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dise et qu'il expose les faits sur lesquels se fonde la cause qu'il allègue. Peut-il, après qu'il a remis sa requête au président, proposer d'autres faits? Il faut distinguer. Si ces faits constituent une nouvelle cause de divorce, on doit répondre négativement, car ce serait en réalité intenter une nouvelle action; il faudrait donc une nouvelle requête, car la demande en divorce doit, avant tout, être remise au président, afin qu'il essaye de détourner l'époux de son dessein. Mais si l'époux allègue des faits qui ne constituent pas une cause nouvelle, des faits qui confirment, qui fortifient sa demande, en ce sens qu'ils ajoutent une nouvelle preuve à celles qu'il a déjà produites, pourquoi ne pourrait-il pas les faire valoir? Nous en cherchons vainement la raison. Le texte certes ne s'y oppose pas; dès que le demandeur a suffisamment détaillé les faits pour que le président et le défendeur sachent la cause sur laquelle il fonde son action, il a satisfait à la loi. Tout ce qui se passe postérieurement ne peut plus annuler la requête qui est valable. Ce sont de nouveaux arguments que le demandeur fait valoir, et il doit avoir ce droit aussi longtemps que durent les débats. L'opinion contraire conduit à une conséquence vraiment absurde : c'est que le demandeur devrait plaider sa cause jusque dans les moindres détails, devant le président, pour mieux dire, dans sa requête. Ce n'est pas devant le président que l'on plaide, c'est devant le tribunal (1). Autre absurdité. On veut que le demandeur expose tous les détails de la cause de divorce qu'il allègue; mais ces détails, il peut les ignorer, et trèssouvent il les ignorera. Il a la conviction que son conjoint est coupable d'adultère, mais il ne connaît pas toute la gravité de sa faute, parce qu'il y a des témoins corrompus qui gardent le silence; si ces témoins parlent, s'il apprend de nouveaux détails de son infortune, on s'opposera à ce qu'il les produise, on demandera que le tribunal n'en tienne

(1) La cour de cassation de Belgique a jugé à peu près en ce sens, sur un réquisitoire remarquable de M. De Cuyper, avocat général (arrêt du 22 février 1844, dans la Pasicrisie, 1844, 1, 142). Il y a un arrêt de Bruxelles dans le même sens, du 15 février 1844 (Pasicrisie, 1844, 2, 340).

aucun compte! N'est-ce pas s'opposer à ce que le tribunal s'éclaire?

Le demandeur peut-il articuler de nouveaux faits survenus depuis qu'il a présenté sa requête au président? Non, si ces faits constituent une nouvelle cause, partant une nouvelle demande. Mais si ce sont des faits qui se rapportent à la cause pour laquelle l'époux a demandé le divorce, il a le droit de les faire valoir. On le lui refuse cependant; mais voyez à quoi conduit cette doctrine. Le demandeur allègue l'adultère de son conjoint. Depuis qu'il a remis sa requête au président, l'époux coupable a affiché sa honte, et il ne sera pas permis au demandeur d'articuler ces faits! Quoi! l'adultère sera public, et le coupable déhonté viendra dire au tribunal : Vous n'avez pas le droit d'admettre le divorce pour adultère, parce que les faits n'ont pas été articulés dans la requête introductive d'instance! Il est bon de ne pas favoriser le divorce, mais il est bon aussi de ne pas rendre la justice odieuse. Il deux arrêts de la cour de cassation en ce sens (1).

y a

En tout cas, il faut décider que si la requête était nulle parce qu'elle ne détaille pas suffisamment les faits, le demandeur peut en présenter une nouvelle au président. Cela a été décidé ainsi par les cours de Limoges et de Paris (2), et cela ne peut faire aucun doute. Le demandeur peut toujours corriger sa demande. Il est juste qu'il doive le faire quand sa demande primitive ne satisfait pas à la loi; mais si la requête était suffisamment détaillée, et si malgré cela on obligeait l'époux à la renouveler, nous ne voyons pas ce que la justice y gagnerait; la chicane en ferait son profit, mais est-ce dans ce but que le législateur prescrit des formes?

228. Nous revenons aux mesures préliminaires. Au jour indiqué par le président dans son ordonnance, les deux époux doivent se présenter devant lui. Le magistrat leur fait les représentations qu'il croira propres à opérer un rapprochement; il doit les faire au demandeur seul,

(1) Arrêts du 18 frimaire an xiv et du 26 mai 1807 (Dalloz, au mot Sépa ration de corps, no 473). Comparez Demolombe, t. IV, p. 585, no 482 (2) Dalloz, au mot Séparation de corps, nos 449, 450 et 472.

s'il est seul comparant (art. 239). C'est une nouvelle tentative de conciliation. S'il y a demande en séparation de corps, le code de procédure défend aux parties de se faire assister d'avoués et de conseils (art. 877). Le code civil ne défend pas expressément aux époux de se faire assister par des gens de loi, mais la défense est implicite; quand il veut leur accorder ce droit, il le dit (art. 342 et 343), donc il le leur refuse par cela seul qu'il ne l'accorde pas. Cela est aussi dans l'esprit de la loi; il n'y a ni demande ni défense devant le président, la présence d'avocats et d'avoués est donc inutile. Toutefois, la loi ne le prohibant pas d'une manière expresse, il n'y aurait pas de nullité si, contrairement au vou du législateur, les époux étaient assistés d'un homme de loi.

Si le juge ne parvient pas à concilier les parties, il en dresse procès-verbal et ordonne la communication de la demande et des pièces au procureur du roi et le référé du tout au tribunal. Dans les trois jours qui suivront, le tribunal, sur le rapport du président et sur les conclusions du ministère public, accorde la permission de citer; il peut aussi la suspendre, mais la suspension ne peut excéder le terme de vingt jours (art. 239 et 240). La suspension est une de ces sages lenteurs que la loi prescrit dans la procédure en divorce, afin de donner aux parties le temps de la réflexion. Il y a encore quelque chose de spécial dans ce jugement préliminaire, et cela se reproduit dans toute la procédure : la loi exige un rapport, d'abord du président, puis du juge rapporteur (art. 239, 245-248) pour tous les jugements. Est-ce à peine de nullité? La cour de Bruxelles l'a décidé (1). C'est une de ces décisions rigoureuses qu'il nous est difficile d'admettre. Le rapport est sans doute utile pour éclairer le tribunal; mais cette forme est étrangère aux parties; elle n'a rien de commun avec les motifs que l'on donne pour justifier la nullité de la procédure. La réconciliation des parties n'est pas empêchée par le défaut de rapport, leur collusion n'est pas ȧ craindre; c'est à elles à éclairer le tribunal, et peut-on

(1) Arrêt du 6 avril 1833 (Pasicrisie, 1833, 2, 119).

croire qu'il juge sans connaissance de cause, alors que le Juge rapporteur prend part aux décisions?

III. L'instance judiciaire.

229. Toute instance judiciaire commence par une assignation. Ce qu'il y a de spécial en matière de divorce, c'est que le tribunal doit accorder la permission de citer. Il est appelé à l'accorder parce qu'il a le droit de la refuser; nous venons d'en dire la raison. S'il l'accorde, le demandeur fait citer le défendeur, dans la forme ordinaire et dans le délai légal de huitaine, à comparaître en personne l'audience. La comparution a lieu à huis clos (art. 241). La loi évite la publicité autant que possible, parce que, une fois la cause du divorce rendue publique, la réconciliation des époux devient pour ainsi dire impossible, et quoique le législateur ne prescrive plus de tentative de réconciliation, après que l'instance est engagée, il ne cesse pas de l'espérer et de la favoriser. Les parties doivent comparaître en personne (art. 241 et 242). Si le demandeur ne comparaît pas, la procédure tombe; il est censé renoncer à son action. Que faut-il décider si le défendeur fait défaut? L'article 242 répond: « Que le défendeur comparaisse ou non, le demandeur exposera les motifs de sa demande, ou les fera exposer par un conseil; il représente les pièces qui l'appuient et nomme les témoins qu'il se propose de faire entendre. » Il résulte de là que la procédure continue malgré le défaut, et il n'y a pas lieu à former opposition contre les jugements qui interviendront. L'article 163 décide la question; il n'ouvre que la voie de l'appel contre les jugements rendus en première instance, contre les jugements par défaut aussi bien que contre les jugements contradictoires; l'opposition n'est admise qu'en appel (art. 165). On demande pourquoi le législateur admet l'opposition en appel, tandis qu'il la rejette en première instance. Il y a de cela une raison historique. C'est qu'au moment où le code civil fut discuté et voté, on était encore sous l'empire de l'ordonnance de 1667, laquelle n'admettait

pas l'opposition en première instance. Il n'y a aucun doute sur tous ces points (1).

230. Si le défendeur comparaît, il peut proposer ses observations tant sur les motifs de la demande que sur les pièces produites par le demandeur et sur les témoins par lui nommés. La loi lui permet de comparaître par un fondé de pouvoir. Il nommera de son côté, dit l'article 243, les témoins qu'il se propose de faire entendre, et sur lesquels le demandeur fera réciproquement ses observations. La loi porte que le défendeur nommera; elle est donc impérative. Faut-il en conclure, avec la cour de Bruxelles, que s'il n'a pas nommé ses témoins ni fait de réserves en indiquant les motifs pour lesquels il ne le fait pas, il ne pourra plus en produire (2)? Nous admettons avec la cour que le juge ne doit pas d'office ordonner au défendeur de nommer ses témoins, et que s'il ne l'a pas fait, le tribunal peut prononcer le jugement qui admet le divorce. Mais il serait contraire au texte de la loi de lui interdire la faculté de nommer ses témoins, jusqu'au moment où l'article 249 lui enlève cette faculté.

Il est dressé procès-verbal des comparutions, dires et observations des parties, ainsi que des aveux que l'une ou l'autre pourra faire. Lecture en est donnée aux époux; il est signé par les parties et mention est faite de leur signature. Si elles ne peuvent ou ne veulent pas signer, il est fait mention de leur déclaration (art. 244).

231. Ici finit le huis clos. Le tribunal renvoie les parties à l'audience publique, dont il fixe le jour et l'heure; il ordonne la communication de la procédure au procureur du roi et commet un rapporteur. Si le défendeur n'a pas comparu, le demandeur est tenu de lui faire signifier l'ordonnance du tribunal dans le délai qu'il aura déterminé (art. 245). Au jour et à l'heure indiqués, le juge commis fait son rapport et le ministère public prend ses conclusions. Le tribunal statue d'abord sur les fins de non-rece

(1) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 488, et Willequet, du Divorce, p. 172. Comparez arrêt de la cour de cassation de Belgique du 29 février 1810 (Pasicrisie, 1840, 1, 307).

(2) Arrêt du 6 avril 1833 (Pasicrisie, 1833, 2, 119).

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