cause de divorce. S'il y a condamnation, le fait qui constitue la cause de divorce est authentiquement constaté par le jugement. Le jugement peut donc être invoqué comme preuve.

N° 3. DE LA PROCÉDURE.

I. Principes généraux.

221. Le code de procédure, après avoir prescrit les formes d'après lesquelles la demande en séparation de corps doit être intentée, ajoute (art. 881): « A l'égard du divorce, il sera procédé comme il est prescrit au code civil. » C'est donc le code Napoléon qui règle la procédure en matière de divorce, et non le code de procédure. Les formes prescrites pour la demande en divorce sont toutes spéciales, parce que le but que le législateur a en vue est un but particulier. Le législateur n'aime pas le divorce; il ne l'accepte que comme une nécessité; il cherche à l'empêcher, en prescrivant des tentatives réitérées de conciliation; il veut qu'une sage lenteur donne aux passions le temps de se calmer. Tandis que, dans les matières ordinaires, l'accès des tribunaux ne saurait être trop facile, ni la procédure trop rapide, dans la procédure en divorce, la loi ralentit la marche de l'instruction, afin que les parties aient à chaque pas l'occasion de réfléchir et de s'arrêter. C'est dans ces termes que l'orateur du gouvernement a exposé l'esprit de la loi (2).

(1) Arrêt du 29 juin 1820 (Pasicrisie, 1820, 2, 174).

(2) Treilhard, Exposé des motifs, no 26 (Locré, t. II, p. 570).

Faut-il conclure de là, avec la cour de cassation, que le code Napoléon renfermant un système complet d'instruction sur les demandes en divorce, on ne peut recourir aux règles de la procédure ordinaire que si un texte l'ordonne expressément (1)? Cela nous paraît trop absolu. Il y a d'abord des règles générales de procédure, dont le code civil ne s'occupe pas; telles sont les formes des jugements. Il est certain que celles-là sont régies par le code de procédure. Ici, l'article 881 ne s'applique pas, car il ne s'agit pas de règles spéciales concernant le divorce. La question devient plus délicate quand il se trouve des lacunes dans le code Napoléon peut-on et doit-on les combler en recourant au code de procédure? L'affirmative résulte des principes qui régissent l'interprétation des lois. Quand il y a deux lois de date différente sur une seule matière, il faut les appliquer l'une et l'autre, en tant que la dernière ne déroge pas à la plus ancienne. Ici il ne peut pas être question d'abrogation. Seulement on pourrait soutenir, comme l'a fait la cour de cassation, que l'article 881 exclut l'application du code de procédure. Mais le texte n'est pas exclusif, il ne dit pas que dans aucun cas on ne peut appliquer le code de procédure; il ne fait que maintenir les dispositions du code civil sur le divorce; c'est donc comme si elles étaient insérées dans le code de procédure. Eh bien, s'il en était ainsi, on comblerait, sans doute aucun, les lacunes du chapitre consacré au divorce par les règles générales établies dans les autres parties du code. La jurisprudence a consacré ces principes en matière d'enquête. Elle a décidé que le code civil, contenant un mode particulier d'instruction pour les enquêtes, il faut s'en tenir, en général, à ces dispositions; il n'y a donc pas lieu à appliquer les dispositions du code de procédure sur les interpellations à faire aux témoins, ni sur les mentions expresses que ledit code requiert. Mais cela n'empêche pas de compléter le code civil par le code de procédure; ainsi l'article 255 du code Napoléon ne dit rien sur les changements ou additions que les témoins peuvent faire

(1) Arrêt du 28 décembre 1807 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no475),

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