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sitions. Quel tribunal? Naturellement celui devant lequel l'instance est engagée. Cela résulte à l'évidence de la combinaison des articles 234 et 253. Mais le tribunal ne pourrait-il pas commettre un autre tribunal, à l'effet d'entendre des témoins qui seraient dans l'impossibilité de se déplacer? Le code de procédure admet les commissions rogatoires (art. 255 et 1035). Il a été jugé que ces dispositions ne sont pas applicables en matière de divorce (1). C'est une de ces décisions formalistes qu'il nous répugne d'admettre. Le code Napoléon ne parle pas des commissions rogatoires; donc il faut les rejeter. Est-ce bien là l'esprit de la loi? Sans doute, il importe que les témoins soient entendus par le tribunal appelé à prononcer sur le divorce, et en présence des parties. Mais quand la chose est impossible, ne vaut-il pas mieux que les témoins soient entendus par un autre tribunal que de ne pas être entendus? Pourquoi refuser à la justice un moyen de s'éclairer dans ces graves débats? La question a été décidée en ce sens par la cour de cassation de Darmstadt (2). Si le témoin résidait à l'étranger, il y aurait une difficulté qui est du domaine de la diplomatie. Nos tribunaux n'ont pas le droit de commettre un tribunal étranger, à moins que ce droit ne soit consacré par des traités.

237. Sur quels faits les témoins peuvent-ils être entendus? L'article 247 dit que le jugement qui ordonne l'enquête admettra le demandeur à la preuve des faits pertinents par lui allégués, et le défendeur à la preuve contraire. Il résulte de là que l'enquête est définie, circonscrite dans les faits déclarés pertinents par le jugement. D'où suit que les témoins ne peuvent pas être entendus sur d'autres faits allégués par l'une des parties. Dans notre opinion, chacune des parties peut toujours alléguer de nouveaux faits, qu'elle aurait ignorés, ou qui se seraient produits après que l'instance est engagée (voyez n° 230); mais pour que ces faits puissent faire l'objet d'une enquête, il faut un nouveau jugement qui les déclare pertinents et admette l'autre partie à la preuve contraire.

(1) Arrêt de Bruxelles du 7 janvier 1833 (Jurisprudence, 1833, 2, 268). (2) Arrêt du 5 mai 1829 Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1380, no 254).

Ces principes s'appliquent aux faits de provocation allégués par le défendeur. Il a été jugé qu'il ne pouvait faire entendre des témoins sur l'inconduite du demandeur, alors que le jugement l'admettait seulement à la preuve contraire des faits allégués par le demandeur. En effet, la preuve contraire consiste à établir que les faits allégués n'existent pas. Autre est la preuve qui tend à établir qu'il y a provocation de la part du demandeur; elle ne combat pas les faits allégués, elle en reconnaît au contraire l'existence; mais elle prétend que ces faits, quoique constatés, sont détruits par la provocation. C'est donc une vraie exception que le défendeur oppose à la demande; par suite, il devient demandeur quant à cette exception; partant il faut qu'il articule les faits, que ces faits soient déclarés pertinents, et que l'autre partie soit admise à la preuve contraire (1). Il y a des arrêts dans un sens opposé. On a jugé que le mari est admis à prouver, dans l'enquête, que les excès dont on l'accuse ont été provoqués par l'inconduite de la femme, quoiqu'il n'ait point parlé de cette inconduite avant le jugement interlocutoire, et que ce jugement ne l'admette pas à en faire preuve. Il n'est pas défendu, dit la cour de Toulouse, aux magistrats d'examiner les causes qui ont pu porter le mari à maltraiter sa femme; il est même de leur devoir de considérer toutes les circonstances qui s'y rattachent, pour se fixer sur le véritable caractère des faits (2). Rien de plus vrai, mais cela ne prouve qu'une chose, c'est que la provocation peut toujours être articulée et par suite prouvée; seulement, pour être admis à la prouver, il faut un jugement qui déclare les faits pertinents, et qui admette le demandeur originaire à la preuve contraire.

238. Le code contient quelques dispositions sur les formes de l'enquête. Aux termes de l'article 254, les parties, par elles ou par leurs conseils, peuvent faire aux té

(1) Arrêt de Bruxelles du 23 février 1830 (ou, d'après d'autres recueils, du 4 mars), dans la Jurisprudence du XIXe siècle, 1830, III, 117). Arrêt de Bruxelles du 27 février 1833 (Pasicrisie, 1833, 2, 75). Arrêt de Poitiers du 21 janvier 1808 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 253).

(2) Arrêt du 9 janvier 1824 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 198, 3°), et arrêt de Paris du 15 mars 1841, au mot Enquête, no 191).

moins telles observations et interpellations qu'elles jugeront à propos, sans pouvoir néanmoins les interrompre dans le cours de leurs dépositions. Le droit d'interpellation doit être limité, d'après ce que nous venons de dire, aux faits déclarés pertinents par le jugement qui ordonne l'enquête.

Chaque déposition est rédigée par écrit, ainsi que les dires et observations auxquels elle aura donné lieu. L'arti cle 255 ajoute que le procès-verbal d'enquête sera lu tant aux témoins qu'aux parties, que les uns et les autres seront requis de le signer, et qu'il sera fait mention de leur signature ou de leur déclaration qu'ils ne peuvent ou ne veulent signer. A s'en tenir au texte, il faudrait que le procès-verbal tout entier fût lu en présence de tous les témoins; dans la pratique, on suit le code de procédure qui se contente de la lecture de chaque déposition; ce qui est plus rationnel, chaque témoin ne pouvant savoir et contrôler que ce dont il a déposé. Y aurait-il nullité de l'enquête si l'on avait observé les articles 271 et 272 du code de procédure? Non, certes, car le but de la lecture est atteint dès que chaque témoin entend lire la déposition qu'il a faite. La lettre du code Napoléon est, à la vérité, contraire. Mais ne serait-il pas absurde d'annuler une enquête parce que les témoins n'auraient pas entendu lire. les dépositions de tous ceux qui ont déposé dans l'enquête (1)?

239. Le code de procédure prescrit beaucoup d'autres formes; faut-il les observer, et cela sous peine de nullité, quand le code prononce la nullité? Il a été jugé que les formalités du code de procédure s'appliquaient aux enquêtes en matière de divorce, qu'ainsi les témoins devaient déclarer leur âge et profession, à peine de nullité (2). Ces décisions sont contraires au principe que la doctrine et la jurisprudence suivent en cette matière. Le code Napoléon établissant une forme spéciale pour les enquêtes, dans la procédure en divorce, il n'y a pas lieu de recourir au code

(1) Ainsi jugé par arrêt de Gand du 2 avril 1858 (Pasicrisie, 1858. 2. 242). (2) Arrêts de Nancy du 15 avril 1813 et de Lyon du 18 avril 1810 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 474)

de procédure; du moins ne peut-on appliquer les nullités établies par ce code aux enquêtes en matière de divorce; ainsi on ne peut annuler une enquête parce qu'il n'a pas été fait aux témoins l'interpellation de déclarer s'ils sont parents, alliés ou serviteurs des parties (1). Au point de vue juridique, cela est incontestable; on ne peut introduire dans le code Napoléon, qui contient des règles spéciales au divorce, des nullités prononcées par une loi générale postérieure. Cela est aussi fondé en raison. Il ne faut pas multiplier inutilement les nullités de forme, surtout quand elles ne sont pas le fait des parties. Pourquoi la négligence du greffier entraînerait-elle la nullité de la procédure en divorce, alors que les vices de procédure sont absolument étrangers aux principes essentiels en cette matière?

Par la même raison, on ne doit pas appliquer à l'enquête en matière de divorce l'article 293 du code de procédure, qui défend de recommencer une enquête déclarée nulle. La cour de Paris avait jugé en sens contraire (2), mais l'arrêt fut cassé par la cour de cassation, par le motif que la cour avait créé une déchéance que n'établit point la loi de la matière.

240. Après la clôture des deux enquêtes ou de celle du demandeur, si le défendeur n'a pas produit de témoins, le tribunal renvoie les parties à l'audience publique, dont il indiquera le jour et l'heure; il ordonne la communication de la procédure au ministère public et commet un rapporteur. Cette ordonnance doit être signifiée au défendeur, à la requête du demandeur, dans le délai qu'elle aura déterminé (art. 256). La cour de Bruxelles a jugé qu'il n'y avait pas nullité si la signification était faite en dehors du délai fixé par le tribunal (3). Cela nous paraît évident d'après les principes que nous avons posés en cette matière. L'arrêt se fonde sur ce que le code civil n'établit

(1) Arrêt de la cour de cassation du 3 mai 1809 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 475).

(2) Arrêt du 28 décembre 1807 (Merlin, Répertoire, au mot Divorce, sect. IV, § XIII, no 3, t. VIII, p. 245).

(3 Arrêt du 30 mai 1859 (Pasicrisie, 1860, 2, 184).

pas de nullité de ce chef. Ce motif est trop absolu; il n'y a pas une seule disposition dans notre section qui prononce la nullité; en faudra-t-il conclure qu'il n'y a jamais de nullité en cette matière?

241. Le tribunal peut-il proroger l'enquête? D'après le droit commun, le tribunal peut accorder la prorogation (code de proc., art. 279). Il le pourrait aussi en matière de divorce, d'autant plus qu'il n'y a pas de délai fixé dans lequel l'enquête doive être terminée. En cas de prorogation, le procès-verbal doit être clôturé et signé, comme la loi le veut pour le procès-verbal de clôture (art. 255). Toutefois, il n'y aurait pas de nullité de ce chef. Il est impossible de considérer comme essentielle une formalité que la loi ne prescrit pas d'une manière expresse. Ainsi jugé par les cours de Cologne et de Darmstadt (1).

V. Le jugement.

242. Au jour fixé pour le jugement définitif, le juge commis fait son rapport (art. 257). Il a été décidé que ce rapport est une formalité substantielle, dont l'inobservation entraîne la nullité du jugement définitif (2). Cela nous paraît bien rigoureux. En matière de divorce, tout se passe devant le tribunal; c'est lui qui entend les témoins et les observations des parties. Ainsi, le tribunal entier est éclairé sur tout ce qu'il doit savoir. Où est donc l'utilité, la nécessité de prononcer une nullité qui n'aurait de raison d'être que si un élément d'instruction faisait défaut? Ne multiplions pas les nullités, quand la loi ne le commande pas.

Les parties peuvent ensuite faire, par elles-mêmes ou par l'organe de leurs conseils, telles observations qu'elles jugeront utiles à leur cause. Ceci est l'application d'une règle générale que l'on suit pendant tout le cours du débat. La loi y met cependant une restriction le conseil du demandeur n'est admis que si le demandeur comparaît en

(1) Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1380.

(2) Arrêt de Cologne du 30 novembre 1846 (Belgique judiciaire, t. V, p. 773).

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